Curieux
163 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

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Description

On a plusieurs vies en même temps. Une des miennes se passe à croiser des gens, des lieux, des objets, des animaux parfois, des gens surtout. Souvent, trop souvent, sans pouvoir m'arrêter, sans rien retenir - garde-t-on l'eau dans ses doigts - sinon le regret d'images aussi durables et aussi visibles que des cicatrices, mais qui s'enfuient si je veux les fixer. Certaines, à force de patience et d'envie, ont pu renaître. Les plus fraîches, j'ai monté la garde. Je vous les offre toutes.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2008
Nombre de lectures 280
EAN13 9782336264417
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Curieux

Pierre-Marie Bourdaud
Du même auteur chez L’Harmattan
Mes Bien Chers Frères. Une enfance d’autrefois dans un internat , 1998.
Le cou du canard , 2003.
© L’HARMATTAN, 2008
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusionharmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296067417
EAN : 9782296067417
Sommaire
Page de titre Page de Copyright Dedicace L’OISEAU LUMIÈRE LE GROS GRIS LA MAISON VIEILLE L’EXILÉ BLEU ET ROUGE DÉPART À 17H46 PERDRE LE NORT LE SAUCISSON SEC PLONGER, REPLONGER LA CLINIQUE DU RAPT AH, L’ALGÉRIE LE MIROIR DE LA TORCHE MONTAGNES PYRÉNÉES, VOUS ÊTES MES AMOURS HUNS PARTOUT QUEL CIRQUE LA DAME DE PIQUE LE MANS DANS LES POCHES LE FOURREAU NOIR DISTINCTION BOISÉE SAINT SÉRAPHIN PRÉVENTION GÉNOISE MINUIT, L’HEURE DES CRÈPES JOLI MOIS DE MAI LE PETIT GRIS DANSE MACABRE 2 CV FIN PANNE ET PIÈCE LA MOTO FILE L’OURAGAN NOIR LES ZORROS FOOTBALL EN NOCTURNE QUARTIER D’ÉTÉ MILK-BOX COURSE À LA MER LES INDIENS DE L’EAU VINHO TINTO BIGOTES AL’LAGO LA FILLE DE L’AIR COURS DE LA MANCHE LES POMMES ET LE SERPENT PASSE ET TREPASSE METRO SOLITUDE MISS PIDGEONS LE DIABLE DANS LE BENITIER LE MOULIN DE L’OUBLI JE N’AI RENCONTRÉ PERSONNE MUSIQUE PLANANTE OÙ VAS-TU CHAQUE NUIT ? FROMAGE AU SILENCE RENTRER BUSINESS BILLET DE BANC L’VIV, TERMINUS KIEV-PARIS LES SCOUTS ERRENT LA DAME DES MARAIS LE CAMP-MISSION LE VOLCAN PARKING BLUES PÈRE NOËL ET PÈRE FOUETTARD L’ENFANT UNIQUE SIX ET QUATRE PLAISIRS FANÉS REINE D’UN JOUR LES AMIS DE RAYMOND DEMI-TOUR EN FRANCE D’EN BAS (MAIS EN HAUT) LE CASQUE DE BRIANÇON CRIME À PÉAGE SEPT ANS DE BONHEUR LE PONT DES COLERES PEINT À FRESNES MONSIEUR MADAME LE MÉTÉORE PARADIS PERDU
Aux trois frères : Loukhaan, Thalym, Athanaël mes petits-fils, cette part d’héritage
L’OISEAU LUMIÈRE
Planté entre les deux tilleuls ronds de la cour, il restait là, petit échassier malingre à tête pointue noire et blanche emplumé de hardes approximatives, pris muet dans le tournoiement de nos gambettes maigres et nerveuses levant une menue volée de poussière beige. Il arrivait en cours d’année dans l’école où je commençais mon primaire – pour repartir aussitôt, car c’était un forain. Ce terme général et dédaigneux désignait des gens sans feu ni lieu, sans foi ni loi, rétameurs, chiffonniers, bateleurs ou pire, chapardeurs, qui parcouraient nos campagnes frileuses. Précédé de « petit » et accentué sur la première syllabe, ce nom servait aussi à nos mères quand nous rentrions morvoux et crassoux, cheveux en pétard et genoux couronnés, culotte fendue et chemise sans boutons. Attendant la cloche du premier cours, cet oiseau migrateur pivotait gauchement sur sa détresse de perpétuel déraciné (j’ignorais alors la passion des fils du vent pour l’infini voyage) ; jaloux de nos rondes solidaires, il quêtait furtif et déçu nos sourires, nos regards, nos mots.
Ses parents allaient dresser pour la journée un petit cirque sur la place de l’église : une piste sans étoiles autres que des trous dans la toile mal rapetassée, trois bestioles pelées marmonnant derrière la corde d’un enclos bricolé, de vagues affiches écornées pendues à la diable et à la ficelle aux entrées du village, promettant pompeusement toutes les merveilles du monde et plus. Loin d’eux, malgré eux, malgré lui, leur enfant unique accomplissait son obligation scolaire, terré au fond de la classe, silencieux, englouti dans notre indifférence et muré dans son ennui. Mademoiselle Galisson à son bureau noir l’ignora, sûre d’avance qu’aucune réponse ne viendrait de cette tête restée ailleurs, cette tête emplie d’images, de sons et d’odeurs qui n’étaient pas les nôtres.
Vint le soir et le spectacle où, hardiesse revenue, il nous avait conviés. Et là !
Quelle formule magique, quel élixir de souplesse, quel souverain claquement de doigts d’un secret enchanteur ont-ils changé notre avorton muet du matin en artiste ? Son petit corps nerveux moulé dans un collant bleu nuit étoilée, jeté au ciel par le projecteur de son père, soulevé par les craquantes notes gaies d’un phono jusqu’alors inconnu de nos campagnes, il vole au trapèze en bel oiseau gracile et facile qui ne se posera plus. Nous voit-il, voûtés sur nos bancs tremblants. Sait-il que sa beauté efface notre ordinaire, sa lumière écrase notre ombre, son vol pulvérise notre immobilité. Sait-il, ce solitaire, qu’il est enfin désiré, qu’il a enfin des amis – mais qu’il ne les reverra jamais.
Et moi de rester là, sidéré, crevé de jalousie, poigné par la mélancolie d’un monde inaccessible...
LE GROS GRIS
Un camion. On refait la route plus loin, et c’est la noria du gravier et du goudron. Depuis qu’il va à l’école seul, à pied, l’enfant craint ces monstres surgissant du loin de l’horizon sur le chemin du bourg, c’est pire quand ils s’approchent dans son dos, annoncés par leur seul grondement. Et pourtant il doit y aller, en vélo pour la première fois, sa maman l’a envoyé faire une course, inscrite par sécurité sur un « mot de billet », elle sait que son tout petit homme perd la mémoire en courant comme les lièvres (et elle ne sait pas que ça s’aggravera au fil des années). Il s’agit d’un pain de six livres qu’il ramènera cisaillé par le tendeur, faisant l’accent circonflexe sur le porte-bagages. Et sans traîner, car l’orage que promet la chaleur pourrait le changer en éponge.
Un gros camion au gris d’éléphant renforcé par le noir des ailes, le conducteur trop haut perché, trop loin du volant pour qu’il voie le petit cycliste, d’ailleurs y a-t-il un conducteur, ne serait-ce pas un vaisseau fantôme. Il l’a vu passer la dernière fois il n’y a pas une heure, mais c’était à l’entrée de la ferme, derrière la barrière rassurante. Maintenant qu’il pédale, la voix caverneuse de la bête enfle, sa silhouette gonfle en tremblant dans l’onde chaude montée des ronds de goudron criblant la route çà et là, rendu luisant et fripé par l’été.
Le petit garçon vacille encore plus sur son vélo d’enfant rouge framboise au naturel brinquebalant — ses frères aiment beaucoup le cross ; le vélo, moins. Il ne tient dessus que depuis peu. (Le premier essai, dans une descente où il avait perdu les pédales, la selle mâchant copieusement ses fesses, s’était conclu par l’attaque en piqué d’un tas de pierres tapies sous des ronces qui avaient étendu l’offense à tout le corps). Ses tempes bourdonnent, son cœur va éclater, ses oreilles s’emplissent du bruit de son sang mélangé au vacarme du camion. Tétanisé, il ne pense même pas à poser pied sur l’herbe salvatrice du bas-côté.
Masse toute puissante maintenant toute proche, le mille-roues au long nez de tôle frémissante le jette au fossé par son seul souffle chaud et bruyant, puis victorieux s’éloigne dans un tourbillon de poussière suffocante : la peur a gagné. L’enfant ressort flageolant, livide, des bourriers partout accrochés à sa blouse grise jusque-là propre, un genou griffé de sang foncé sillonnant la crasse du jour, une bosse au front qui durera car il n’a pas sur lui le sou percé à poser posément dessus pour la faire partir – il croit aux miracles de Grand-Mère.
Heureusement la maison est proche. Il rentre en titubant — le vélo reste dans l’herbe. Un lit frais l’attend où tout habillé il tombe, non, il s’évanouit, se relève, vomit sur lui une aigre matière tiède et, bordé par Maman inquiète qui l’a lavé puis mis en chemise, si douce à sa peau, trouve la paix d’un sommeil où les camions ne sont que de pompiers, rouge et chrome au pied du sapin. Et immobiles.
LA MAISON VIEILLE
Sur le chemin du retour de l’école gisait, derrière un rang d’aubépine, une maison abandonnée. Amputée au nord d’un pan de mur, mangée jusqu’au toit par un sombre linceul de lierre, ouvrant la gueule de sa porte fracassée qui m’avalait un coup vaincues orties et ronces d’un bâton propice, cette morte me fascinait.
Nul autre bruit que le frout-frout furtif d’un oiseau fuyant mon effraction à vives froissées d’ailes. Nulle autre odeur qu’un fade relent de moisi gâtant le parfum d’une glycine, au nord, que l’abandon avait rendue conquérante. Interdit, je contemplais ces crépis éc

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