La fête à Abu Dhabi
260 pages
Français

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La fête à Abu Dhabi , livre ebook

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260 pages
Français

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Description

Une jeune géologue se trouve confrontée à l'univers du travail aux Emirats arabes unis. Dans ce nouvel Eldorado de la croissance où se pressent les populations de tous les continents, la situation d'extraterritorialité des entreprises étrangères autorise les pires abus de pouvoir. Derrière les paillettes et le capitalisme clinquant, des hommes et des femmes se débattent avec les difficultés et luttent pour leur dignité.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2012
Nombre de lectures 12
EAN13 9782296495791
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La fête à Abu Dhabi
Caroline Piquet-Di Paolo


La fête à Abu Dhabi


Roman
© L’Harmattan, 2012
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-57039-9
EAN : 9782296570399

Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
À l’espion qui m’aimait,
« Les coursiers et la nuit, et les déserts semés d’embûches
me connaissent, la guerre et les coups, le papier, la plume… »
Al-Moutanabbi, Devise, trad. R R. Khawam.


« Dans ton combat avec le monde, seconde-le »
Franz Kafka, Journal.
Le 2 août, j’étais à Paris. Je remontais l’avenue qui menait à la place d’Italie sous un soleil timide. Le vent léger portait la fraîcheur d’un été mal installé. Deux ans auparavant, jour pour jour, je faisais le même trajet ; je venais d’expédier mes malles à l’aéroport et de restituer les clés du studio que j’occupais.
La nuit avait été courte, perturbée par les effets du décalage horaire. Quelques heures me séparaient encore de l’Argentine d’où j’étais rentré précipitamment. La veille, j’avais appris la décision de la compagnie au sujet d’Anna. Elle ne répondait pas au téléphone ; je pris le premier vol pour Roissy.
Le long de cette avenue, je rencontrais ma vie passée. Rien ne semblait avoir bougé. La même affiche décorait la vitrine de la boulangerie du coin ; je reconnus la caissière de la supérette qui passait avec ennui les articles sur le tapis roulant. Le Jardin des Plantes s’ordonnait de façon impeccable et la disposition des fleurs suivait avec sévérité le tracé rectiligne des allées. Paris ressemblait à une vieille dame, la permanente bien fixée, figée dans ses rides et son sourire. Autrefois, cette immobilité me faisait horreur ; là, je sentais confusément une sympathie pour la lumière blafarde du ciel et l’odeur des stations de RER. Leur familiarité me rassurait. J’en avais assez de tous mes voyages ; ce tourbillon d’allées et venues me fatiguait. Par moments, je ne savais plus bien où je me trouvais avec les décalages horaires, les halls de gares et les vestibules d’aéroports. Dans les rues de Paris, je sus immédiatement où j’étais. La mémoire me redessinait le plan du métro et le dédale des rues, les cafés de mes solitudes, les jardins de mes errances.
Une angoisse soudain m’étreignit. Je savais où j’étais, mais non plus quand. Avant, après ? Le temps m’échappait. Un moment d’étourdissement me contraignit à m’asseoir. Il était quatre heures du matin pour mon horloge interne. Je m’allongeai sur un banc, les yeux fermés, concentré sur le cri des mouettes mêlé au bruit de la pelleteuse. Non, je ne me trompais pas, il y a bien des mouettes à Paris, aussi curieux que cela puisse paraître. Lorsque j’ouvris à nouveau les yeux, les nuages s’étaient imposés lourdement devant l’astre solaire ; le vent annonçait la pluie et les badauds pressaient le pas.
Voilà deux ans, j’étais parti le cœur léger de laisser ce ciel qui me rendait mélancolique. Je m’étais installé dans un pays dont j’ignorais tout, si loin de Buenos Aires. Ma mère trouvait cela curieux ; j’avais d’abord tout quitté pour la France et ses châteaux, puis je m’étais éloigné plus encore dans une contrée sans châteaux. J’avais accepté un poste d’ingénieur au pays du soleil et du pétrole où les hommes vont vêtus d’élégantes robes blanches aux côtés de femmes voilées de noir.
Je rentrais de ce pays transformé. J’avais gagné en sérénité et en expérience. Je retrouvais Paris avec les yeux brûlés par l’intensité de la lumière ; tout me parut plus doux, plus humain. Je marchais l’âme animée de cette tranquillité qui habite les rescapés d’un grand malheur. Je parcourais mon corps, étonné de me trouver entier, comme si j’avais réchappé d’un tremblement de terre sans blessures ou si j’avais traversé l’Amazonie sans égratignures. J’étais là, bien portant dans Paris. Je pensais à Anna que j’étais venu retrouver.
J’aimais Anna en secret depuis de longs mois. Elle frappa mon esprit dès ce jour où je l’aperçus traverser le hall d’entrée ; je fus immédiatement conquis par sa fraîcheur. À l’époque, je me débattais encore avec mon divorce. Mes sentiments pour ma femme s’étaient fanés depuis des années, mais je supportais mal que l’initiative de la séparation fût venue d’elle. J’étais blessé de savoir qu’on s’en gaussait dans les rues de Puerto Madero. J’étais orgueilleux, de cet orgueil latin stupide, mais tenace. J’avais décidé que là cessaient les élans du cœur ; j’en avais fini avec les femmes, trop fatigué à leur conter fleurette, à m’habituer à leur corps, à vaincre le dégoût de leurs odeurs. Je m’enfermais dans la douleur de la perte et le refus des amours chimériques.
Anna était une collègue discrète avec qui je m’étais allé aux confidences ; notre complicité s’était transformée en une amitié sincère. Je pouvais lui confier mon désarroi, m’épancher sur Monica et ses amants, sans bouclier, sans armure. Elle m’écoutait et, sans ménagement, me charriait sur mon machisme. Elle me mimait en tanguero insolent. Je riais ; je ne savais pas danser.


Lorsque je m’installai à Abu Dhabi, il me fallut bien du temps pour m’y trouver à l’aise. La plupart des Émiriens situaient mal mon pays sur la mappemonde. Moi-même, j’ignorais tout des mœurs locales ; l’islam, quasi inconnu sur mon continent, alimentait diverses sortes de fantasmes. Je m’interdis longtemps de regarder les femmes, troublé par le jeu subtil des voiles en soie précieuse et la malice des regards d’ébène soulignés de khôl.
J’ai passé près d’un an à chercher des repères. Je trimbalais ma solitude de week-end en week-end. Au début, j’attendais Monica. Les mois passaient et elle multipliait les excuses pour retarder sa venue. Elle avait trouvé un nouveau travail et me demandait de la comprendre, invoquant son épanouissement, son désir d’indépendance, ses projets personnels. Elle me fit enfin parvenir sa demande de divorce ; je demeurai seul et sans espoir dans une ville dont je ne comprenais pas le fonctionnement. Pour casser la monotonie de mes allers-retours entre l’appartement et l’entreprise, j’allais parfois au café avec Sacha, un collègue. Sa femme restait enfermée à la maison pendant qu’il courait les minettes ; la chair assouvie, il retournait chez lui prendre le repas qui l’attendait. Il était fier de son statut d’homme et se moquait de ce célibat forcé dont je ne profitais point ; cependant, je n’avais pas l’humeur de séduire les gamines de vingt ans dans les discos de Dubaï, ni de leur offrir le champagne et les paillettes d’une nuit au Sheraton.
D’autres collègues fréquentaient les bars des hôtels de luxe pourvus en prostituées de tous les coins du monde. Le marché flambait depuis l’arrivée de la base militaire française. Les filles étaient cotées selon leur origine : les Marocaines se faisaient payer chèrement pour leurs prétendues vertus magiques ; venaient ensuite les Slaves, les Libanaises et, au dernier rang, les Philippines réservées aux immigrés pakistanais ou aux expatriés fauchés. Sacha, bien renseigné, me parlait aussi du filon des hôtesses de la compagnie aérienne locale, toutes étrangères, qui vivaient dans un même immeuble pour le meilleur et pour le pire.
Je ne m’y retrouvais pas. La vacuité envahissait mon existence ; j’errais de cafés en malls climatisés, ces hauts lieux de la consommation internationalisée où chacun se réfugiait pour échapper aux rigueurs du climat. Le sport restait mon unique activité régulière, comme bien des expatriés d’ailleurs. J’avais préféré une petite salle fréquentée par les Indiens et les Libanais de la classe moyenne plutôt que les clubs chics des palaces ; je voulais pouvoir enfiler un vieux jogging sans me soucier de mon élégance. Du même coup, ma vie sociale s’en ressentit. Je ne me fis pas d’amis parmi les financiers ou les patrons de la ville. Mon luxe consistait à déguster un jus de grenade à l’échoppe du bout de la rue. Je raffolais de cette divine boisson, mais la déguster seul affadissait sa saveur.


Ce n’est qu’avec Anna que les choses se transformèrent. Lorsque, à son arrivée, je la vis un peu perdue, je lui proposai de l’aider pour ses premiers achats. Je me souvenais du moment traumatique de mon installation : l’entreprise nous réservait l’hôtel durant une semaine, après quoi nous devions intégrer des appartements vides. En quelques jours, il fallait acheter meubles, matelas, vaisselle et tous ces

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