L été hivernal
91 pages
Français

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L'été hivernal , livre ebook

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Description

Fonctionnant comme des révélations froides, ces cinq nouvelles découvrent cinq solitudes différentes. La perte du monde extérieur, l'impossibilité d'accéder à la réalité mènent dramatiquement à un espace poétique, dénué d'objets et d'êtres. L'écriture se fait seule, accompagnant chaque chemin de vie, que ce soit cet adolescent sur la plage dans L'été hivernal, ce jumeau perdant son autre dans Abréviation, ce garçon sans ami dans Des mots sans histoire, mais aussi ce clochard en bout de vie dans La rue déchaussée. Ecrit-vain vient clôturer cette quête silencieuse.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2010
Nombre de lectures 44
EAN13 9782296709645
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L'été hivernal
 
et autres nouvelles
 
 
 
© L’H armattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
 
ISBN : 978-2-296-13124-8
EAN : 9782296131248
 
Evelyne Vijaya
 
 
L’été hivernal
 
et autres nouvelles
 
 
L’H armattan
 
« On ne tombe pas toujours dans la solitude,
parfois on y monte »
E.M Cioran.
 
L'été hivernal
 
«  T u ne vas pas rester enfermé dans cette chambre d'hôtel durant toutes les vacances ! ! , hurle mon père, c'est pas possible d'être aussi mou que toi ! Regarde les autres gens de l'hôtel, ils prennent l'air, hein, il fait beau, alors sors, comme tout le monde...
Suis-je tout le monde ?
— ... ce n'est pas possible ça ! Tu as la mer juste en face de toi et tu préfères t'enfermer ! Tu pourrais profiter de cette mer ! Ce n'est pas possible ça ! ...
Il répète les mêmes phrases qui ont comme un écho en moi...
— ... prends tes affaires ! Et on y va tous, ta mère, toi et moi !
Je ne peux pas sortir. Je ne sais pas sortir.
— Oui. »
Envie de m'échapper par la fenêtre et de courir dans l'obscurité de mon âme.
 
Je traîne derrière mes parents, les yeux baissés. J'aurais aimé blottir ma solitude dans une couverture de tendresse mais pour moi il n'y a que la paille sur le sol.
« Qu'est-ce que tu fabriques ? ! , s'écrie mon père, avance ! » J'avance. Sans savoir. Sans comprendre. Le soleil brille de tous côtés, impossible de l'éviter. Il y a le monde de tous côtés, impossible de l'éviter. Le soleil et le monde s'infiltrent dans mon corps, courent, s'enfoncent et coulent jusqu'au bord de mon cœur. Du fond de ma personne j'observe le sol mouillé d'un horrible bonheur.
Nous sommes depuis deux jours sur la Côte d'Azur et ces deux jours représentent à mes yeux des couleurs de désespoir car mon cœur est devenu une de ces palettes d'abandon qui s'étale dans l'oubli.
Je ne peux pas vous expliquer. Je ne peux pas vous dire pourquoi l'été est depuis quinze ans l'objet de ma plus grande peur et de mon plus grand malheur, tout ce que je sais c'est que vous ne me comprenez pas, et c'est peut-être cela le pire.
 
Ma mère installe nos trois serviettes de plage et mes parents s'allongent, se regardent, parlent, rient. Cette tendresse m'énerve et je me hâte alors de leur tourner le dos. Heureusement j'ai gardé mon col roulé noir, sans lui c'est la déroute. Je me sens mieux, beaucoup mieux avec lui.
J'observe des enfants qui jouent au ballon, un groupe d'adolescents qui rient. Plus loin une dame met de la crème sur le dos de son fils. Plein de gens courent sur le sable et partent vers la mer.
Moi je joue à désespérer, je ris de mon silence, je passe de la crème sur ma solitude, je cours dans mes songes et je pars vers ma mort.
« Allons nous baigner ! s'exclame ma mère, tout excitée.
— Oui, approuve mon père, tu viens ?
Ouvrez la parenthèse, je me sens mal, juste envie de me crever l'existence, fermez la parenthèse.
— Non, dis-je, allez-y, je vais... profiter du paysage.
— Bon..., c'est comme tu veux. »
Sa voix grave et sévère plonge mon regard vers le sable..., plus bas encore. Je daigne regarder mes parents s'amuser ou s'éclabousser.
Et là, assis au creux de mon ombre, je rêve de pluie, de sang, de vieux roseaux qui bavardent qui me disent que le soleil ne viendra plus assommer ma joie.
Est-ce que, si la mer arrête d'écumer, je pourrais me noyer dans ses eaux bleuâtres ? Est-ce que, si le ciel cesse de cisailler l'espace, je pourrais me confondre aux nuages noirâtres ? Est-ce que, si les hommes cessent d'être, je pourrais quand même aller me battre ? Est-ce que, si les tueurs disparaissent, je pourrais tout de même quémander qu'on vienne m'abattre ?
« VIENS NAGER ! ! me crie soudain mon père, revenu de la mer, l'eau est bonne, et ne reste pas là bêtement à rêvasser, VIENS !
— Non papa je préfère...
— VIENS !
Ses sourcils broussailleux. Son air violent. Ses poings serrés. Impossible de tenter un argument qui ne serait autre qu'inutile. Mes mots seront sourds ; alors, péniblement je me lève. Je suis debout, oui, et j'ai l'horrible impression que tout le monde me regarde.
« Mais qu'est-ce que tu fabriques avec ce col roulé ? ! hurle mon père, ENLEVE-LE ! !
Il a crié si fort que tous les regards se sont tournés vers nous. Et sans que je comprenne, que je sache, il me pousse brutalement vers la mer.
— Allez ! C'est pas vrai ça ! ! »
Et là je ne peux plus. Je cours, les larmes au dehors, les larmes à l'intérieur, les larmes à l'extérieur, les larmes partout, nulle part... ! Elles se heurtent à tous les recoins, elles s'élancent dans la peur de s'éteindre, elles se cognent contre ma tête ; je ne distingue plus qu'une vulgaire flaque dans laquelle je me noie. Mais JE NE SAIS PAS NAGER ! Je ne sais pas ... Les larmes, l'eau de mer acide, ma peur et ma honte se mélangent pour ne devenir plus qu'un âcre liquide de désespoir. Pourquoi personne ne va-t-il me sauver de ces eaux étranges ? Pourquoi est-il impossible de fuir définitivement cet affreux monde ensoleillé qui va, qui vient, mais qui ne part jamais ? Je n'ai que moi comme adresse... Je ne veux plus voir ni le ciel, ni la mer, ni le soleil ; j'aimerais que ma vie ressemble à une de ces régions merveilleuses où persistent l'hiver, les arbres morts, les arcs-en-ciel obscurs et les cœurs glacés.
Tout honteux je reviens. Ma serviette de plage percute mon regard et quelques enjambées suffisent à me délivrer du monde obsédant.
« Alors, l'eau était bonne ? me demande mon père avec ce grand sourire que je connais trop bien.
— Excellente, dis-je sèchement. »
La mer. Mon père. J'ai envie de les tuer ces satanées océans qui écument de rage et j'ai envie de vider ma colère de vagues sauvages ; mais j'ai surtout envie de m'échapper par une porte mais dehors il n'y a aucune porte qui donne accès à ma chambre ! Impossible de vomir ces idées noires tranquillement.
Et j'attends. J'attends de partir. Mes parents ne semblent pas être pressés. Soudain au loin un groupe de trois amis, deux filles et un garçon, se dirige vers notre endroit. Je baisse instinctivement la tête, l'air coupable.
Mais coupable de quoi ? De tout : d'être, d'exister, de vivre.
J'essaie alors de me cacher sous ma frange, tel un pauvre résistant d'une guerre qui n'a pas lieu d'être.
« Salut ! s'exclame une des filles, tu es à l'hôtel Mareva ?
— Oui...
— C'est cool, nous aussi, je m'appelle Christine, ma copine c'est Véronique et lui c'est bastien.
— Salut ! me dit-t-il.
M'enfuir. Courir. Etre déjà parti.
— Tu vas à la fête ce soir ? Parce que...
Cette Christine continue à parler, à faire comme si une nouvelle rencontre naissait, insouciante comme le sont ce soleil et cette plage. Ils se sont mis à s'asseoir maintenant, à rire entre eux, à attendre que j'en fasse de même. Quelques moments encore puis ils se relèvent.
— On se retrouve là-bas alors ?
Je murmure un vague oui qui, sans le savoir, me condamne.
— Ok, à ce soir ! s'exclame-t-elle, tout enjouée. »
Non vous ne comprenez pas ! Je ne peux pas y aller ! Pourquoi ai-je répondu cela ? Vous savez j'ai dit n'importe quoi... parce que j'ai eu peur, peur de m'affirmer et de dire mon abnégation vitale. Je n'irai pas....
Si tu iras !
 
J'entre dehors. A la terrasse mes parents discutent avec des gens. A l'intérieur la salle explose d'humanité et je suis seul au fond de moi-même, au fond de ma surface, au fond de tout.
Je les vois. Ces trois amis. Rapidement ils s'approchent de moi.

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