CHAMBRES NOIRES
132 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

CHAMBRES NOIRES , livre ebook

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132 pages
Français

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Description

Ils sont de tous âges et de toutes conditions ces hommes et ces femmes étranglés dans leurs solitudes, leurs angoisses ou leurs cauchemars.ŠNous les croisons tous les jours ces hommes et ces femmes dont les regards peuvent être des cris, mais que nous n'entendons pas. Au fond du silence et de la nuit, la lumière peut-elle encore scintiller ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2011
Nombre de lectures 47
EAN13 9782296810648
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Chambres noires
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-55122-0
EAN : 9782296551220

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Jean-Pierre Béchu


Chambres noires


Nouvelles


L’Harmattan
Du même auteur :


Essais :

La Belle Epoque et son envers ,
éditions A. Sauret – 1980

en collaboration :
Fenêtre ouverte sur le christianisme ,
éditions Durante – 1998


Poésie :

Feux de pierre ,
éditions Librairie-Galerie Racine – 2002

A ñ jali,
éditions Librairie-Galerie Racine – 2005
Chape de plomb
Depuis la rue on ne me voit pas derrière mes rideaux. Je ne les savais pas aussi sales mais là, le nez dessus, ils m’imposent leur crasse qui me dérobe davantage encore aux regards. Une quinzaine de personnes s’amassent au pied de mon immeuble. Leurs visages sont graves, leurs gestes lents. Ils se comptent, interrogent les fenêtres pour s’assurer que tout le monde est bien présent. Mais oui vous êtes tous là, au grand complet, je suis le seul à manquer car la grippe me cloue au lit. C’est du moins ce que vous croyez. Moi, je ne sais pas ce que je dois croire. Ludo avait juste quinze ans et il est mort, voilà l’unique certitude. Pour le reste… Y suis-je vraiment pour quelque chose ? Le tragique résulte parfois d’actes anodins dont la légèreté suffit à mettre en branle une machine infernale. Je n’ai rien fait pour arrêter celle-ci.

Le ciel anthracite promet un orage. L’air me manque, je me sens emmuré. Ces rideaux épais qui sentent le tabac froid, le fouillis poussiéreux de ma pièce… un relent de vieille tanière que j’ai l’impression de respirer pour la première fois. Peut-être l’émotion affûte-t-elle mes sens… ma bouche est toute râpeuse et il ne me reste plus une goutte de bière. J’aurais quand même dû faire mes courses hier soir mais je n’ai pas osé sortir car j’étais censé avoir la grippe. Je me suis juste permis, tremblant et emmitouflé, de remettre de l’argent au gardien pour contribuer à l’achat de la gerbe. On s’est tous cotisés mais c’est moi qui ai donné le plus. Après ce que j’ai fait, je devais bien cela aux parents de Ludo. Ils ne sont pas encore sortis mais la messe commence à dix heures alors qu’il est à peine neuf heures. Je veux les voir même si cela va me faire mal. C’est un entêtement stupide. J’aurais mieux fait de me lever de bonne heure pour partir en forêt avec Ganesh, il fallait fuir. Même ce courage-là m’a manqué. Je me suis réveillé presque comme d’habitude, replié sur de méchants rêves, le front moite et content d’être invisible derrière ma porte fermée à double tour. Je pense que toute ma vie j’ai vécu enfermé. Cloîtré dans mes fantasmes, nourri par mon égoïsme. Lorsque ma femme l’a compris elle m’a d’ailleurs quitté et je n’ai pas tenté de la retenir. C’était voici plus de quinze ans. Comme toujours en cas de revers, j’étais parti à Bombay, officiellement pour y rencontrer mes fournisseurs, en vérité pour m’aider à tirer un trait sur dix années de mariage. Ce ne fut pas très douloureux car Nicole m’accablait avec ses désirs d’enfant et de vie tellement conformiste. Je ne lui ai donné ni l’un ni l’autre. Je n’ai du reste jamais rien donné à personne alors aujourd’hui, à soixante-six ans, je me retrouve seul.

J’espère qu’ils ne vont pas tarder à partir. Il n’était pas question que j’aille à cet enterrement. C’est un peu de ma faute si Ludo est mort et ce ‘‘ peu", à la faveur de l’office religieux puis de l’inhumation, m’aurait broyé. J’aurais craint que ma culpabilité, si tant est qu’elle existe, fût écrite sur mon visage. J’ai hâte de sortir pour me noyer dans la vie et le bruit, pour boire une bière fraîche en me persuadant que ce malheur ne me concerne pas.

Ça y est, voilà les parents de Ludo. Les groupes se défont, on entoure le couple, des mots s’échangent, surtout avec le père. Sa femme paraît voûtée, toute frêle dans son manteau gris trop serré. Elle marche aussi doucement qu’un vieillard. Le gardien arrive à son tour, des portières claquent, les unes après les autres les voitures démarrent. Je me sens soulagé sans vraiment savoir pourquoi. Est-ce l’impression de me retrouver enfin seul ? De toute façon je suis toujours seul. Chaque matin ce sont les bruits de pas dans l’escalier, la télévision de mes voisins ou les rumeurs de la circulation qui m’incitent à me lever, c’est coe un mouvement d’ensemble qui m’entraîne à faire quelque chose. Sinon, je serais capable de rester prostré des heures entières. Ganesh a la bonne grâce de me forcer à sortir. Il possède l’exactitude d’une horloge : dès neuf heures il ne pense qu’à lever la patte contre un arbre et s’assoit devant la porte en me regardant avec insistance. Nous marchons le long de la Seine, il tire toujours fort sur sa laisse alors parfois je le rabroue un peu car l’arthrose de mon genou gauche me fait souffrir. Je l’appelle Ganesh parce qu’il est tout aussi débonnaire et facétieux que le dieu éléphant du même nom. Cela va faire au moins sept ans que je ne suis pas retourné en Inde, depuis que j’ai vendu ma boutique d’art et d’artisanat indiens. J’ai eu tort de le faire. Bombay me manque et je n’ai plus l’occasion de m’entretenir de l’Inde avec des clients passionnés. Je ne parle plus de rien, je m’ankylose. Ganesh s’impatiente et je ne suis même pas habillé. Je n’ai plus de chemise propre, c’est sans doute pareil pour les chaussettes. Les contingences matérielles me pèsent de plus en plus, mon appartement se transforme inexorablement en dépotoir. J’enfile mes vêtements d’hier. Tout frétillant, Ganesh sait que je vais bientôt ouvrir mes fenêtres et que ce sera le signal du départ. C’est surtout pour lui donner ce plaisir que je les ouvre car je préfère l’air vicié de ma pièce aux relents de frites et de kebab qui montent de la rue. Nous allons bientôt partir vivre à Paris, cette banlieue m’insupporte de plus en plus, toute en grisaille, avec linge aux fenêtres et voitures qui brûlent, sans parler des tours lépreuses de sa cité.

Il est neuf heures quarante, tous doivent être sur le parvis de l’église à attendre le corbillard. Ludo était un caractériel mais pas méchant pour deux sous. Il me saluait toujours poliment et s’effaçait lorsque nous nous croisions sur le palier. Tout l’opposé de Médhi. Une tête à claques qui vous toise par en-dessous, agressif et grossier sous son éternelle capuche. Toujours dehors, devant des porches avec sa bande ou dans les rues de la cité de l’Almont pour trafiquer ou pour jouer au dur. En plus, un habitué des nuits au commissariat dont il tire d’ailleurs beaucoup de prestige auprès des autres. Pour mon malheur, ses parents et lui occupent l’appartement juste au-dessus du mien. Lorsqu’il est là je dois supporter sa musique exécrable mise à pleine puissance. Je me suis plaint plusieurs fois mais sa mère ne comprend pas le français et son père rentre tard… Quant à lui, il ne vous répond qu’en mêlant les gestes obscènes aux insultes.

Oui, dans quelques semaines nous nous retrouverons à Paris, Ganesh et moi. Un petit appartement au cœur du quartier du Marais, rue des Francs-Bourgeois, là où j’avais mon commerce d’art indien. Je vais vivre un retour à la civilisation.

C’est un vrai bonheur que de descendre l’escalier de mon immeuble enfin vidé de ses habitants. J’ai même libéré Ganesh de sa laisse. Sortir de chez soi l’esprit tranquille sans craindre de mauvaises rencontres, sans devoir forcer le passage parmi des jeunes qui bouchent le hall d’entrée. Je n’ai pas encore connu cela depuis que je vis dans cette banlieue pourrie. Tout cet enfer pour économiser sur ma retraite. Ce que j’ai été bête ! J’aspire à la capitale même si je dois payer mon loyer quatre fois plus cher.

La messe est maintenant commencée depuis longtemps. J’imagine le cercueil de Ludo entouré de fleurs, les cierges, les ors de l’autel

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