Des nouvelles du sud
115 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Des nouvelles du sud , livre ebook

-

115 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Il est un sud géographique, gorgé de soleil, associé aux sourires faciles et aux fruits savoureux, ou à l'extrême, au sahel aride et au désert inhospitalier. Il nourrit des images auxquelles se superpose la réalité d'énormes villes cruelles, d'hommes et de femmes qui vivent de leur mieux un quotidien à la fois capricieux et terriblement prévisible. Il y a aussi un autre sud : celui qui oppose les humbles aux riches, les femmes aux hommes, le mandingue au français. c'est un sud mental, un imaginaire. L'on y croise des êtres perdus dans leurs rêves ou leurs peurs. Voici l'univers que nous dépeint ces nouvelles.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2011
Nombre de lectures 23
EAN13 9782296709751
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0474€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Des nouvelles du sud
 
 
 
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
 
ISBN : 978-2-296-13135-4
EAN : 9782296131354
Fantah TOURE
 
 
Des nouvelles du sud
 
 
L’Harmattan
 
P IGEON VOLE
 
 
Tous les jours, l’enfant accompagnait sa mère au marché. En chemin, elle s’arrêtait à la devanture du marchand de pigeons. Dans des cages de différentes dimensions, ils étaient là, le bruit discret de leurs ailes agitant l’air du petit matin. Il était fasciné ; il lâchait la main de sa mère, s’approchait d’eux, tentait de toucher ces plumes bleutées si proches, à travers le fin grillage. Quelques-uns, simplement entravés, les pattes liées par un bout de ficelle, sautillaient par terre à côté des cages. Ceux-là lui faisaient un peu peur. Il lui semblait qu’ils allaient le piquer de leur bec, ou rompre le fil de leur patte pour lui échapper à tout jamais.
 
Sa mère donnait quelques pièces en échange d’un pigeon que le vendeur attrapait dans un grand bruissement d’ailes. Parfois, elle le lui laissait tenir quelques instants, petite présence légère et palpitante contre sa poitrine, plumes glissantes et tièdes, comme impatientes de lui filer entre les doigts.
 
Mais c’était toujours la même chose : le pigeon n’était pas pour lui, sa mère finissait toujours par le lui ôter des mains pour le lancer dans le ciel. Et lui, pleurant d’impuissance, courait derrière. Il avait beau savoir que c’était un rite nécessaire pour que la journée commence bien, pour que la vente de sa mère au marché soit fructueuse, il pleurait toujours : il lui semblait que ces oiseaux lui étaient destinés, et que, si sa mère l’avait permis, il aurait pu les garder pour lui, les apprivoiser, jusqu’à devenir un petit prince des oiseaux entouré de battements d’ailes et de roucoulements. Mais les pigeons n’étaient pas faits pour les enfants, ni pour le jeu, ni pour la liberté. Ils devaient être utilisés à des fins pratiques, au même titre que les calebasses faites pour contenir le lait caillé ou le tabouret fait pour s’asseoir : ils étaient faits pour donner une bonne impulsion à la journée qui débutait et pour entraîner à leur suite les désagréments possibles.
 
Tous les matins, la scène se reproduisait : en larmes, il suivait des yeux les oiseaux disparaissant très vite dans le ciel, jusqu’à ce que sa mère le tire par la main et qu’ils continuent leur chemin.
 
Pus tard, bien plus tard, devenu adulte, chaque fois qu’il voyait un de ces oiseaux, il repensait à cette scène.
 
Lorsqu’il habita Paris, tout en haut d’un grand immeuble dans une chambre aux minuscules fenêtres donnant en plein ciel par-dessus le tumulte de la rue, il fut enclin à l’indulgence pour les gros et laids pigeons couleur de leur crotte.
 
L’hiver, il l’avait lu quelque part, il fallait leur donner de la matière grasse, et il abandonnait sur le rebord de sa fenêtre ses restes de beurre rance ou d’huile figée qu’il raclait au fond de la poêle et disposait en tous petits blocs irréguliers et jaunâtres qui disparaissaient très vite, ou qu’il retrouvait piquetés de coups de bec pressés, après avoir ouvert intempestivement un battant et dérangé un festin.
 
Pigeon vole, il entendit ce refrain dans la bouche d’enfants, un jour, et cela l’enchanta. Pigeon, oiseau à la fois domestique et sauvage, oiseau protecteur et divinatoire.
 
Aujourd’hui, même dans sa ville éloignée de tout, le lâcher matinal des pigeons pour porter chance a pratiquement disparu. Mais il ne comprendra jamais qu’on puisse se régaler de ces oiseaux accommodés aux raisins ou aux petits pois, cela lui paraît un sacrilège de mordre dans cette chair noirâtre, réputée tendre.
 
Et chaque fois qu’il en voit un en cage, il a envie de lui ouvrir la porte, de le tenir quelques secondes, puis de le lancer en plein ciel. Non pas pour remonter le temps, mais pour faire semblant de croire, le temps d’un battement d’ailes, qu’on peut changer favorablement le cours d’une journée, neutraliser les événements et rencontres fâcheuses ; que l’homme est un petit peu capable de maîtriser sa tranche de temps quotidienne. Peut-être est-ce pour cela aussi qu’en matière de couleurs, ses préférences vont à la gamme des gris, et qu’il affectionne particulièrement cette couleur : gorge de pigeon. Il savoure les sonorités de l’expression, il en caresse la douceur chatoyante et changeante. C’est une nuance rare, surtout dans les vêtements masculins. Elle est d’autant plus précieuse.
 
Gorge de pigeon : où a-t-il lu que certains peuples sacrifiaient ces bêtes, tranchaient ces cous vibrants de vie, toujours pour se protéger, ou pire encore, tentaient de lire leur avenir dans leurs entrailles ? Impossible et révoltant.
 
Pigeon vole, enfuis-toi loin de cette humanité barbare. Tu ne dois lui servir, pacifiquement, que par la trajectoire de ton vol. Pigeon vole et ramène-moi aux clairs matins où tout le bien imaginable est possible, où tout le mal peut être conjuré. Pigeon vole, vole, vole, tu n’es entravé et enfermé momentanément que pour mieux te délivrer.
 
Et même si je suis en grande partie responsable de ma journée, exonère-moi de la responsabilité, de l’ennui et du malheur.
 
Ouvre-moi le chemin céleste de la joie, que les enfants ne te chassent pas à coups de pierre, mais apprennent eux aussi à interpréter ta course, même dans ces pays froids où tu souilles les bancs des parcs, où l’on a oublié que tu pouvais être un messager indispensable. Dissipe les fumées des villes, abolis les espaces, peuple les hauteurs de tes cris discordants. Prends ta liberté loin au-dessus des servitudes des hommes. Peu importe que tu me manques de grâce, que ton œil rond soit un peu bête. Pigeon vole, et fais-moi croire en ma liberté ; si tu indiques une mauvaise direction, je rebrousse chemin ; si ton élan rectiligne est de très bon augure, tu m’entraîneras dans ton sillage. Pigeon gavé par les vieilles mémés des jardins publics, par la grâce de ton vol lourd et bruyant, tu renoues avec la magie de l’enfance.
 
Parfois, il rêvassait, il divaguait sur ce thème. Il se sentait plus léger après. Il espérait, grâce à ce souvenir sans cesse ravivé nouer sa propre enfance à celle de ses enfants et de tous les autres enfants.
 
J ACQUELINE
 
 
Jacqueline, c’était, physiquement, la disgrâce, une vieille femme pas très propre au corps bien amoché par la vie : une jambe morte qui traînait toujours derrière elle, et, conséquence de cette boiterie, une allure désarticulée, des sursauts de culbuto. Des mains déformées et noueuses aux articulations, et par-dessus tout cela comme un voile de crasse, reste d’un cocon dans lequel elle se complaisait : sa maison squattée par une bande de chats, toujours obscure, encombrée et malodorante.
 
Parfois on voyait sur son front comme des tatouages noirs, d’autant plus visibles que pour le reste sa peau était fraîche, unie et rosée sous les cheveux blancs. Jacqueline, c’était aussi la négligence, des vêtements larges de couleur sombre, toujours les mêmes ; une blouse lâche et un pantalon en jersey. Aux pieds, des mocassins déformés.
 
À la maison, elle arborait un pyjama chinois bleu passé, constellé de tâches. Jacqueline, c’était surtout un feu d’artifice de rires, d’idées, de souvenirs, de facéties. Elle livrait petit à petit à son interlocuteur des bouts de sa vie aventureuse et complètement extravagante : elle avait fait la guerre d’Algérie comme reporter indépendant, seule femme au milieu des bidasses, j’imagine que c’était dans le camp des Français ; elle disait en riant que tout le régiment lui était passé dessus ; aussi s’attribuait-elle une compétence pratique de sexologue.
 
Le sexe : c’était quelque chose dont elle parlait très librement, elle tenait à faire savoir qu’il existait pour le troisième âge, et qu’elle en goûtait tous les plaisirs. Scandale pour les petits jeunes pudibonds de son entourage !
 
Elle racontait aussi qu’elle avait vendu des voitures en Amérique, où elle s’était fait passer pour une rescapée des camps à l’entrée d’une synagogue dont on lui ref

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents