L inavouée
55 pages
Français

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L'inavouée , livre ebook

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Description

"On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans", comme l'écrivait Rimbaud. Dix-sept ans, c'est l'âge du narrateur de "L'inavouée". Poète amoureux de la nature, des oiseaux et de la plume, il se lie d'amitié avec Sylvain, un jeune romancier. Mai 68 déboule dans leur vie. Sylvain est appelé sous les drapeaux, le narrateur cherche la plage sous les pavés. Ce printemps, et l'Histoire, les séparent. La fêlure ira s'élargissant lorsque le narrateur rencontrera celle que Sylvain ne lui a jamais avouée.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2009
Nombre de lectures 236
EAN13 9782296667303
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0374€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’inavouée
Daniel MEYNARD




L’inavouée




L’H ARMATTAN
Quelques ouvrages du même auteur

La jeune fille et la neige, 1997 aux Éditions Julliard, roman. Sélection Fnac. Prix Gironde 1998 du premier roman.
Les énergumènes, NIL éditions, 2001
Cœurs Froissés, Editions Eden 2004, Folies d’Encre.
Le bateau feu, Éditions du Seuil 1996, Coll. C. Gutman.
Comme la lune, École des Loisirs 2000, « Médium ».
Dans la gueule du vent, École des Loisirs 2000, « Médium ».
Vol libre, École des Loisirs 2002, « Médium ».
La vache et le vaudou, École des Loisirs, Coll. Neuf.
Tu ne boiras pas la mer et les poissons, École des Loisirs, Coll. Neuf.
Ski me plait, Éditions Syros.


© L’H ARMATTAN, 2009
5-7, rue de l’ÉcoIe-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-07433-0
EAN : 9782296074330

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
À dix-sept ans, je n’étais pas sérieux. À cheval sur la fourche des arbres, j’écrivais, dans un carnet, des sonnets, des quatrains, des vers libres. Je chantais l’arc-en-ciel, le désir et les narcisses parce que ces fleurs me rappellent la neige qui rend le monde plus aimable.

À dix-huit ans, j’ai croisé le chemin de Sylvain dans un chalet d’alpage. Loué pour les adolescents par une association protestante, il était proche de Briançon. Au pied des sommets, on cueillait des gentianes bleues et fumait des Gauloises de la même couleur en lisant Marx, parce que l’église réformée faisait du doute un pilier de la foi. On se saoulait de paroles et de Cuba Libre, de projets, de petits soirs. Et un, et deux, et trois Vietnam. Le 14 juillet, on allait danser avec les filles de la vallée. On avait beau être des « intellos », les fortes poitrines des montagnardes nous attiraient. C’est que nos copines, ne portant pas de soutien-gorge, nous frustraient du plaisir d’en venir à bout ou de la jouissance exaspérée de ne pas y parvenir et de devoir, alors, glisser les doigts sous les dentelles et les ajours, les tissus transparents, toutes ces broderies délicates et féroces à la fois des préliminaires. De toute manière, on n’allait guère plus loin et ne s’envoyait en l’air que sur les ailes des fantasmes. On en parlait à mots couverts en revenant du bal, riant de nos frustrations pour espérer s’en libérer.

À dater de cette rencontre, on ne s’était plus quittés d’une virgule, Sylvain et moi, car on était, chacun, l’écho de ce que l’autre avait dit ou seulement pensé, son reflet intérieur. À dater de cet instant, toute possibilité d’ennui ou de solitude avait été abolie. Le monde était en nous. Indestructible. Illimité. L’éternité, soudain, nous advenait. On était innombrables et la preuve par deux que la vie et la littérature ne font qu’un. À nos yeux, écrire valait au moins autant que ce qu’on vivait et on notait quotidiennement ce qu’on avait vu ou entendu sur des bouts de papier. Sylvain reconstruirait ce puzzle à Paris, lorsqu’il retrouverait sa Japy mécanique. Moi, de retour à Alès, je l’essaimerais du haut de mes arbres comme des akènes de pissenlit, parce que j’aimais semer à tout vent. Pourtant, je me doutais déjà que, si je voulais égaler mon nouvel ami qui aspirait à vivre de sa plume, il faudrait que je redescende sur terre et me mette au roman, plus viable que la poésie. Or je trouvais ça trop exigeant, le roman. Ça me terrorisait, de devoir rester enfermé des semaines, des mois dans une chambre, loin des oiseaux et du sourire des filles en jupes légères. Trop long. Trop dangereux, aussi, quand on n’en revient pas. Ou pas indemne. Tout altéré. Raison de plus, plaidait Sylvain pour qui devenir un autre devait être le but ultime d’un auteur authentique. Et puis, ajoutait-il, tout romancier est un poète contrarié. Bon. J’avais compris que je n’aurais pas le choix. Si je voulais suivre les traces de ce garçon aux traits fins, aux yeux rieurs et aux oreilles de chauve-souris, il me faudrait en finir avec le langage fulgurant de « l’âme pour l’âme » qu’est la poésie selon Arthur Rimbaud.

Il faisait beau, en ce mois de juillet 1964, dans le Briançonnais. Le ciel était bleu nuit, presque noir. On ne dormait jamais. Sans cesse on s’amusait, entre deux ivresses, à mots perchés. Nos têtes tournaient jusqu’à l’aurore, saoules de dire, de se dire. L’aube avait des frissons de rosée. Des astres, désolés de devoir disparaître, brillaient encore une fois, très haut, très fort dans le cosmos, puis s’éteignaient. Nos yeux en rallumaient l’éclat. On respirait à pleins poumons le foin coupé, la marjolaine et le tabac. Dans les prairies piquées de pivoines d’un violet duveteux, quand les rayons du soleil rosissaient les glaciers, on s’en sifflait un petit dernier, pour la route, chacun buvant les paroles de l’autre jusqu’à l’enivrement et s’interdisant de sombrer dans le sommeil. Il nous aurait séparés l’un de l’autre, arrachés à cette rencontre unique, offerte à l’orée de la vie, qui venait de donner un nouveau sens à la mienne.

Quai de la gare, à Montdauphin-Guillestre. On va se quitter dans très peu de temps et s’interdit d’afficher notre émotion. Pas simple. On demande le numéro du quai parce qu’on sait qu’il n’y en a qu’un. Éclats de rire. Des forts Vauban dominent la vallée. Et le massif du Pelvoux, par-dessus tout. Les filles et les gars du midi prennent le car, les parisiens le train. Je n’embrasse pas Sylvain, je ne l’ai jamais fait, on s’est toujours serré la main ou tapoté l’épaule. Parfois on a improvisé des rituels comiques, comme de se tourner sept fois autour en agitant un tomahawak imaginaire, ou de s’adresser des grognements de Sioux, mais pas de bise. Je le salue d’un geste bref du menton et on en reste là, gorge nouée. Notre amitié est désormais si haute qu’on ne s’abaisserait jamais à la manifester. Et puis, à cette époque, les garçons ne s’adonnaient guère aux effusions. Le train s’éloigne, je regarde Sylvain me suivre de ses yeux plissés, comme s’il se fendait d’un ultime sourire, son front collé à la vitre sécurit, le bout de son nez laissant la marque d’un point de suspension dans la buée, reviens vite, je murmure, tu me manques déjà. Il est parti. Je cours sur les voies en imitant la démarche de Charlot pour amuser les copains et masquer ma détresse. Heureusement, on s’est juré de s’écrire chaque semaine et c’est ce qu’on fait, sitôt rentré chez soi. Au début, on s’écrit même chaque jour. On évoque nos voyages au bout de la nuit ou sur les chemins de liberté. On pastiche Céline ou Sartre, Vian, Beckett. On revisite Godard dont on répète comme des sésames les "Tu parles, Charles " et autres "Ça roule, Raoul". On se lance dans des diatribes sans fin contre De Gaulle et célèbre avec faste la mort de Dieu, en parodiant Zarathoustra. Surtout, dans nos missives, on chauffe la machine romanesque et s’entraîne à des galops littéraires devant son lecteur préféré, lui pour moi, moi pour lui. Sans indulgence ni concession. On sait que l’autre ne tolèrera jamais un cliché, une répétition, une facilité. On veut des musiques inouïes, des images inédites. On met en scène les petits riens du quotidien dont on s’applique à faire une œuvre, transforme toute personne en personnage, l’anecdotique en épopée. On se lance des défis, on veut aller plus loin que les surréalistes et tout nous est source d’inspiration, sauf nos vies sentimentales. Là-dessus pas un mot, l’intime doit rester non dit.

Après le bac, je m’inscris en fac de lettres à Montpellier. Je vis à Palavas-les-Flots où j’ai une barque et une fiancée. Catherine. Elle a des tresses brunes, des seins aux aréoles sombres. J’ai dix-neuf ans. Sylvain aussi mais son université à lui, c’est la lecture, il a quitté l’école à la fin de sa seconde. Pour survivre, il fait coursier et livre des bouquins pour une grande librairie du Quartier Latin sur une mobylette bleu pétrole. Moi j’ai une Vespa blanche. Quand je roule sur la côte, des nuées de moustiques se collent sur mes lunettes comme des décalcomanies vivantes. Le soir, j’écris mon premier roman dans un bureau aux volets clos pour éviter de voir la Méditerranée, j’ai trop envie de la chevaucher sur ma petite barque. Au bout d’un an, je termine "Jeux de Neige" que j’adresse à une maison d’édition parisienne. On me téléphone trois semaines plus tard pour m’annoncer que j’ai « les qualités qui désignent l’écrivain" et qu’on est prêt à me publier si je procède à un "petit toilettage". Ah non, je me ré

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