La cave
241 pages
Français
241 pages
Français

Description

Un homme mûr solitaire fait une chute dans l'escalier qui conduit à sa cave et se blesse. Coupé de l'extérieur, il attend un secours qui ne vient pas... jusqu'à l'arrivée d'un couple improbable, et surtout d'une jeune femme au comportement étrange, aux pulsions violentes, et au charme vénéneux.

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Publié par
Date de parution 01 janvier 2012
Nombre de lectures 22
EAN13 9782296478442
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1050€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2011 5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-56705-4 EAN : 9782296567054
La Cave
Pierre CASUPORO
La Cave
Roman
L’Harmattan
Chapitre I
Le jour tombe
endredi soir… V«Il vaut mieux entendre ça que d’être sourd ! » C’est mon grand-père qui parle. De quoi ? Je n’en sais rien. J’ai huit ans, je suis fasciné par ses oreilles, aux pavillons qui lui mangent la tête. Elles sont démesurées, blanches, cartilagineuses, les lobes pendent comme des breloques de chair flétrie. Il a vu que je le regardais, et me sourit. « Et je ne suis pas sourd, tu peux me croire ! » Je le crois sans peine, avec des oreilles pareilles, comment pourrait-il avoir des problèmes d’audition ? Un jour, je lirai dans une revue de vulgarisation scientifique que les personnes âgées voient leurs oreilles grandir en fin de vie, sans que l’on puisse attribuer cette croissance à un quelconque facteur. Personnellement, j’aurais tendance à croire que la nature a prévu de compenser la surdité due à l’âge par une augmentation de la surface du pavillon auriculaire. Ce souvenir des oreilles de mon grand-père est venu comme ça, comme pour égayer ma détresse de n’être pas entendu. Trois heures que je crie, que je hurle, que je m’époumone sans résultat. Je regarde ma jambe, elle fait un drôle d’angle. Elle est cassée, bien sûr, et je suis dans un drôle de sale pétrin. Le jour baisse. Il n’est pas plus de six heures du soir, mais l’automne est bien là, nous sommes le 27 septembre, moi qui ne fais jamais attention aux dates, celle-ci s’impose à mon esprit d’elle-même, et inconsciemment, je sens que je ne pourrai pas l’oublier.
8
LA CAVE
La douleur m’avait d’abord fait perdre connaissance. J’étais resté inconscient quelques minutes, je pense, avant de reprendre mes esprits, et de faire le constat. J’étais au bas de l’escalier qui mène à ma cave, donc dans ma cave, après une chute non maîtrisée. Pour descendre, j’avais fermé la porte derrière moi après avoir allumé l’interrupteur, et c’est à l’instant précis où le battant se refermait, que mon pied droit a glissé, sur quelque chose de mou. Mon coccyx a martelé les marches jusqu’en bas, ma jambe droite s’est repliée sous moi, et la douleur m’a assailli au moment même où j’entendais clairement le craquement de l’os qui cédait. J’ai soif. Je me suis tellement égosillé pour appeler à l’aide, que mes muqueuses sont asséchées. Je ne pense pourtant pas à boire, mon instinct me commande d’éviter cette pensée, à la réalisation plus qu’incertaine. Curieusement, je ne panique pas, tant il me paraîtrait invraisemblable de demeurer sans secours, en pleine ville, dans un pavillon au milieu d’une rue passante, entouré de voisins, à deux pas de commerces, d’une station de bus… J’essaie de bouger, pour lutter contre l’ankylose. La dernière marche me rentre dans les reins, j’ai une épaule coincée contre une étagère aux montants en acier. Je déplace le haut de mon corps sur quelques centimètres, mais comme au mikado, les baguettes que sont mes jambes sont également bougées, et je hurle quand la douleur me frappe, je hurle et puis je m’immobilise, retiens ma respiration, m’efforce d’être un corps mort que la sensation ne peut occuper. Pourtant, ma manœuvre a réussi. Je suis un peu plus confortable, à présent. Je peux de nouveau libérer ma respiration, la douleur s’atténue, mon rythme cardiaque s’apaise. Je décide d’attendre le retour de mon voisin de droite. Il n’est pas encore dix-neuf heures à ma montre, il rentre ordinairement vers dix-neuf heures trente. J’entends le moteur de sa voiture quand il la gare dans son jardin. J’entends aussi ses pas lorsqu’il escalade les marches de son perron. J’entends encore la clé qui joue dans sa serrure quand il ouvre sa porte, alors il n’y a aucune raison pour qu’il ne m’entende pas crier quand j’appellerai son nom.
LE JOUR TOMBE
9
Son nom, je ne le connais pas. Je cherche dans ma mémoire, mais celle-ci se refuse à me donner toute information sur l’identité de mon voisin de droite. Je m’aperçois en approfondissant ma réflexion, que je ne m’en suis jamais préoccupé, et même, pour parler franchement, que je m’en suis complètement foutu, je l’ai toujours ignoré, et à quoi bon connaître le nom de qui l’on décide d’ignorer ?… Il avait pourtant fait plusieurs tentatives pour lier connaissance, à mon arrivée. Je venais de me séparer d’Isabelle, j’avais envie de prendre du recul, j’estimais que m’entourer d’une épaisseur d’antipathie était le seul moyen de pouvoir organiser un repli sur moi-même, pour prendre ce recul… au fond, je haïssais l’humanité toute entière, et mon voisin avait le tort d’en faire partie. Il avait timidement essayé de provoquer un minimum d’échanges, avec pour seule réponse de ma part un dédain affiché. Il avait fini par se décourager. Avec mes voisins de gauche, cela avait été encore pire. Je leur avais cherché des noises le premier mois à peine achevé. Il faut dire que c’était pour le moins étrange. Un dimanche matin, à peine huit heures sonnées, des bruits de masse résonnant sur un matériau creux m’avaient réveillé en sursaut. De ma fenêtre au premier étage, j’avais vu mon voisin, armé d’une masse de plusieurs kilos, en train de «casser » une caravane pourrie, envahie par les mousses, au fond de son jardin. Sa femme le regardait faire, avec une moue résignée. Le vacarme était insupportable. Mon voisin, petit homme trapu aux avant-bras moquettés de poils épais, semblait y prendre un plaisir malsain, un rictus mauvais au coin de la bouche. A l’époque, je n’avais pas cherché à en savoir plus sur la raison de cette destruction. J’avais gueulé de la fenêtre de ma chambre, les avais menacés d’alerter les flics pour tapage… il n’était que huit heures du matin, un dimanche, j’étais, et je le pense encore, dans mon bon droit. Oui, mais cela avait sonné le glas de relations qui n’avaient pas eu le loisir de naître vraiment. De ce jour ils ne m’adressèrent plus la parole, s’arrangèrent pour faire disparaître les restes de leur caravane pendant mon absence. Sur eux, je ne pouvais compter. Mon voisin de droite, je pouvais espérer qu’il réponde à mon appel. Je voulais l’espérer…
10
LA CAVE
Le clair-obscur a succédé au jour. La faible lumière qui filtre par la petite fenêtre qui donne sur le passage entre ma maison et le mur la séparant de la propriété voisine, celle des casseurs de caravane, ne lutte plus avec la lumière artificielle de la cage d’escalier. L’ampoule de vingt-cinq watts délivre sa clarté jaune avec parcimonie, mais je me rends grâce d’avoir machinalement appuyé sur le contacteur avant de me précipiter au bas des marches. Un peu étourdi, je me laisse aller à des pensées que je veux positives, dans l’attente du retour de mon voisin de droite. Nous sommes un vendredi, j’avais amorcé le week-end avec une demi-journée de RTT, dans le but de ranger ma cave, d’exhumer mes affaires d’hiver, de rentrer celles d’été. J’avais un projet pour cette cave, je voulais en faire un atelier, où je m’adonnerais aux arts plastiques. Lesquels ? Je ne le savais pas encore, mais ma décision avait été prise de me lancer dans cette voie. Je ne doutais pas un instant que j’y trouverais tout ce que ma solitude réclamait pour être comblée, dans tous les sens du terme. Non que je me croyais un talent particulier, mais j’étais persuadé que tout homme, à un moment de sa vie, peut donner naissance à une œuvre qui mérite d’être produite. Sept heures vingt. Il fait à présent presque nuit. Je fais l’inventaire de mes poches en essayant de limiter l’ampleur de mes mouvements. J’en exhume poche droite deux pièces de vingt centimes, la clef de ma porte d’entrée et un cure-dents sous cellophane, poche gauche un mouchoir en papier usagé et un cachet d’aspirine du Rhône dans sa coque plastique de protection. L’aspirine, j’en prends régulièrement. Il faut, paraît-il, en prendre tous les jours quelques milligrammes pour fluidifier son sang. Et il faut fluidifier son sang, ne serait-ce que pour bien bander, tiens ! Je rigole un peu, plus par bravade que par conviction, l’idée de bander en pareilles circonstances y prête un petit peu, à rire, mais le rire ravive la douleur, et je me calme. J’ai mal, mais pas question d’essayer d’avaler mon aspirine 500 avec des muqueuses en carton. Ça ne passerait pas, et puis, c’est acide, l’aspirine.
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