Droit de cité
176 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

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Description

Qu'est-ce qui m'a amenée dans le bureau de Mourad, au pied de la grande tour en cette journée de mai 82 ? Moi, Anne-Marie Seguin, documentaliste de profession, j'accompagnais un réfugié soudanais qui avait déposé ses papiers à ce Centre. En acceptant d'y travailler bénévolement, je suis devenue une intime de la Cité. Tout est pourtant fiction dans le récit que nous livre l'auteure. Si elle a choisi de nous entraîner dans une cité à dominance algérienne et musulmane, c'est parce qu'elle s'est engagée dans le dialogue islamo-chrétien depuis quelques années.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2007
Nombre de lectures 36
EAN13 9782296916531
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

DROIT DE CITÉ
© L’Harmattan, 2007
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-04218-6
EAN : 9782296042186

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Paulette DOUGHERTY-MARTIN


DROIT DE CITÉ


Un roman de la banlieue


L’Harmattan
AMAR
Je crois qu’elle est folle ! »
Amar me disait ça avec une sorte de gourmandise, comme si sa découverte en devenait plus appétissante. Je le croisais de loin en loin, comme tant d’autres habitants de la grande tour, depuis que j’avais mis un pied dans la cité. Je vous raconterai plus loin comment je m’y étais égarée, moi Anne-Marie Seguin, loin de mon monde mi-bourgeois mi-universitaire, et ce que j’y faisais « dans mon temps libre » – c’est-à-dire quelques après-midis par semaine selon ma disponibilité. C’était arrivé tout à fait par hasard, une bonne année auparavant. Depuis, sans avoir des compétences particulières pour ce genre d’activités, j’y fonctionnais comme une sorte d’assistante sociale bénévole – pour ne pas dire simplement comme bonne à tout faire ! – pour le compte de l’association loi 1901 qu’on appelait simplement « le Centre ». C’était moi maintenant qui m’occupais de la paperasse : cette paperasse qui empoisonnait la vie de cette population souvent encore illettrée – ou, en tout cas, allergique à cette déformation administrative qui pèse de tout son poids sur des gens de culture orale. C’est pour cette raison qu’Amar se trouvait assis en face de moi devant le bureau de Mourad.
C’était Mourad qui m’avait passé le relais pour le secrétariat. Cela ne l’empêchait pas de garder un œil sur tout ce qui se passait dans la cité. Il m’avait dit simplement qu’Amar avait à me parler. J’avais cru comprendre que ce travailleur immigré allant sur la fin de la cinquantaine s’était entiché d’une sorte de vagabonde, qu’il avait ramassée dans un square avec son enfant. Je ne résistai pas à l’envie de le taquiner :
Elle est où, maintenant, ta folle ? Tu ne vas quand même pas la ramener chez toi, dans la tour, non ? »
C’est pour ça que je suis venu te voir ; c’est à cause du petit, tu vois. Pour elle, l’hôtel je peux lui payer. Mais le petit, il faut de l’espace pour lui. Il commence juste à marcher, il faut de la place pour jouer. Plus tard, si ça s’arrange, ils pourront venir chez moi… »
Plus tard ? A quoi tu rêves, Amar ? Tu sais bien que ça ne peut pas marcher… Tu dis toi-même qu’elle est folle. Si encore elle était musulmane, tu pourrais peut-être la faire accepter, mais comme ça… D’ailleurs, qu’est-ce qu’elle veut, elle ? Lui as-tu même demandé ? »
Tu vas voir, tu vas voir. Tu vas venir avec moi, demain, j’ai dit que tu viendrais. »
Alors, comme ça, tu penses que je vais te sortir un appartement de ma poche ? Tu ne doutes de rien, toi ! »
Moi je doutais beaucoup. Pourtant c’est bien ce qui s’est fait. Comme si ce petit « studio » (un bien grand mot !) n’attendait qu’elle, comme si c’était tout programmé d’avance. Deux petites chambres de bonne décloisonnées avec les toilettes sur le palier, un 6 e sans ascenseur et un petit loyer trimestriel. L’idéal, somme toute, même si un deuxième loyer, pour lui, ce n’était pas rien.
Comment j’ai fait ? C’est un pote au boulot qui partait ; il m’a présenté à l’agence. C’est tout. »
C’est tout ? Un miracle, quoi. Et t’as de quoi le payer, en plus du tien ? Chiche ! Les agences, c’est pas des HLM. Tu sais pas tout ce qu’ils vont te demander… »

Amar, lui, avait tout préparé : les fiches de paye des trois derniers mois, sa carte de séjour de dix ans, le chèque de la poste certifié pour l’agence : un gros paquet pour lui, avec le trimestre de caution et les frais d’agence, sûrement six mois de son salaire de grutier, mais il n’a pas hésité.
A quoi tu veux que je le dépense ? J’ai personne. Je mets une tranche tous les mois dès que je touche – le reste, je sais que ça va passer au café. J’suis pas cinglé, moi. »
C’est vrai qu’on m’avait dit, au Centre, qu’il lui arrivait de passer deux nuits dehors, avec une bonne cuite – mais jamais quand il fallait qu’il travaille le lendemain. Son travail, il y tenait, et tout seul là-haut dans sa cabine il savait qu’il pouvait faire un malheur si jamais il arrivait éméché. Un peu amer comme il était, Amar, il réservait ses sourires pour ses co-équipiers. Dans la cité, il passait plutôt pour un sauvage.
La surprise n’en était que plus grande, qu’il ait ramassé cette fille avec son gamin dans le square, secret de polichinelle qu’il avait voulu chuchoter à mon oreille alors que la moitié de l’immeuble était au courant. Elle n’était pas le genre de personne qui passait inaperçue, puis on l’avait déjà vue traîner dans le square avec la cigarette au bec et le gosse à cheval sur ses épaules. Une bohémienne ? Non, elle n’avait pas le type, juste les vêtements. Puis elle avait une façon d’agresser le passant avec son air de dire « Je suis là, moi ! Et merde si ça vous incommode ! » Après la première nuit il avait jugé plus prudent de lui chercher la chambre d’hôtel, mais juste le temps de lui trouver ce nouveau nid loin des regards blessants. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien avoir, cette « Française », pour qu’il se soit entiché d’elle ?
Je n’allais pas tarder à le savoir. Noémie était bien folle, mais pas une folle comme les autres. Une de ces folles qui vous font un théâtre d’enfer, pour savoir si vous avez votre cœur sur la main ou dans la poche, si vous pouvez la regarder droit dans les yeux ou juste de biais. Echapper à son regard, en tout cas, était aussi impossible que ne pas la remarquer. Elle vous fouillait la tête, je le jure, avec ces yeux d’aigle qui vous épinglaient d’un regard venu d’ailleurs. Et ce qu’elle avait vu dans le fond de ce quinquagénaire qui ne payait pas de mine, ça lui avait plu.
Surtout que ce petit, pas à lui, il le considérait avec respect, tout blond et bouclé et maculé de confiture qu’il était. Il était à elle, pas à lui, et il n’allait pas se mêler de l’élever. Marché proposé, marché conclu : il lui avait proposé de le suivre et elle était venue.
Le studio ? Evidemment, il n’y avait pas de téléphone, rien du tout qu’un coin avec une gazinière pour cuisiner (gazinière qu’il n’avait pas tardé à remplacer par une plaque électrique : on ne savait jamais…) un grand matelas par terre, et rapidement des couches et des salopettes dans tous les coins et des dessous féminins pendus gracieusement aux fils électriques. C’est la seule chose qui le chagrinait, lui, qu’elle ne soit pas ordonnée. Propre, oui, mais elle non plus n’avait pas voulu de meubles, pas de rangements : « comme ça Gino peut jouer. »
Il ne s’en privait pas, le Gino ; c’était déjà ça. Jamais peigné, jamais débarbouillé, mais heureux, pour sûr. Les fils électriques qui traînaient étaient ma hantise, mais eux, ça n’avait pas l’air de les inquiéter. Il avait déjà pris un petit court-jus, maintenant il se méfierait. Quant aux mégots, ils n’étaient pas trop indigestes, apparemment. Il ne vidait pas les verres, Gino, et Dieu sait qu’il y en avait, depuis que les bouteilles vides posées négligemment sur le rebord de la fenêtre s’accumulaient. Amar en apportait toujours une avec le manger quand il arrivait le soir, après le travail. Le plus souvent il rentrait en catimini chez lui pour pouvoir partir plus frais le lendemain. Il était au pied de sa grue à 6 heures tapantes, et il y avait une bonne demi-heure de chemin de chez lui pour arriver sur son chantier.
Faut pas que je flanche maintenant, me disait-il. J’ai une famille à nourrir. »
Un jour, j’ai pu lui en faire dire davantage. Pudique comme il était, j’ai considéré que c’était un exploit. Qu’est-ce qui lui avait pris ?
Oui, d’accord : une famille. Je comprends que ça te tenaille maintenant, même si tu n’en avais jamais parlé. Mais tu aurais pu faire comme les autres. Tu n’as pas quelqu’un au bled qui aurait pu te présenter une petite femme

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