Fin de bobine
149 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Fin de bobine , livre ebook

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149 pages
Français

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Description

A quatre-vingts ans passés, Louis est un vieux metteur en scène de cinéma. Au lendemain de la remise d'un prix prestigieux pour l'ensemble de sa carrière, il quitte Paris pour la Suisse. Une nouvelle vie l'attend, une vie qu'il n'a pas souhaitée mais qu'il doit accepter...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2009
Nombre de lectures 50
EAN13 9782296679597
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

FIN DE BOBINE
STEVE MOREAU


FIN DE BOBINE


roman
© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-09276-1
EAN : 9782296092761

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
A la vie,
1
J’avais les yeux grands ouverts et pourtant je ne voyais absolument rien. Non, rien. L’image était noire. Mon esprit était concentré sur le son assourdissant des applaudissements. Je les entendais monter en force comme les prémices d’un tremblement de terre. Ils étaient puissants, énergiques, en rythme et la tonalité du claquement de la main droite dans la main gauche me permettait de conclure qu’ils étaient sincères.
Chaque paire de mains représentait un homme ou une femme, à des âges différents, aux émotions et aux goûts divers. Un carton d’invitation les avait réunis dans ce lieu, ce soir, à la même heure. Certains étaient des professionnels de la profession, d’autres les accompagnaient tout simplement : un agent, une maîtresse, un ami, un fils, une fille. Pourquoi étaient-ils présents ? Pour épater les copains dans la cour de récréation ou les collègues au bureau le lundi matin ? Peut-être juste pour dire : « J’y étais ».
Souriant dans ma barbe, je me dis qu’un certain nombre de ces personnes présentes aujourd’hui seraient peut-être à ma place demain. Je les sentais m’observer des balcons, comme lorsque l’on scrute une personne médiatiquement connue : comme une bête curieuse. J’étais un taureau dans l’arène. Prêt à être sacrifié ou starifié. Pour l’ensemble de mes confrères la situation était identique. Le spectacle n’était pas uniquement sur la scène de ce magnifique théâtre parisien, il était aussi dans la salle.
Pendant que l’animateur choisi – un comique afin d’essayer d’égayer l’ambiance toujours très tendue de la compétition – faisait tant bien que mal son numéro pour présenter la soirée, les professionnels s’observaient du coin de l’œil : tout ce petit monde, qu’ils soient acteurs, réalisateurs, techniciens, producteurs ou distributeurs, s’était croisé ou se croiserait bien un jour. Chacun observait son voisin comme un futur partenaire ou un futur concurrent.
Cette salle rouge sang me faisait penser à l’intérieur d’un vagin, où des centaines de spermatozoïdes en compétition frétillent, attendant chaque année de voir leurs espoirs s’effondrer ou se concrétiser. Assis sur leurs postérieurs, les pieds dans les starting-blocks, l’esprit aux aguets, ils scrutaient le déchirement de l’enveloppe qui allait annoncer l’heureux gagnant. Cet élu qui pourrait monter sur la scène, qui sortirait de l’ombre pour aller vers la lumière médiatique, artistique et financière, qui pourrait briller au sein de cette société et goûter à l’ivresse de la réussite.

Sur mon fauteuil rouge, je n’osais pas bouger de peur de faire grincer dans un moment non opportun la charnière qui permettrait au siège de se replier contre le dossier à la fin de la cérémonie. En haut à droite de ce même dossier, le numéro sept qui m’avait porté bonheur tout au long de mon existence était cousu dans un joli fil doré. Chaque fois que j’avais été en contact avec ce chiffre, une bonne nouvelle m’était arrivée.
Pour la première fois de ma carrière j’assistais à ce genre de manifestation et j’étais à mon aise. J’avais toujours refusé de venir à ces manifestations de récompenses.
Chaque année, je prenais le temps d’aller voir tous les films que l’académie nous demandait de visionner. Ils nous envoyaient un petit livret, dans lequel il y avait une description de chaque personnalité et de chaque film. Il fallait cocher des petites cases et y inscrire nos nominés, et ensuite désigner au second tour nos gagnants.
Les quelques fois où j’avais été nominé dans la catégorie du meilleur réalisateur, je n’avais pas osé voter pour moi. Un peu par superstition et surtout par respect vis-à-vis de mes camarades. C’était prétentieux et irrévérencieux. Et puis, je trouvais souvent que mes collègues avaient accompli un bien meilleur travail que le mien. C’est aussi pour cette raison que je n’avais jamais assisté à cette manifestation.

Je n’avais pas préparé de discours, pas de lettre de remerciement, rien. Etait-ce dû à mon vieil âge ? Ou était-ce dû au simple fait que je connaissais pour la première fois les résultats avant l’annonce des gagnants ?
J’ai toujours détesté l’esprit de compétition en matière artistique. Je trouve cela ridicule et malsain. Pourquoi vouloir constamment juger, expliquer des films qui ne sont jamais comparables les uns aux autres ? Mais le prix qu’on allait me remettre était pour l’ensemble de mon œuvre, ou plus modestement, de ma carrière. J’avais accepté de jouer le jeu et de me retrouver pour une unique fois dans l’arène. Je découvrais le privilège et la douceur d’avoir derrière moi un long passé.

J’avais toujours les yeux grands ouverts et l’image noire prit la forme d’un costume et se retourna vers moi. Je reconnus mon vieux complice, mon producteur, Léon Goldberg, qui tout en frappant dans ses mains, me souriait comme rarement il l’avait fait en douze films réalisés ensemble. Je me levai et découvris tout autour de moi les mains claquant fortement, tendues vers moi, prêtes à m’offrir ou à me voler quelque chose. Car les gens espèrent toujours s’accaparer un peu de notre succès, c’est humain. Et pourtant, combien la gloire est éphémère !
Ils étaient tous debout à m’acclamer avec leurs myriades d’yeux bienveillants. Des exclamations sortaient de leur bouche pour me remercier et me féliciter. Les femmes avaient des robes avec de larges décolletés et laissaient entrapercevoir des corps superbes de jeunes actrices et d’autres moins avenants de femmes d’un certain âge : que la vieillesse est cruelle !
Les hommes manquaient très souvent d’originalité. Leurs smokings avaient l’air plus rigides les uns que les autres. Ils ressemblaient à un banc de manchots. Seules leurs montres voyantes permettaient de faire la différence. Au fond de la salle, les techniciens, bien souvent moins fortunés, avaient fait des arrangements vestimentaires dont le style laissait parfois à désirer. Pour la plupart, ce genre de manifestation n’était pas leur fort et ils s’étaient équipés au dernier moment, pour la circonstance. Ces images me firent sourire car il y avait un charme unique à observer toutes ces personnes d’horizons divers et dont le seul objectif était : faire des films.

Léon me fit signe qu’il fallait que je monte sur scène pour recevoir mon prix. Ma fille Barbara m’embrassa tendrement et me prit par le bras afin de m’accompagner.
Après m’être difficilement extirpé des sièges alignés comme une haie d’arbres le long d’une route nationale, je commençai ma marche : fier d’être au bras de ma fille, cette superbe plante qui était mon plus beau film ; fier d’avoir tenu le coup durant toutes ces années magnifiques et parfois si complexes ; fier d’être récompensé par mes pairs pour ce travail qui m’avait obligé d’être loin de chez moi si longtemps.
A cause de mon grand âge, je marchais difficilement. Il me fallait faire des arrêts, comme des paliers de décompression, et le bras de Barbara m’aidait à nager jusqu’à la surface : la scène. C’était la première fois que je savourais le fait de marcher si lentement. Les applaudissements ne s’arrêtaient pas et plus je stoppais, plus ils montaient d’un cran. Je pris un malin plaisir à en jouer.

Je montai les quelques marches, moi l’homme de l’ombre et je me retrouvai dans la lumière d’une scène où j’allais recevoir mon premier prix. Les projecteurs inondaient mon champ de vision. Je passai de l’autre côté du miroir en devenant, le temps d’un court instant, acteur. J’avais le trac car je ne connaissais pas mon texte. J’allais devoir jouer mon propre rôle devant un public averti qui ne me pardonnerait aucune erreur. J’avais chaud, très chaud. Des gouttes perlaient sur les rides de mon front pendant que mon cœur transpirait de cette chaleur humaine. Il faisait d’étranges va-et-vient. Pendant un instant je crus même qu’il allait s’arrêter de battre, là, maintenant, pour toujours. Est-ce que cela aurait été grave ? Non, je serais mort entouré d’affection, que peut-on espérer de plus lors d’une nuit étoilée comme celle-ci !

Le comique de la soirée vint vers moi et remit avec beaucoup de respect – un autre privilège de l’âge – le prix entre mes vieilles mains. Les larmes aux yeux, j’observai cette sculpture horrible et très lourde. (Je n’ai jamais compris pourquoi l

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