D une nuit les tentacules
293 pages
Français

D'une nuit les tentacules , livre ebook

-

293 pages
Français

Description

"J'ai fermé les yeux un instant. / Seules les ténèbres avaient des réponses à m'apporter". Une nuit de novembre 1986, une bande de détraqués s'introduit dans une maison pour y massacrer une famille. Caché dans le placard, le petit Léo est le seul à en réchapper. Mais, dévoré par la peur de se faire remarquer, il se coupe la langue, se condamnant au mutisme pour le restant de ses jours. Vingt ans plus tard, Léo est rattrapé par cette nuit refoulée de sa mémoire. Manipulé dans l'ombre par un homme aux motivations étranges, il découvre que le meurtre de sa famille aurait été commandité par Claude Colbert, intouchable figure du crime organisé aujourd'hui sur le chemin de la politique.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2010
Nombre de lectures 243
EAN13 9782296252837
Langue Français
Poids de l'ouvrage 6 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1050€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait
















A Julia et Anaïs, nos deux colombes.



« Don’t get any big ideas, they’re not gonna happen”

THOM YORKE






































































Les révélations de Jacques Caseneuve





« La tragédie se présente souvent sous les traits de l’imprévu. Est tragique
ce qui nous frappe durement sans qu’on ait pu s’y préparer. Sûrement
existet-il d’autres façons de définir la tragédie, je vous laisse aller vérifier dans les
dictionnaires si ça vous tente Colbert, moi c’est de cette définition dont j’ai
besoin pour continuer le récit que vous êtes venu me réclamer.
Certains événements tragiques creusent leur nid dans les esprits et s’y
installent à jamais comme des pensées insupportables, sans apaisement
possible, vouées à vous trouer le bide à chaque réminiscence. Il arrive des
choses trop épouvantables pour espérer les admettre un jour.
Comme il est capable de s’émouvoir d’un rien, l’être humain possède
aussi la faculté de guérir de tout. Il se relève des catastrophes, il reconstruit
après les guerres, il enrobe ses morts de nostalgie plutôt que de les pleurer ad
vitam… Néanmoins, confronté à certains drames, il lui arrive de sombrer
dans un désespoir tel que son existence se fige, que sa pensée n’évolue plus,
qu’il ne trouve nulle part motif de rémission à son calvaire. Parfois la
fragilité de la personne explique l’impasse dans laquelle il s’enfonce, son
absence de ressources face au martyre, mais il arrive aussi que les causes de
l’incurabilité résident dans les circonstances de la tragédie. Par exemple, qui
peut tolérer d’être séparé de l’un des siens par un crime de sang ? D’autant
plus s’il reste impuni. Comment transformer le meurtre d’un proche en
acquis d’expérience pour se projeter vers le futur ? Vaste question, n’est-ce
pas Colbert ?
J’ai été policier près de 30 ans, de 1958 à 1987. Je n’ai toujours officié
qu’à Paris et j’ai fini par ne plus voir cette ville que comme un microcosme
indigent de paumés, ceux que je croisais toute la journée, ceux dont pour une
raison ou pour une autre la vie avait été brisée quelque part en cours de route.
Les flics comme moi servaient de fusibles, mon rôle s’est borné à ramasser
les toxicomanes et les clochards ou à prendre la déposition de victimes
traumatisées par une agression dont elles n’allaient jamais complètement se
remettre.
Je n’ai exercé ce métier que pour la paye, je ne me suis pas attardé à me
fantasmer une quelconque utilité publique. En vérité, je n’ai pas cru en
grand-chose au cours de ma vie. J’ai aimé ma femme, que la maladie m’a


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arrachée il y a 10 ans, et j’ai essayé d’être un bon père pour mon fils Eric.
Ainsi quand il a pris la décision de rejoindre à son tour les forces de l’ordre,
je n’ai ressenti aucune fierté paternelle, tout juste un soulagement de le voir
s’orienter vers le contre-banditisme. Les membres des brigades spécialisées
sont plus solidaires…
En novembre 86, alors que je préparais ma proche retraite, j’ai été affecté
à la surveillance de la chambre d’hôpital de l’unique survivant d’une tuerie
qui avait eu lieu à Rueil. Je sais que vous voyez à quel massacre je fais
allusion. Mon boulot consistait à rester assis devant la porte et à ne laisser
entrer que le personnel de l’hôpital et les collègues. Une tâche à la portée du
vieux vétéran mal en point que j’étais déjà à cette époque.
Le témoin était un gamin de 6 ans… Mon dieu, ce qu’il avait vécu ! La
nuit précédente sa famille avait été assassinée dans des conditions qui
dépassaient la barbarie, et le dernier réflexe de son père fut de cacher le petit
dans un placard. De là il s’est retrouvé aux premières loges du carnage… Le
môme a vécu cette nuit-là une tragédie comme celle dont je viens de parler,
un de ces drames qui vous rongent à perpétuité.
Ainsi, le Léonard Brecht qui est à l’origine de votre présence ici ce soir
est né cette nuit du 13 novembre 1986, recroquevillé dans son placard à tâter
les parois pour trouver une issue, peut-être une porte magique menant à un
monde imaginaire. Qui sait avec les gosses… ? Alors que sa mère subissait
les assauts d’une bande de brutes encagoulées sous les yeux de son mari et de
sa fille, le petit Léo perdait l’esprit, caché dans une remise dont les meurtriers
de sa famille n’ont heureusement pas eu l’idée de vérifier le contenu.
Certes mes années de terrain m’avaient immunisé contre beaucoup de
choses, mais quand j’ai vu ce gamin perdu dans son lit d’hôpital, ça m’a fait
quelque chose, je peux vous le dire ! Les médecins m’ont expliqué qu’il avait
eu tellement la trouille de se faire remarquer cette nuit-là qu’il s’était
luimême condamné au silence en se coupant un bout de langue avec les dents.
Le pauvre môme n’a jamais retrouvé l’usage de la parole, une affaire de
centimètres il paraît. Il a serré la mâchoire si fort pour retenir ses cris qu’il
s’en est arraché plus de la moitié !
Vous devez comprendre une chose Colbert, quoi qu’il ait pu vous faire,
Léonard Brecht n’est jamais revenu de l’enfer. On ne guérit pas d’une telle
nuit, mais qui sait de quoi on peut être capable pour essayer quand même ? Il
a dû faire tant de cauchemars enfant ! Adolescent, il a dû commencer à se
demander s’il n’y aurait pas eu mieux à faire que de rester à l’abri pendant
qu’on massacrait les siens, s’il n’existait pas un moyen de s’échapper pour
appeler les secours. Et lui seul sait ce qu’il s’est raconté une fois arrivé à
l’âge adulte. Connaissant un peu le caractère du garçon, je pense qu’il a gardé
tout ça pour lui, sans communiquer sa douleur à quiconque, pas même à sa
famille d’adoption.



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C’est une tante qui l’a recueilli après le drame. Je l’ai rencontrée
quelquefois à l’hôpital, elle m’a semblé être une femme bien. Mais sans
doute sa bonne volonté n’a parfois pas pesé lourd face à l’ampleur des
démons qui se construisaient en Léonard. Et vingt ans plus tard ces démons
ont accouché d’une vengeance… A l’époque vous n’aviez pas été inquiété
dans cette histoire. Vous aviez sacrifié deux têtes pour vous couvrir et vos
amis avaient étouffé le fond de l’affaire.
Comme je vous l’ai déjà dit, mon badge ne m’a jamais donné la sensation
d’œuvrer pour la justice. Flic est un métier comme un autre, justicier n’est
pas une profession. Rendre la justice selon des codes donnés par la société
dans laquelle on vit, comme le font les juges, ce n’est pas être un justicier.
Un justicier n’est pas impartial. Pourquoi je vous dis ça ? Tout simplement
parce que Léonard s’est trouvé une vocation de redresseur de torts, ou plus
précisément redresseur des torts qu’on lui avait causés. Pour ma part,
j’admire sa force de conviction et je respecte son passage à l’acte. Les gens
comme vous sont tellement intouchables si l’on se restreint aux textes de lois.
Mais voilà qu’aujourd’hui un garçon armé de sa seule foi est parvenu à vous
diminuer, alors n’attendez pas de moi que je dissimule ma joie de vous voir
enfin acculé. Pendant toutes mes années de service, j’ai

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