La dernière marche du Bouddha
117 pages
Français

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La dernière marche du Bouddha , livre ebook

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Description

Dans son dernier sermon, à Vaishali, le Bouddha annonça sa mort prochaine à ses disciples. Puis il partit vers le nord en direction de Lumbini, son lieu de naissance, mais une intoxication alimentaire l'arrêta en chemin et, affaibli, il décida de pousser son dernier soupir à Kushinagar, à l'époque capitale d'un puissant Etat de l'Inde. S'engageant sur les pas de Bouddha, l'écrivain Marc Tardieu a effectué à son tour cette marche de 226 kms dont il nous livre le récit au jour le jour. Cartésien et spirituel, poétique et didactique, ce récit conduit le lecteur dans cette Inde du coeur dont souvent il ignore l'existence.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2010
Nombre de lectures 309
EAN13 9782296705555
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La dernière marche du Bouddha
Marc TARDIEU


La dernière marche du Bouddha

Journal de voyage
© L’HARMATTAN, 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-12666-4
EAN : 9782296126664

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Mardi 1er décembre 2009
Certains mois ne s’inscrivent pas dans une continuité temporelle. Ce mois de décembre 2009 n’est pas un pont entre deux années, succédant à novembre et annonçant janvier. Il est de l’ordre du voyage.
L’avion de Delhi m’enlève à ce que Péguy appelait l’héroïsme du père de famille. Mes enfants ont grandi, ma femme prend elle aussi son essor sur tous les continents, tantôt Arménie, tantôt Japon, au gré de ses engagements universitaires ou spirituels.
Décembre 2009 ou la marche sur les pas du Bouddha. Deux mille cinq cents ans après, quel sens peut bien avoir un tel périple ? Ni pèlerinage officiel, ni voyage commandité, cette marche née de ma seule volonté repose uniquement sur ma conviction. Décembre 2009, mois du doute, du no man’s land, de l’avancée formidable dans le désert. Ma vie possède-t-elle assez de force pour porter à elle seule une idée, un projet, une invention personnelle ? Il est bien plus confortable de suivre une ligne fixée par l’ordre social, d’occuper la place qui vous est attribuée. Plus asphyxiant aussi. Qu’est-ce que construire son propre destin ?
L’évidence est là : je m’envole vers une liberté très provisoire, une suite de jours, tout juste vingt, que je veux inventer autrement. Il n’en restera peut-être rien, une poignée de sable, un livre trop volontaire, factice, ou un véritablement éclatement des limites.
Nous survolons Istanbul. L’avion d’Air France offre l’image d’une vraie mixité sociale. Un monde dans le monde. Autour de moi, les sièges sont occupés par des Indiens. D’où nous venons, c’étaient les immigrés, les touristes ou les hommes d’affaires, les exclus du débat sur l’identité française. En cette zone intermédiaire, Istanbul, entre Orient et Occident, nous sommes les uns et les autres des étrangers dans le ciel. La Turquie est-elle d’Europe ou d’Asie ? Penche-t-elle davantage vers la France ou vers l’Inde ? La question est à peine posée qu’Istanbul est déjà dépassé. Nous survolons la mer Noire. L’oiseau avion fend les civilisations. C’est la première étape de ce voyage paradoxal vers la lenteur. J’avance à la vitesse du son vers la vitesse de mes pieds. En bas, tout en bas, plane le souvenir des marches de Bernard Ollivier sur la Route de la Soie. Douze mille kilomètres en trois ans. Nous parcourons en quelques heures une partie de ce trajet. Exit Bernard Ollivier, exit Marco Polo ! Vos exploits s’effacent dans les étoiles. Ce sont des souvenirs de lune. Il faut être un astre statique pour contempler vos marches. Dans la course de la civilisation, vous serez les bons derniers, derrière les cyclistes, les motocyclistes, les motards, les chauffeurs routiers, les automobilistes, les pilotes d’avion avec équipage et passagers.
Pourtant, c’est bien vers vous que je vole aujourd’hui. Cet avion témoigne de mon empressement à venir vous rejoindre. Je veux être le dernier de la classe, le plus lent, l’enfant qui effectue ses premiers pas et n’ira pas plus loin. Je m’envole vers une sorte de régression, de retour aux origines, avant l’âge de la majorité et l’épreuve du permis de conduire, avant le temps des mobylettes pétaradantes qui vont si vite que l’on est persuadé d’épater les passants, avant même la première bicyclette, les premiers genoux écorchés.
Je veux me glisser dans le sens de la marche et qu’importe si là encore j’arrive le dernier. Cela fait si longtemps que l’on marche sur tout et vers tout, sur la lune, sur les pas des écrivains, des hommes d’État, des savants. Pèlerinages ou manifestations politiques, toujours la marche. On revient même sur ses propres pas. Les plus courageux, un dossard dans le dos, se déhanchent avec une allure disgracieuse lors de compétitions qui ont gagné leur place aux Jeux Olympiques. D’autres encore s’élancent par milliers chaque année sur les routes de Saint-Jacques de Compostelle, souvent sans motivations religieuses et, à destination, bon nombre de ces marcheurs ne rencontrent ni Dieu, ni la Vierge, ni l’apôtre saint Jacques mais leur silhouette amaigrie dans le miroir et leurs pieds, la plaie de leurs pieds. Certains ont écrit, dessiné sur ce thème. Que de beaux livres parcourus d’aquarelles pour signifier l’émotion, la solitude, la plongée intérieure, et soi-même au terme de tous les paysages ! Par comparaison, mon voyage relève moins de l’exploit physique que du vagabondage. Deux cents kilomètres en dix jours, la dernière marche du Bouddha, entre Vaishali et Kushinagar.
Je m’échapperais bien de ce projet, de ce siège 16 F qui m’a été attribué dans l’avion, mais l’inertie et la bienséance me maintiennent attaché. Et voilà déjà Téhéran. Plus je suis immobile, plus je vais vite et loin. Mon silence n’a jamais été aussi productif. Surtout que je ne dise rien, que je ne fasse rien. Les choses avancent sans moi. Se portent à merveille en mon absence.
Je suis le spectateur d’images qui défilent sur de minces écrans, de voyageurs endormis, rassurés par le tapotement régulier de mes doigts sur l’ordinateur, des hôtesses qui distribuent des paniers repas, de mon estomac qui dévore l’un d’eux.
La carte censée indiquer la progression de l’avion se brouille devant mes yeux. Il me semble que nous régressons mais le temps de vol inscrit ne laisse pourtant aucun doute. Tandis que nous fonçons tels des oiseaux de proie, Delhi ne bouge pas. La grande ville statique consent à se laisser approcher. À ce point du voyage, les rôles sont inversés. Me voilà l’étranger, celui venu d’ailleurs, à moins d’avoir la force de me concevoir citoyen du monde. Je pense ici aux maladifs ennemis de l’immigration repliés sur notre hexagone. Ne voient-ils pas que dans leur logique ils s’excluent eux-mêmes de la plus grande partie de la planète, qu’à force de s’affirmer d’un endroit particulier, ils finissent par ne plus être de nulle part ailleurs ? Les barrières qu’ils entendent dresser sont l’enclos qui les enferme. À viser trop petit, c’est le monde qu’on perd.
2744 kms parcourus, 914 kms/heure. Le siège devant moi se déplie dangereusement sur mon ordinateur de poche, dessine une ombre sur mes pensées.
Je suis presque seul éveillé dans un vaste champ de sommeil. Des voix chuchotent une musique de fond. Le vrai voyage n’a pas encore commencé. Je suis une plume en vol là où la marche à venir est affaire d’escargot. La carte de l’Inde affichée dans l’avion ignore d’ailleurs mon projet. S’ils devaient y figurer, les deux lieux que j’entends relier en dix jours, séparés seulement de deux cents kilomètres, seraient comme des points jumeaux, trop proches, pratiquement collés l’un à l’autre. Autant dire que je vole vers l’infiniment petit et pourtant ce minuscule voyage, je le sens, m’ouvre une intensité nouvelle…


*


J’ai plongé dans un sommeil profond sans marche, ni avion. Au réveil, tout semble à reconstruire. Ma tête sans nuages boit les informations déversées.
Vitesse : 918 kms/heure. Altitude : 11277 mètres. Température extérieure : -54°C. Distance parcourue : 5122 kms.
La carte indique désormais Kandahar, Karachi, le détroit d’Ormuz. L’avion semble glisser sur du coton. À plus de dix mille mètres d’altitude, on n’entend pas en bas le bruit des armes. Qui a dit que nous vivions dans un monde en guerre ?
Durée de vol restant : 1h45. Heure d’atterrissage : 23 h. Heure locale : 21h15. Distance à parcourir : 1628 kms.
Mercredi 2 décembre
Il me fallait me ressourcer à Gandhi. Aux paroles de celui qui a déclaré que l’essentiel n’est pas le but mais le chemin. Des idées comme celles-là forment la toile de fond de ce voyage.
Le Mémorial Gandhi, à New Delhi. On y a reconstitué les ultimes pas du Mahatma, la marche affaiblie d’un vieillard émergeant à peine d’un de ses nombreux jeûnes de rébellion, de refus de l’impuissance, de don de soi. Une sorte de petit chapiteau a été dressé

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