LA TACTIQUE DU BONHEUR
104 pages
Français

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LA TACTIQUE DU BONHEUR , livre ebook

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104 pages
Français

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Description

Les années ayant passé, la maladie opérant son pouvoir d'introspection, Jonas, écrivain camerounais, s'autorise à livrer un pan de sa vie tapi depuis vingt ans. Alors qu'il étudiait à Paris, il lui était venu l'idée d'organiser un mariage blanc entre son ami Félix, clochard atypique et français en règle et Marie, sa colocataire sans-papiers. C'était sans compter sur le sens de l'honneur de Marie et le charme de Félix. Dès lors nous assisterons à la naissance d'un amour qui, libéré des diktats, délesté des normes imposées, opère son pouvoir réparateur.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2011
Nombre de lectures 24
EAN13 9782296465022
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La tactique du bonheur
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-55145-9
EAN : 9782296551459

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Nathalie Peyneau


La tactique du bonheur


L’Harmattan
A tous les Mamadou Lamine et à toutes les Maty
« Il nous faut apprendre à vivre comme des frères ou nous préparer à
mourir comme des imbéciles. »


Martin Luther King
Vu du ciel
Comme c’est étrange, comme c’est mystérieux, voilà une histoire parmi des millions d’histoires possibles. Est-ce que c’est moi que l’on a choisi pour la raconter ou bien est-ce cette histoire qui m’a choisi ? {1}
A vrai dire, je préfère inventer les histoires que j’écris, mais, pour cette fois, je me suis réconcilié avec le réel. Bien sûr, si j’étais un écrivain génial, je l’aurais inventée cette histoire, mais elle m’est tombée dessus, du ciel.

D’abord, je n’ai rien dit. J’ai écrit d’autres choses, comme si de rien n’était, cachant mieux que partout ailleurs, tout au fond de mon cœur, ce pan de ma vie. Il y a les nuits où l’on rêve et les nuits où l’on ne rêve pas, ce sont des nuits quand même. Mais, bientôt, même mes jours ont eu un goût d’évitement.
Hier soir, j’ai remis la main sur cette boîte en fer dont ont jailli mes années à Paris, enfouies depuis belle lurette. Les souvenirs me harponnent comme des appâts par petits ricochets. Comme dans une tombola magique, je tire des lots de mémoire qui épinglent mes neurones. J’épluche ce patrimoine : un horaire d’autocar, des listes dont j’ai la manie, des clés, une loupe, des papiers, beaucoup de papiers et des négatifs qui approvisionnent mes papilles de petites friandises.
Vingt ans d’incubation. A présent, sevré involontaire, je peux regarder en face cette photo prise en 1987 devant l’Arc de Triomphe avec trois de mes amis, la veille de mon retour. Déjà, la photo a vieilli et si je m’approche un peu, je crois que je pourrais bien m’y refléter.
Pourquoi inventer des histoires alors que la réalité a, dans votre vie, dépassé la fiction ?
Aujourd’hui, je vis au Cameroun. Mon huitième roman est paru l’année dernière et a remporté un beau succès. Je donne aussi des cours à l’université, je ne suis pas que saltimbanque. J’ai même eu un article dans un journal français, je suis le premier écrivain à qui l’on a demandé combien il avait de frères et sœurs ! Le goût de l’exotisme, j’en ai été victime, c’est toujours un malentendu de plus, mais je crois que je suis assez moraliste pour ne pas aimer les écrivains qui donnent des leçons. D’ailleurs, je me demande encore si je suis écrivain.
Je ne me formalise pas, écrire pour moi reste un travail laborieux, entaché de souffrance. Je fabrique chaque pièce, visse chaque boulon. Lors d’une dédicace, la déclaration d’une jeune femme enjouée m’affirmant qu’elle avait dévoré mon livre en un après-midi, un livre que j’avais mis deux ans à écrire, me plongea dans la stupeur la plus totale.
Dans une espèce de musique sourde, je fais le tour de mon ordinateur. Dans le texte, comme dans une structure, je retranche une phrase. Plus je tourne, plus je sais ce que je cherche. Avant moi, les Chinois ont inventé l’imprimerie, les hommes ont communiqué jusqu’à former des langues. Les cendres de la bibliothèque d’Alexandrie virevoltent et pressent ma cabeza. Les mots me viennent et se réincarnent sur mon écran, dans la langue de Rabelais, sur mon bureau de Douala.
Si je sacrifie de bonnes choses, c’est que mon récit, je le veux décapant et rude pour les certitudes reçues. Comme au football, le récit sera marqué par un autre faisant progresser votre questionnement. Malmenés, vous ne serez plus ce que vous pensez être, je vous dépouillerai de savoirs qui vous empêchent d’apprendre. Laissez-vous détourner ! C’est l’arbre en vous qui m’intéresse, pas l’écorce. Excusez-moi, je suis brutal, mais je me rends compte que j’ai occulté beaucoup de choses dans ma vie.
Ecrire reste le moyen de gagner ma vie le moins douloureusement possible. Je m’amuse beaucoup et je souffre aussi beaucoup.
Je me suis senti bien en France, j’ai profité de la vie intellectuelle française et je crois parfois que j’ai ressenti les mêmes angoisses qu’un Français. J’étais venu faire ma psycho et j’ai obtenu mon diplôme honorablement. Le destin a rendu cette expérience particulièrement intense et un peu plus longue que prévu mais je suis resté dans la situation d’un immigré qui choisit de rester ou pas.
Quel genre d’homme aurais-je été, qu’aurais-je pu devenir si j’étais resté chez moi ? A Paris, j’aurais pu ne fréquenter que des Français, j’aurais pu, les yeux fermés, reconnaître les différents vins et fromages du pays, j’aurais pu tomber exclusivement amoureux de femmes françaises ; mais, tout au long de mon séjour, l’Afrique est restée ma principale source d’inspiration. J’ai pu vérifier qu’auprès d’une blonde il faisait bon dormir tout en sachant qu’avec un Camerounais de moins et un Français de plus, le solde aurait été nul.
J’ai toujours été fasciné par ces expériences dans lesquelles un homme, descendu au fond d’une grotte profonde, fait l’objet d’observations scientifiques. Arraché à son cadre, faisant face à la peur primitive, seul mais libre, libre mais sans repère, livré à son moi profond, il se découvre ou se perd. Des années plus tard, au cours du journal, on apprend qu’il a perdu la raison ou sombré dans la dépression, ou bien qu’il se livre de nouveau à la même expérience. Venu en France, confronté ici du plus profond de mon affect à des situations auxquelles, ailleurs, je me pensais non concerné d’office, affrontant moins deux degrés l’hiver puis trente-cinq l’été, je me fais l’effet de ces volontaires dont la vie est marquée pour toujours.
Je connais deux cultures et j’en connais deux fois plus sur moi, ermite, articulant agilement ce qui relève de mon psychisme et ce qui relève de ma culture. J’ai voyagé si loin pour me voir en dedans. J’ai compris que mon père m’avait laissé les clés de l’indépendance, que je pouvais vivre dans le manque terrible de lui mais pas dans le besoin. Il m’a élevé pour que je puisse m’en sortir tout seul et c’est ma force. Je n’ai pas eu peur de perdre mon âme. Mon voyage en France constitue, je le pense aujourd’hui, la dernière étape d’une initiation commencée, bien plus tôt, en Afrique. Moitié affranchi, moitié rescapé, je m’attaque à cette histoire et comme Cendrars « je ne plonge pas ma plume dans un encrier mais dans la vie », ma plume en sera-t-elle plus leste ? Chaque matin, découvrant un jour nouveau, je remercie le ciel de m’avoir encore une fois réveillé et permis de poursuivre mon récit. C’est que, des années plus tard, l’attendrissement ayant eu raison de toute honte, je me suis autorisé à vous livrer ce récit car il se meut aussitôt en légende, qui, mille et une fois réclamée, du Maghreb aux rives de l’Afrique de l’Ouest jusqu’aux bords de Garonne, s’enrichit, se transfigure, sans jamais se trahir. Lecteur, ceci n’est pas un mythe, une exagération, une histoire pour faire peur aux enfants. Je ne sais pas trop quels mots poser sur tout ça, mais je ne souhaite pas voir cette histoire embellie. Je ne souhaite pas non plus vous dire ce qu’il convient d’en penser, mais je sens comme spontanément ce qu’aurait d’inapproprié aujourd’hui, de déplacé, d’obscène, de vain, le fait de parler de Félix comme d’un ancien clochard et de Marie comme d’une ancienne sans-papiers.
Comme vous, j’aimerais être vierge de cette histoire.
Avec vous je m’élance. Bon voyage.
Correspondances
Brinquebalé par cinq heures de vol, l’arrivée à l’aéroport, la prise d’une navette, d’un bus, du métro, j’atteins comme par miracle la rue de Belleville. Le papier, déjà chiffonné, de l’adresse, indique le deux cent trente, et je n’en suis qu’au numéro sept.
La fa

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