La loi du fleuve
292 pages
Français

La loi du fleuve , livre ebook

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292 pages
Français

Description

Fascinée par la forêt équatoriale et ses peuples improbables, une vice procureure s'embarque pour la Guyane et découvre hallucinée, la réalité de ce département français immense, ultra-violent et abandonné par l'Etat. Comment les fonctionnaires de tous les services de l'Etat s'échinent à faire vivre la République française et les standards fondamentaux européens au fond de l'Amérique du Sud sans moyen, sans soutien.

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Informations

Publié par
Date de parution 02 avril 2016
Nombre de lectures 2
EAN13 9782140006173
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Marthe GASQUET
La loi du fleuve Roman
LA LOI DU FLEUVE
Marthe GASQUET LA LOI DU FLEUVE
Roman
© L'HARM ATTAN, 2016 5-7, rue de l'École-Polytechnique, 75005 Parishttp://www.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-07760-4 EAN : 9782343077604
Chapitre I Un bruit de chat Qu’est ce que c’est que ce bruit ? Ça racle ? Ça frotte ? C’est quoi ? Je venais juste de m’endormir, la barbe, je suis fatiguée, je voudrais tellement dormir, j’ai la tête si lourde. J’ai chaud, je suis en nage de nouveau, j’étouffe, quelle tasse. Je pensais que la brise me rafraîchirait dans cet appartement au bord du fleuve. J’en ai tellement marre des climatiseurs qui vrombissent toute la nuit, qui obligent à vivre comme dans une perpétuelle cabine d’avion. Je m’étais dit : « A Saint-Laurent, ce sera différent, au bord de cet énorme fleuve, il y aura forcément de l’air, je pourrai ouvrir ma fenêtre la nuit, dormir normalement ». Penses-tu ! Et ce bruit qui m’énerve en plus. Quest-ce qui peut donc chuinter, ou glisser comme ça ? Est-ce que je pourrai jamais dormir dans ce fichu pays ? Tout ça pour ça. Après un an de studios glauques, de deux pièces poisseuses, de chambres d’hôtel moites. La Guyane, c’est un ruban côtier, disent les guides, mais la mer n’est jamais claire et brillante comme chez moi en Bretagne. A Cayenne elle n’est plus là : la plage qui longeait la ville il n’y a pas si longtemps dit-on a été envahie par les palétuviers, les bancs publics de la promenade sont démantibulés, les lampadaires blêmes éclairent des racines gainées de vase. Il m’est arrivé entre deux studios miteux de loger à l’hôtel dit encore de la Plage, dont le balcon écaillé domine une gloriette délavée, trônant de guingois sur des trottoirs déchaussés au milieu
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d’une placette désertée cernée d’un mur de palétuviers. En banlieue, après deux heures d’embouteillages, la mer est trop là au contraire, bruyante, tonitruante, épaisse et marron. J’ai loué un appartement là-bas, mais l’air y était aussi étouffant qu’en ville et le fracas insoutenable, j’ai fui au bout de quinze jours d’insomnie. Tête de mon propriétaire étranglé de rage : « Mais l’insomnie n’est pas un motif de rupture, etabusez de votre statut, vous et… je vous poursuivrai. » Vas-y, mon vieux, d’accord je suis venue à Cayenne, mais je ne vais pas y laisser ma santé. Il m’a écrit quelques lettres recommandées éructantes de dépit, puis s’est lassé. Quand j’ai postulé pour Saint Laurent du Maroni, j’avais rêvé d’une villa, enfin, de la villa dont je m’étais vantée à mon départ outre-mer : « Je vais louer une superbe villa au bord de la mer, je ferai leG.O, vous viendrez tous passer vos vacances. » Les copains avaient souri, tout excités. Enfin, j’allais me rattraper de cette interminable année passée à Cayenne dans des trous à rats. J’avais imaginé un Saint-Laurent langoureusement allongé au bord de son fleuve, terrasses et balcons croulants de bougainvilliers, front de mer bordé de cafés et de lampions, plages publiques résonnant de cris d’enfants, et petits coins cachés pour privilégiés les pieds dans l’eau, comme partout en somme sont les villes au bord de l’eau. Mon prédécesseur m’avait proposé sa villa dans le quartier des Français expatriés, les « métros » comme on les appelle, avec piscine, figuiers, manguiers, volubilis, orchidées. Mais je rêvais mieux, la mienne serait au bord du fleuve. J’avais regardé les annonces, on m’avait conseillé blada.com, blada, ça veut dire copain en créole, tu trouves tout sur blada, m’avait-on assuré. Eh bien voilà, c’était assez simple en somme, tout ça, il suffisait de trouver les bons tuyaux, comme partout. Sauf que ni là, ni sur aucun site d’annonce, ni nulle part, je
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n’avais trouvé la moindre villa au bord du fleuve. Les rares villas à louer avaient six pièces, se trouvaient toutes dans le fameux quartier des métros ex-pat que je découvrais être au foutard du centre-ville et de la mer, piscine, figuiers, manguiers, volubilis, orchidées et… prix de Paris. Mais j’avais gardé l’espoir de l’évidence, les sites étaient mal faits, les gens là-bas n’étaient pas encore familiers de l’internet, cette ville après tout était au bout du monde, et je trouverai évidemment en y arrivant la villa de mes rêves. Combien de fois avais-je dégotté sur place des endroits de rêve, en fouinant le nez au vent. Il y en avait toujours, n’est ce pas ? Eh bien non, ici, non, il n’y en avait pas. En sillonnant Saint-Laurent, j’avais vite déchanté, et découvert un endroit inimaginable dans une amertume croissante. Voici une ville posée le long d’un énorme fleuve superbe, et… qui lui tourne le dos. Les rives sont inaccessibles, envahies par les mêmes affreux palétuviers qu’à Cayenne. Les seuls lieux habités en bord de fleuve sont deux villages indiens qui ont survécu de chaque côté de la ville, gourbis dégueus, au milieu desquels on peut descendre au fleuve par une petite cale maçonnée de quelques mètres de large, ça s’appelle un dégrad. Cet accès au fleuve est à ce point exceptionnel qu’on me l’avait signalé quelques jours après mon arrivée : « si tu veux aller te baigner, il y a un coin sympa », et j’avais découvert cette « plage » où des jeunes testostéronés se jetaient interminablement dans l’eau épaisse depuis les branches d’un gros arbre, en hurlant au son poussé à fond des radios de leurs bagnoles et sous les yeux vides de quelques vieilles Indiennes immobiles. J’y étais venue deux fois, l’eau était douce quoique noire, mais les regards tellement hostiles que j’avais laissés tomber. Manifestement, ce n’était pas ma place. La ville elle-même n’a que deux accès au fleuve. En aval, sur la promenade publique du quartier officiel devant le bagne, une affreuse statue d’esclave enchaîné au visage tordu
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