Dans l abîme du temps
61 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Dans l'abîme du temps , livre ebook

-
traduit par

61 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

On sait que, 1908 à 1913, soit de ces dix-huit à ses vingt-trois ans, le jeune Lovecraft traversa une phase encore mal expliquée d'enfermement et claustration – sans laquelle probablement il n'y aurait jamais eu le grand inventeur de littérature que nous connaissaons.


C'est exactement à ces mêmes dates qu'une étrange amnésie se saisit d'un très honorable professeur d'économie à l'université, qui certes ne s'était jamais intéressé au surnaturel ni au paranormal. Et quand il reprend conscience et possession de lui-même, il n'a de cesse de comprendre ce qui a pu ainsi lui arriver – sauf qu'il doit suivre deux pistes en même temps : celui qui agissait sous son nom, doté d'étranges propriétés, et l'être encore plus étrange qui était lui-même, mais captif d'un monde étonnant et terrible, dont l'horreur est insurmontable.


Écrire de novembre 1934 à février 1935, alors qu'il reste à Lovecraft deux ans à vivre, d'abord une brève version de seize pages et puis le manuscrit que nous connaissons, c'est seulement en 1994 que nous disposerons du manuscrit original, et d'une édition non fautive, qui a servi de base à cette nouvelle traduction.


Les temps inconnus de civilisations qui nous ont précédés, la coexistence et la possible communication mentale entre des espèces vivant à différents points et époques du cosmos, Lovecraft pratique ces thèmes depuis toujours (lire "Dagon" ou "Par-delà le mur du sommeil", ces deux textes dès 1919). Dans cette période où s'invente la science-fiction, le récit de Lovecraft devient livre-culte : jamais on n'a jonglé avec autant de fascination hallucinée avec les règles du temps.


Mais si le coup de force, ici, était moins dans le thème que dans ce qui nous relie au monde du narrateur ? Jamais Lovecraft n'a affronté d'aussi près la possible continuité et porosité entre le monde dit normal et l'horreur toujours présente au fond de nous-mêmes.


À quatre-vingts ans exactement de sa première rédaction et publication, toujours un livre du vertige.


FB




Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 20 août 2015
Nombre de lectures 46
EAN13 9782814510111
Langue Français

Extrait

Dans l'abîme du temps


Howard Phillips Lovecraft


nouvelle traduction et introduction par François Bon

The Lovecraft Monument
ISBN 978-2-8145-1011-1
dernière mise à jour le 19 août 2015
en guise d’introduction
Et si nous avions à rouvrir Dans l’abîme du temps parce qu’encore plus concernés qu’en 1935 par une fiction de l’effondrement des mondes ?
Qu’est-ce qui nous met si mal à l’aise, à mesure qu’on s’enfonce linéairement dans ce récit d’un seul crescendo ? Sa logique narrative imparable, en permanence tendue à la mince frontière du rêve et de l’hallucination du vrai ? Ou les angoisses archétypiques du rêve lui-même, bâillements d’abîmes noirs, séparation paralysée d’avec son propre corps, statut flottant de souvenirs obsessifs...
On a affaire à un texte du dernier Lovecraft. Commencé sur un bloc de papier ligné petit format le 10 novembre 1934, une première et brève rédaction de seize pages, une seconde développant chacune des figures successives en soixante-cinq pages, qu’il termine le 22 février mais ne le satisfait pas (lettre à Derleth le 25 février : « c’est la seconde version, mais je ne sais pas si je ne vais pas la détruire comme la première », et lettre à Barlow du 16 mars 1935 : « je vais la détruire et faire une troisième version » : la destruction de la version précédente pour tout récrire de mémoire ?). Un Lovecraft désabusé : trop de textes refusés, et celui-ci il se refuse même à le dactylographier sur sa vieille Remington 1906, « peut-être que je vais abandonner l’idée pour un an ». La phobie de Lovecraft à ce moment pour la dactylographie signifie de fait, même s’il accepte de le faire circuler, que nul éditeur de magazine ne le lui achèrera : « et n’oubliez pas de prendre une loupe pour décoder les hiéroglyphes », dit-il en l’envoyant à Barlow.
Et c’est le dévoué Barlow, dans cette étrange relation de l’adolescent et de l’écrivain à la fois célèbre et méconnu, qui lui fera la surprise d’une copie dactylographiée, mais sans avoir inséré l’habituel carbone, puisqu’il attend d’abord les corrections de l’auteur. La relecture ne lève pas encore les doutes de Lovecraft : son Australie, où il n’est jamais allé et dont on n’aperçoit que le vent et les sables, est-elle crédible ? Rôle décisif pourtant de cette écriture par version, permettant de récrire chaque élément successif sachant par avance son rôle dans la résolution du récit, pour établir l’imparable machine logique.
D’où vient la force de cet imaginaire, la puissance de ses images plastiques, la raideur obsessive qui en survit longtemps après le texte ? Lovecraft n’a rien d’un illuminé. Il est un visiteur assidu des bibliothèques et des musées. Les éléments d’archéologie antiques, la statuaire des temps primitifs, l’importance de Rome et de la Grèce, c’est des musées de Boston, New York et Washington qu’il la tire et l’affine. Les récits d’archéologie, dans ce début du XXe siècle, c’est la compréhension des villes superposées de Troie et l’importance de l’écriture dans le monde mésopotamien. Ses dix ans d’implication principale dans le journalisme amateur ont mis Lovecraft au contact de toutes les recherches scientifiques : ici on évoque Einstein pour ce mystère d’une relation dimensionnelle du temps à l’espace, mais de quelles découvertes biologiques sont issues les images des étranges entités des premiers temps du monde, qu’il affronte sans détour ? Gardons-nous d’assimiler ces puissantes fantasmagories, dépouillées et mûries d’une érudition considérable, aux infinies résurgences qu’elles ont eues depuis lors dans la littérature de genre – elles sont l’aura poétique même de Lovecraft, appartiennent à la langue et non aux images.
Ajoutons ce goût du voyage, même lui qui n’a quasiment aucune ressource financière, capable de passer des journées entières dans les autobus pour éviter de payer des nuits d’hôtel, dès que le printemps arrive et jusqu’au milieu de l’été : périodes où, s’il a toujours avec lui le carton qui lui sert d’écritoire, toute la pulsion d’écrire passe dans les milliers de lettres et cartes postales saturées de mots (ou son permanent travail alimentaire de ghostwriter , correcteur et réviseur d’écritures mortes, qu’il continue même en voyage, pas le choix), l’écriture de fiction revient l’hiver abruptement, dans sa chambre de Providence, levé à midi et écrivant la nuit, avec des mois sans y revenir. Les deux années précédant Dans l’abîme du temps , il visite fasciné les gouffres souterrains de Virginie, citées dans la fiction.
L’amnésie comme biais pour que la fiction échappe aux lois du réel ? Lovecraft meurt brutalement, à quarante-sept ans, dans un moment où à la fois s’établit une première véritable reconnaissance de son travail, et d’autre part un essor de la science-fiction comme genre, qui ouvre aux pionniers des Weird Tales un nouvel espace éditorial et surtout économique et lectoral. Peut-être même qu’il nous faut, de notre côté, oublier ce que nous savons de l’histoire ultérieure de la science-fiction pour appréhender le plein mystère logique et obsessif de ce texte : l’oeuvre de Lovecraft est tout entière antérieure à la constitution de la science-fiction comme genre. Dans ses dernières années, Lovecraft a pris distance avec sa vénération de H.G. Wells ou de Jules Verne : la théorie qu’il ne cesse de récrire, dans ses Notes sur l’écriture de fiction surnaturelle , ou le grand essai plusieurs fois réimprimé (mais en revue, toujours en revue, seulement en revue), de son vivant, Horreur surnaturelle dans la littérature , c’est combien la quête du fantastique est celle d’une frontière : amoindrir à l’extrême ce qui le sépare de la logique de la vie ordinaire. Tout est là. Dissoudre chaque saut qui ferait passer l’irruption surnaturelle comme idée fabriquée, si belle qu’elle puisse être dans La machine à explorer le temps de Wells ou Voyage au centre de la terre de Verne. L’ascendance de Lovecraft est ailleurs : dans la littérature onirique de Dunsany, dans les inventions menaçantes de Machen ou Crane (le narrateur de Dans l’abîme du temps habite une Crane Street).
L’amnésie comme sujet de fiction ? S.T. Joshi, qui a tant fait – sa biographie, ses rééditions scrupuleuses et l’édition de la correspondance – pour le renouveau des études lovecraftiennes, cite comme sources proches The shadowy thing de H.B. Drake (1928), et exhume un Français méconnu, mais traduit : Lazarus de Henri Béraud (1925). On peut y retrouver aussi un peu du mystère de ce très grand auteur qu’est Walter de la Mare avec The Return (1910). S.T. Joshi ajoute dans les possibles influences le film Berkeley Square , que Lovecraft a vu effectivement fin 1933. Mais qu’on parcoure les titres de chaque parution mensuelle de Weird Tales , le rôle de la variation sur un nombre limité de thèmes, et que chaque auteur de fictions surnaturelles explore, donne plutôt l’idée d’une ambiance générale, sans besoin d’aller fouiller le grenier des autres. Et ce thème du mental spolié et transporté dans un corps distant est présent dans La chose sur le seuil et dans les fascinants cylindres de Chuchotement dans la nuit, ou, dès 1919, ce qu’il explore avec un texte génétique de l’œuvre tout entière, Par-delà le mur du sommeil – la force de l’invention de Lovecraft, c’est qu’elle revient sans cesse explorer son propre noyau.
Reste, pour Dans l’abîme du temps , à en comprendre l’étrangeté logique. Une langue se développe par et avec ce qu’elle décrit. L’idée de carte, surface et territoire dans l’archipel qu’est le Japon ne coïncide pas avec nos perceptions géographiques, jusque dans l’écriture actuelle des adresses. Qu’on saute de là aux steppes mongoles, et la langue connaît si peu d’objets que pour eux elle n’emploie pas d’articles, ni de genres pour les noms – et le temps est aussi cycliquement identique à lui-même qu’on n’y utilise pas de temps pour les verbes. Plus haut, les peuples de l’Arctique ont près de dix mots différents pour les nuances de la neige : ici, il va falloir en permanence jongler avec nos désignations relatives du temps, quand son vocabulaire n’a valeur que pour son usage quotidien et la toute petite échelle de ce que nous savons de l’histoire. L’étrangeté ou la difficulté du texte, et la part funambule du traducteur, c’est ici. La liberté prise par exemple de gommer le mot aeon, resté courant en anglais mais devenu précieux chez nous, quitte à jouer de tout ce que Rimbaud a élargi dans les emplois du mot éternité, au pluriel y compris.
La langue de Lovecraft est capable d’un lyrisme insensé, qu’il réserve souvent à ses récits brefs (voir le brûlant Dagon ), et do

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents