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198 pages
Français

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Description

Bertrand est agent territorial au Congo belge. Le tracé d'une route doit être esquissé dans la forêt fangeuse. Le projet routier divise les partenaires présents dans la région. Laure, qu'il vient d'épouser, est à ses côtés, alors qu'un drame inexpliqué détruit leur entente amoureuse dès les premières semaines. Ce déchirement sans parole se perçoit comme une métaphore du silence qui occulte les vicissitudes de la colonisation quelques années avant l'indépendance. Bertrand découvre chez son guide une humanité qu'il ignorait jusqu'alors dans ses rapports avec les Africains. Pour quelles raisons sa relation avec Laure est-elle aussi gravement compromise ? Pourquoi a-t-il négligé sa connaissance des autochtones ?...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2010
Nombre de lectures 196
EAN13 9782296933132
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

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Du même auteur


Roman

Quatre dimanches, Éditions des artistes George Houyoux (épuisé), Bruxelles, 1967.
José Dosogne


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Roman


L’Harmattan
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-11358-9
EAN : 9782296113589

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Avant-propos
La domination coloniale a été exercée par des gens simples, des employés, des fils d’instituteur, des villageois. Des aventuriers au petit pied. Le régime faisait d’eux des surhommes, mais ils régnaient sur un empire en sommeil. Les tâcherons indigènes commençaient à écouter les radios dans leurs cases, et les tam-tams de la nuit annonçaient déjà le vacillement des choses que les Blancs croyaient à jamais établies.
Si la déroute de la colonisation revêtait parfois des aspects insoupçonnables, il n’est pas impossible d’imaginer qu’un couple européen parvint à découvrir, dans le lent déroulement d’un week-end, au cœur de la brousse, l’occasion de triompher d’un fatalisme trouble et irresponsable, à l’instant même où certains Noirs, alentour, déclenchaient à leur manière le compte à rebours de la libération.
L’échec professionnel d’un individu ne compromet pas nécessairement le succès de sa destinée. Bertrand, en interrompant sa fuite désespérée pour renouer le dialogue avec Laure, et Faustin, en entamant sa longue marche, réussissent ensemble, d’une manière paradoxale, leur métamorphose.
Ce que vous appelez le hasard, c’est vous-mêmes qui êtes ce qui vous arrive et qui vous est infligé.

Frédéric Nietszche


Ce qui distinguait les êtres au niveau le plus profond, n’était-ce pas au bout du compte le regard qu’ils portaient sur les choses ?

José Dosogne
Avertissement
Ce roman a été écrit de 1966 à 1968. Les indications de bas de pages, quant à elles, datent de 2009. On trouvera la note de l’auteur en fin de volume.
Le récit s’étend sur un jour et demi : la matinée dans la forêt ; au poste le samedi ; l’après-midi ; la soirée et la nuit ; le matin du dimanche.
Chapitre I La matinée dans la forêt
L’ ombre du boy glissa derrière la moustiquaire. Il faisait encore nuit, et l’incongruité de ce lever matinal indisposa Bertrand. Sa femme remua dans le lit voisin ; il se tut, agitant le bras vers la fenêtre en signe d’irritation. Faustin appuya de nouveau sa silhouette à la croisée : on eût dit que son corps, noir sur le fond sombre des ténèbres, pesait comme une menace dans la chambre.
Bertrand se redressa. Il ne se raserait pas. Il y pensait depuis la veille, avec volupté. Bien sûr, puisque l’Administrateur {1} l’avait décidé, il quitterait Baranda en pleine obscurité, et il remonterait la rivière avec le nègre. Mais personne ne l’obligerait à se raser ! Il entendait protester à sa manière ; contre le vigoureux Léonard, qui l’expédiait avec désinvolture, un samedi, au cœur des marécages ; contre le Gouverneur {2} prétentieux, qui débarquerait avant dîner pour accaparer à la hâte le mérite de ses efforts ; contre Laure enfin, qui continuait à dormir en bougeant doucement. Les sangles du lit de camp craquèrent, comme s’ils faisaient l’amour ensemble. Bertrand hésita un instant, puis il prit sa montre à tâtons, ses cigarettes, et quitta la chambre.
Près de la double porte du salon, Faustin tenait une lampe de poche allumée au-dessus des bagages. Il était impossible d’imaginer que des êtres humains pussent se rencontrer au milieu de la nuit sans prononcer un seul mot ; du moins Bertrand l’avait-il longtemps pensé en Europe, et ses amis là-bas devaient encore le croire. Aucune force au monde, cependant, n’aurait pu pousser ici ces deux hommes à se serrer la main. Il ne savait qu’y faire. Faute de mieux, ce jour-là, il laça rapidement ses grosses chaussures et s’absorba dans une toilette sommaire au coin de la table où Faustin avait préparé ses vêtements, afin qu’il n’eût pas à réveiller Laure en traversant la maison. Entre les croisillons des fenêtres, sur le treillis métallique qui retenait les moustiques, un lézard détala avec un petit froissement de papier d’argent.
Une lumière diffuse se mit à dansotter sur la terrasse. Le gardien de nuit qui arrivait aux nouvelles ouvrit la porte. Il laissa sortir son maître et le Ngombe {3} méprisant, qui le heurta au passage. Il attendit que Bertrand et Faustin eussent atteint la pelouse. Puis, crachant avec force, il reprit sa lanterne, sa pipe de chanvre, et retournant à sa chaise longue, il retomba dans une rêverie puérile et facétieuse, épurée des sortilèges de l’Occident et des maléfices rassemblés par les Ngombe au long visage.
Le peu qu’il savait des indigènes laissait Bertrand insensible. Qu’ils eussent la peau colorée, que leur odeur animale l’écoeurât, que leur univers tribal dérangeât son sens d’une certaine ordonnance des choses, c’était, en réalité, inévitable après le premier terme. Chez lui, l’indifférence noyait en une commune mixture, insipide et navrante, tout ce que, par ignorance délibérée, il rejetait de son existence consciente : les grandes idées, les Noirs, l’art, les projets à lointaine échéance. Un fait pourtant le surprenait. S’il avait admis assez vite, naguère à Léopoldville, que le cosmopolitisme de la capitale empêchât les indigènes de fraterniser au point de ne pouvoir s’accorder ensemble, même dans leur résistance aux Blancs, il ne comprenait plus, ici, au fond de cette brousse qui se livrait d’ailleurs mal, qu’ils pussent se quereller jusqu’à la haine, en d’interminables palabres de femmes, de dot et d’argent, où triomphait, par des détours sanguinaires, leur intraitable racisme de village.
Ils s’enfoncèrent au coeur des ténèbres. Les pieds du boy se moulaient sans bruit dans la poussière, au rythme d’une claudication bizarre qui dénaturait ses deux jambes d’une manière inégale. Le pian plantaire, au mal lancinant, affectait encore la région, sans que les programmes sanitaires parvinssent à triompher, parce que les indigènes interrompaient le traitement, aidant les endémies célèbres – la malaria, la lèpre, les maladies vénériennes – à faire pièce aux projets gouvernementaux de médecine.
Bertrand et Faustin contournèrent d’abord les bureaux du Territoire. Des lumignons fragiles scintillaient par intermittence entre les troncs des palmiers ; les veilleurs se réconfortaient à leur façon, dans l’attente de l’aube, trompant leur solitude à la lumière des lanternes à pétrole dérisoires, en se serrant sous leur couverture. L’air était frais. Bertrand remonta la veste sur ses épaules. Les journées commençaient toujours de même ; de la moiteur glacée de la nuit à la fournaise de midi, il fallait aux Noirs toute l’endurance de la race pour supporter les écarts de température dont les Européens se protégeaient par mille ruses tour à tour : le chaud du lit, l’ombre tiède du jour, la sieste, le whisky, les rêves de neige.
Ils dépassèrent les camions du Service de Transport alignés sur le gravier. Les carcasses des voitures désaffectées prenaient des formes étranges. Un toucan, au-dessus de leur tête, lança son cri rauque, monocorde, quasi pareil au coassement lugubre des crapauds qu’ils commençaient à entendre et qui semblaient remâcher leurs insomnies, tapis là-bas sous les roseaux de la rivière. Au bout de la route, derrière les locaux du Cercle, des taches blanchâtres surgirent sous leurs pieds ; Faustin coupait à travers le gazon, aussi doux qu’une laine boréale, et rencontrait de vieux pneus enduits de chaux qui servaient de bacs à fleurs. Il marchait devant, comme à l’accoutumée, devant sa famille, devant le maître blanc, devant les chefs, promu sans distinction à l’avant-garde au temps de la chasse, de la promenade, de la guerre ou du travail, au fil des multiples métamorphoses de son existence. Aujourd’hui faute de compagne, il portait lui-même les bagages, « ébène {4} à deux pattes » qui évoquait avec force à l’esprit de Bertrand un trafic d’esclaves prolongé pour son unique agrément.
Une brusque dépression du sol le déroba à ses yeux. Un fragment d’éternité, il put se croire seul au monde parce qu’il cessait d’apercevoir quelques instants ce nègre poursuivi à la trace dans la nuit, sur la pelouse d’un poste {5} de brousse. Ils y voyaient mieux pourtant depuis un moment ; lorsqu’ils se mirent à descendre

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