La violence verbale Tome 2
289 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

La violence verbale Tome 2 , livre ebook

-

289 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

La violence verbale, fortement invoquée dans les discours publics, questionne les sociolinguistes qui cherchent à en décrire les mécanismes linguistiques et interactionnels mais aussi les effets sociaux et institutionnels. Ce volume s'interroge sur la notion de "violence verbale" d'un point de vue diachronique pour en montrer les ancrages culturels et sociétaux.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2008
Nombre de lectures 135
EAN13 9782296920798
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1100€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Sous la direction de
Claudine Moïse, Nathalie Auger,
Béatrice Fracchiolla et Christina Schultz-Romain


LA VIOLENCE VERBALE


Tome 2
Des perspectives historiques
aux expériences éducatives

Dominique Lagorgette, Agnès Steuckardt,
Jacques Guilhaumou, Françoise Moreil, Christina Romain, Claude Cortier, Marie-Madeleine Bertucci, Bastien Fauveau, Judith Humery, Esther Alcala Recuerda, Delphine Guedj, Françoise Demougin, Michelle Van Hooland


L’H ARMATTAN
© L’H ARMATTAN, 2008
5-7, rue de l’École-Politichniq, 7500 paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@yahoo.com
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-05925-2
EAN : 9782296059252

Fabrication numérique : Socprest, 2012
PARTIE 3 PERSPECTIVE DIACHRONIQUE ET HISTORIQUE
D U DECALOGUE AUX INCIVILITES : ANALYSE DIACHRONIQUE DU LEXIQUE METADISCURSIF DE LA VIOLENCE VERBALE {1} D OMINIQUE L AGORGETTE {2}
« Circule, Virgule, ou je t’apostrophe ! »
Corpus Aixois de français parlé,
« Récits de vies de femmes »

Lorsqu’il est question de violence verbale, les locuteurs ont à leur disposition de très nombreux mots ou locutions pour rendre compte des actes de langage qui viennent d’être accomplis par eux, contre eux ou sous leurs yeux. De la référence à un mode de dire ( apostropher, invectiver ), à un résultat ( couvrir d’injures, insulter, incendier ) ou à des effets ( clouer le bec, tuer, laidengier ), les termes ne manquent pas dans le lexique pour mettre en scène l’échange. On repère assez rapidement que les champs sémantiques de la destruction et de la souillure sont récurrents ; cette métamorphose et cette mort symboliques de l’autre semblent permettre au groupe de se réguler et de mieux assurer sa cohésion. Cette vision a priori paradoxale est particulièrement bien illustrée, nous semble-t-il, par le lexique métadiscursif que nous nous proposons d’examiner ici d’un point de vue diachronique.


Préambule : exprimer l’émotion vive
Avant de voir de près les expressions consacrées de la violence verbale, un premier point mérite d’être souligné : l’expression de l’émotion passe souvent par les mêmes types de métaphorisation, comme si finalement tout sentiment qui sort son « auteur » de la mesure, de la raison le livrait à un mouvement global sur une même échelle, allant de l’émotion positive (celle qui rend son auteur heureux) à l’émotion négative (celle qui rend son auteur malheureux). Cette double polarité, bien décrite par Laforest et Vincent (2004), est validée par les données diachroniques, qui permettent de retracer ce parcours sémantique.
Ainsi, on trouve fréquemment dans les expressions de l’émotion le même verbe ou nom servant de support aux deux modalités opposées de l’éloge ou de l’agression, comme en témoignent les constructions basées sur le verbe couvrir, et ce tant pour les locutions renvoyant à des concepts qu’à des objets du monde : on peut en effet couvrir d’injures ou d’éloges mais aussi d’ordures ou de fleurs. De même, certains verbes, noms ou locutions peuvent renvoyer aussi bien à de l’axiologie positive que négative, selon les époques : ainsi, « Il m’a tué / enguirlandé / apostrophé / vanné » sont produits de nos jours pour renvoyer généralement à des énoncés qui ont dévalorisé le locuteur, mais certaines de leurs occurrences renvoient aussi à des éloges, soit sur la qualité de l’énoncé produit par le locuteur {3} (« il est très drôle, il m’a tué [de rire] »), ou sur l’effet produit par l’énoncé sur L2 ( enguirlander est originellement littéral, soit couvrir de guirlandes ; apostropher peut signifier de nos jours s’adresser à quelqu’un ; vanner décrit aussi les traits d’esprit que l’on échange au sein d’un groupe). Enfin, à l’intérieur même de dénominations globales, on trouve aussi les deux pôles : ainsi, certains noms d’oiseaux peuvent être positifs ( cocotte, ma poule, ma caille, mon canard, ma colombe ) ou négatifs (pie, grue, vautour, coq, perroquet, corbeau ). Toutefois, l’étiquetage global (« donner des noms d’oiseaux ») renvoie majoritairement à la péjoration (connotation de l’expression), alors qu’on pourrait pourtant décrire de même les termes d’adresse caressifs. On trouve sensiblement le même phénomène avec « dire des sottises » : soit c’est le contenu sémantique qui est jugé sot, soit ce sont les termes qui sont jugés outrageants. On le voit, l’étude du métadiscours axiologique est loin d’être aussi lisse qu’on ne l’imaginerait à première vue. Nous ne pourrons ici traiter des termes caressifs, qui mériteraient la même étude, et nous nous en tiendrons donc pour le moment aux locutions à valeur négative.
Un point qui ressort nettement dans l’étymologie des termes consacrés à l’agression verbale est le lien à la violence physique et à la dimension corporelle.

Le corps dégradé : de l’attaque physique
au meurtre verbal

Nous verrons tout d’abord les termes renvoyant à l’aspect physique de l’agression et qui, par « changement » de valeur sémantique, ont transformé cette agression concrète en acte symbolique, renvoyant à un outrage verbal.

Mémoires d’une bataille rangée
On notera dans un premier temps qu’ insulter , verbe cardinal actuel pour rendre compte des actes illocutoires violents, désigne en latin une atteinte concrète à l’intégrité corporelle : insultare a pour équivalent littéral « sauter sur », puis le substantif correspondant gagnera le sens d’« attaque armée » ; cette valeur est encore perceptible dans des usages du 17 e siècle (ici, une tragédie antique ; peut-être doit-on voir dans cet exemple un emploi polysémique jouant sur l’étymologie du terme et son usage plus tardif ?) :
1) puis-je le reciter, / Ou toy, pere esploré, pourras-tu l’escouter, / Qu’il perpetre un forfait qui sembleroit horrible/ à tout ce que l’Enfer loge de plus terrible / ; Il isnsulte au corps mort , et d’un bras furieux / Le front luy deshonore et luy poche les yeux/ ; (Antoine de Montchrestien, Hector , 1604 : 89 / ACTE V : 89 ).
Un autre verbe a au moyen âge le même type de sens : vitupérer renvoie en effet, selon le TLF, à : « 2 e moit. X e s. trans. vituperer [ aucun ] « mutiler, défigurer » ( St Léger , éd. J. Linskill, 159 ; v. note corresp.), attest. Isolée ». Voici les vers en question :
2) Am las lawras li fai talier / Hanc la lingua quœ aut in quev . / Cum si l’aut toth vituperét, / Dist Evvruïns, qui tan fud miels : / « Hor a perdud don Peu parlier ; / Ja non podra mais Peu laudier . » (XXVII ; U. Harsch 1999 – Biblioteca Augustana ; http://www.intratext.com/X/FRA0017.HTM )
dans lesquels il apparaît en effet que le châtiment est physique (sections soulignées dans la citation), puisque l’on y décrit l’ablation de différents organes, dont la langue, et que ce verbe apparaît comme rendant compte de l’ensemble de l’opération. Toutefois, il est remarquable que les contextes gauche et droit de vitupérer renvoient à la parole.
De même, le verbe tancer (< tencier < *tentiare, tendere) renvoie-t-il à une action physique (« tendre, faire effort »), mais il aura très tôt un sens d’acte verbal, ainsi qu’en témoigne la Chanson de Roland :
3) Ad Apolin en curent en une crute, / Tencent a lui, laidement le despersunent : / « E ! malvais deus, por quei nus fais tel hunte ? » ( Roland , vv. 2580-2582).
On notera de nouveau un jeu sur la polysémie, comme en (1) et en (2), puisqu’on dirait bien ici aussi que les deux sens sont convoqués à la fois (un autre verbe de mouvement précède tencer : curent ) ; de plus, le segment suivant revient sur la dimension physique de l’outrage {4} .
Les verbes laidir et vilener renvoient eux aussi à des maltraitances physiques (4.a, d et e) et à des outrages verbaux (4.b et f), et sont d’ailleurs fréquemment en co-occurrence avec des verbes renvoyant sans ambiguïté à la violence physique (4.d et e), quand ils ne prennent pas le sens de « violer », comme en (4.c et g) ; ils peuvent aussi être en co-occurrence (4.b) :
4.a) La bataille molt bien fornissent / Qu’il s’entrefierent et ledissent / De pesanz cous et de felons . (Chrestien de Troyes, Chev. de la Charrette , p. 100, Tarbé, ap. Godefroy) b) Coustume

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents