L homme qui n avait pas eu de nom
212 pages
Français

L'homme qui n'avait pas eu de nom , livre ebook

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212 pages
Français

Description

En Afrique, le nom que l'on donne à un enfant à la naissance est chargé de symboles et de significations. La famille Wambo l'expérimenta à ses dépens et laissa aux autres le soin de nommer leur unique fils survivant. Tchenetseu, c'est à dire l'homme qui n'a pas de nom, devint ainsi l'homonyme de son grand-père mort à 90 ans. Dans cet univers ouest-camerounais, le jeune héros vivra avec les autres enfants de son âge en affrontant avec bravoure tous les écueils auxquels ils devront faire face.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2013
Nombre de lectures 9
EAN13 9782336320212
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

21ISBN : 978-2-336-30093-1
é ens et,
Siméon Tsemo
l’homme qui n’avait pas eu de nom
Lettres camerounaises
L’homme qui n’avait pas eu de nom
Lettres camerounaises Collection dirigée par Gérard-Marie MessinaLa collectionLettres camerounaisesl’avantage du présente positionnement international d’une parole autochtone camerounaise miraculeusement entendue de tous, par le moyen d’un dialogue dynamique entre la culture regardante – celle du Nord – et la culture regardée – celle du Sud, qui devient de plus en plus regardante. Pour une meilleure perception et une gestion plus efficace des richesses culturelles du terroir véhiculées dans un rendu littéraire propre, la collectionLettres camerounaisess’intéresse particulièrement à tout ce qui relève des œuvres de l’esprit en matière de littérature. Il s’agit de la fiction littéraire dans ses multiples formes : poésie, roman, théâtre, nouvelles, etc. Parce que la littérature se veut le reflet de l’identité des peuples, elle alimente la conception de la vision stratégique. Déjà parus Kanouo L. Fabrice,Éclats de vie, 2013. François A. NTSAMA,Un nouvel an pas comme les autres et autres nouvelles, 2013. Eustache OMGBA AHANDA,Les fleurs de l’âme, 2013. Juste Magloire BASSOGOG DIBOG,Nog Ndourou. L’éprouvé,2013. Dieudonné Éric NGANTCHA, Obama, Seumi et l’école du village, 2013. Dieudonné Éric NGANTCHA, Les gros champignons de Bangoulap, 2013. Moussa HAMAN-ADJI,Les masques de la vanité, 2013. Jeanne Marie Rosette ABOU’OU,Letter to Tita, vol.2, 2013. Jeanne Marie Rosette ABOU’OU,Letter to Tita, vol.1, 2013. Eugène Abel NTOH,Tempête sur le cocotier, 2013. Grégoire NGUEDI,Coup de foudre à Bouraka, 2013. Careen PILO,Quand l’espoir se réveille…,2013. Josué Delamour FOUMANE FOUMANE,La récompense d’un arriviste, 2013. Benoît NDI,La Rose de Jérusalem, 2013.
Siméon TsemoL’homme qui n’avait pas eu de nom
© L’Harmattan, 2013 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-336-30093-1 EAN : 9782336300931
Dans le modeste village de Bansei traversé par un petit ruisseau dénommé Mansi, était né le petit Tchenetseu. Cette dénomination donnée sans nuance ni honte au jeune garçon signifiait très exactement : « sans nom » en dialecte local. Il s’agissait de traduire le mieux symboliquement la série de malheureux événements survenus, pendant leurs dix années de triste union, au couple monogame formé par les parents de cet enfant.
A proprement parler, les géniteurs de l’enfant Tchenetseu, en l’occurrence, M. Wambo Samuel et Madame Maliédje Anne, étaient unis depuis plusieurs années par un authentique mariage suivant les règles de la tradition. Pendant leur vie en couple, ils avaient donné naissance successivement à six enfants dont trois garçons et trois filles. Tous étaient nés normalement, mais avaient succombé à très bas âges, en tout cas nourrissons, les causes étant aussi incompréhensibles qu’inexplicables. Traditionnellement, chacun de ces enfants nés pour le malheur de leurs pauvres parents, avait porté, qui les patronymes de leurs grands- parents paternels et maternels, qui ceux des oncles et tantes, soit encore en vie, soit déjà morts. Dans la tradition inviolable, l’image des adultes disparus devait être perpétuée à travers leurs descendants et cela se faisait simplement par la transmission des patronymes.
Tous ces enfants étaient morts dans leur prime enfance, âgés tout juste de quelques jours ou quelques mois. Les parents si durement éprouvés à répétition s’étaient soumis à une multitude de rites et pratiques coutumiers, à la fois singuliers et onéreux. Comme d’habitude, en pareils milieux, de nombreux soi-disant sages et meilleurs devins avaient imaginé toutes les causes de cette situation, sans par ailleurs omettre d’édicter les solutions destinées à conjurer ce diabolique sort. Toutes les conditions requises par les sages et
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voyants avaient été remplies, mais rien n’y fit. Le couple en question, d’une conduite sociale par ailleurs sans reproche, avait continué à faire des enfants qui continuèrent à mouraient toujours après quelques jours. Chaque fois que la malheureuse Maliédje Anne devenait enceinte, un véritable masque de deuil enveloppait son visage. Elle plongeait subitement dans un état de profonde tristesse, voire de dépression. Car non seulement cela n’était déjà pas très facile pour elle, multipare en échecs successifs, de conduire une grossesse, mais il sourdait déjà en elle de noirs et sombres pressentiments. Elle vivait une longue période d’angoisse et de colère mélangées, en pensant au jour où elle accoucherait, soit d’un mort-né, soit d’un bébé à l’espérance de vie presque nulle. Et, comme d’habitude, le nouveau-né vivant devrait recevoir le patronyme significatif d’un aïeul.
En tout cas, la période de gestation, en général gaie et joyeuse, était plutôt morne et triste pour cette jeune femme qui n’appréciait pas en l’occurrence les félicitations usuelles. Elle vivait plutôt comme une recluse. La conception de Tchenetseu, après la funeste série subie par ses malheureux parents, avait logiquement fait ressurgir des souvenirs douloureux. Cependant, la coutume et les usages l’y obligeant, la jeune future maman fut l’objet de tous les soins dus à son entourage et dignes de son délicat état.
Aussi supporta-t-elle comme les autres fois, et très dignement du reste, son état, traversée constamment par des sentiments d’indignation.
Les mois s’écoulant, les symptômes du développement circonstanciel de son corps auxquels elle était déjà plus au moins habituée, paraissaient progressivement. Puis arriva le moment de l’accouchement. Suivant la coutume, à cette époque à cet endroit, en marge des pratiques de la médecine moderne très peu connue et rarement sollicitée, la venue au monde de Tchenetseu fut supervisée par deux accoucheuses
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traditionnelles bien entraînées. Ces « tradipraticiennes » comptaient dans leur palmarès des dizaines d’enfants dont elles avaient redressé les têtes. Cette fois-ci, ces expertes réussirent parfaitement leur noble et heureuse besogne. Ensuite, Tchenetseu naquit aucune souffrance spéciale pour sa mère. Il poussa instantanément ses premiers cris de circonstance, ce qui autorisait, suivant la coutume, la rapide préparation et la consommation du couscous à la sauce gluante.
Les deux sages-femmes traditionnelles qui avaient supervisé la délivrance avaient été sollicitées pour passer environ deux mois auprès du nouveau-né et de sa mère. Elles devaient, toujours selon la coutume, soumettre celui-ci et sa jeune mère à un régime et un système d’alimentation spécifiques, à double objectif : pour le bébé, des rites de vaccination de la race d’appartenance de celui-ci et cela jusqu’à la circoncision du jeune mâle ; pour sa maman, les divers soins des expertes, nécessités par les traumatismes subis par son organisme pendant la délicate période de la grossesse.
Les sages-femmes traditionnelles avaient terminé leur « consignation » : le corps du nourrisson s’était consolidé et sa maman était autorisée à le porter dans ses bras, à appliquer le bout de son sein sur sa bouche, à le laver et à enduire son corps de la poudre rouge d’acajou. Et il fallait passer à l’application des dispositions apprêtées avec le concours des familles concernées, pour que la naissance de cet enfant comble durablement de joie, non seulement ses géniteurs, mais plus encore et davantage ses multiples ascendants. C’était le moment de demander au père et à la mère du nouveau-né de communiquer le nom qu’ils avaient choisi pour l’enfant. Interpellés avec insistance par les plus proches, tant le père que la mère semblaient s’être bien concertés et avaient déclaré avec la plus grande fermeté qu’ils n’avaient, de façon bien consciente, rien prévu en guise de nom pour ce
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nouveau-né. Cette déclaration fut une surprise, mais seulement apparente, pour quelques intimes qui repassaient tout de même en mémoire les divers drames déjà subis par le couple. Des suggestions fusèrent de part et d’autre pour proposer des noms à connotation dramatique qui, à travers la contrée, symbolisaient des situations similaires vécues par certaines familles.
Bien entendu, après avoir vu et revu les propositions pertinentes et suggestives, le couple considéra qu’aucun des noms à lui proposés n’était apte, même partiellement, à adoucir les angoisses cumulées au fil des années. Car en fin de compte, aussi bien l’homme que sa digne compagne savaient qu’ils avaient honnêtement, comme le voulaient la tradition, donné à chacun des enfants nés dans leur couple, les noms des ascendants masculins ou féminins. Ils avaient cherché comme tout le monde dans le clan, à voir dans chacun des enfants qui naissaient d’eux, l’image virtuelle de leurs propres parents ; et ils estimaient qu’ils avaient lamentablement échoué. Ainsi et de façon tout à fait sereine, les deux membres du couple âgés respectivement de trente-cinq et trente-deux ans, en remémorant les décès de leurs six premiers enfants, répétèrent à la surprise générale qu’ils ne donnaient aucun nom à cet enfant. Ainsi, l’enfant grandit et atteignit l’âge de prononcer ses premiers mots, puis celui de réagir aux interpellations de son papa et de sa maman. Ceux-ci convinrent tout bonnement d’interpeller leur fils par le terme « Tchenetseu », c’est-à-dire « pas de nom » en langue vernaculaire comme déjà relevé. Après avoir résolu cette énigme, une réunion élargie de la famille fut convoquée afin de consacrer ce fameux nom de Tchenetseu, tout à fait étrange, jamais porté par quelqu’un d’autre, du reste aussi loin que l’on remontait dans le temps.
Tchenetseu survécut. Des jours et des mois après sa naissance, il continuait à grandir normalement, entretenu comme il le fallait par sa tendre et jeune maman. Celle-ci ne
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relâcha nullement sa vigilance malgré les déboires du passé. Une année s’était déjà écoulée depuis la naissance de Tchenetseu. Ce dernier était toujours vivant, solide comme tout enfant de son âge. Sa maman, Madame Anne Maliédje et son papa, M. Samuel Wambo, n’en revenaient pas de leur inénarrable pessimisme. Sans qu’ils osent l’exprimer en parole ou en geste, ils sentaient sourdre en leur for intérieur, l’espoir de vivre un jour comme tout couple, avec des enfants et le sentiment d’être désormais des parents sortis du miracle et de l’imaginaire pour vivre la réalité. En effet, le petit enfant grandissait vite. Après quelques mois de gazouillement, il prononça les mots magiques à les faire pâlir d’émerveillement, d’abord : « pa-pa » puis, quelques jours après, « ma-ma ».
C’est à ce moment que les parents de Tchenetseu dont aucun de leurs six premiers-nés n’avait atteint ce stade de survie, décidèrent une fois de plus de convoquer une réunion limitée aux frères et sœurs, cousins et cousines, pour constater ensemble ce changement, qu’ils avaient tout lieu de croire définitif, survenu après coup dans leur existence jusque-là triste et morose. Cette réunion surpassa en ambiance et en gaieté la rencontre qui avait suivi la naissance même de l’enfant sans nom, Tchenetseu. Elle fut ponctuée de nombreuses interventions, couronnées de chaleureuses prières pour le bonheur futur du nouveau-né, du couple à l’honneur et enfin, pour la prospérité de tout le clan.
Bien entendu, le nom déjà attribué à l’enfant, c'est-à-dire « pas de nom » ou Tchenetseu, figurait désormais sur un acte officiel d’état civil et fut maintenu. Pour les intimes, il convenait de sauver quand même la face en faisant de cet enfant, l’homonyme de son grand-père depuis peu décédé à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Dans le cœur des grands et petits membres de sa famille, Tchenetseu se mua en un « Ta Wamba ». Désormais, cet enfant, à travers celui dont il portait le nom, était, aussi bien affectueusement que
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