Le Japon, empire des esprits vengeurs
279 pages
Français

Le Japon, empire des esprits vengeurs , livre ebook

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279 pages
Français

Description

Aux touristes qui s'étonnent du grand nombre de temples dans la ville, les habitants de Kyoto ont coutume de répondre : "Ce n'est guère surprenant. Avec tous les esprits vengeurs qu'il a fallu apaiser!" Et pour cause ! L'histoire du Japon fut longtemps dominée par la peur de ceux que l'on nommait les vénérables Esprits. Le présent ouvrage vous propose de découvrir la tragique destinée et le formidable héritage laissé par ceux qui, à leur mort, devinrent des Vénérables Esprits.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2009
Nombre de lectures 153
EAN13 9782296246034
Langue Français
Poids de l'ouvrage 10 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1050€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LE CULTE DES VENERABLES ESPRITS
Soit un touriste en vadrouille à Kyôto. Il prend le bus et
écoute distraitement les explications délivrées en anglais qui
ponctuent chacun des arrêts de la ligne. Quand il arrivera à proximité
du sanctuaire Kitano Temmangû, un des hauts-lieux touristiques de la
ville, il entendra une voix féminine déclamer avec un accent américain
les mots suivants : « The next stop is Kitano Temmangû Shrine.
Kitano Temmangû Shrine is famous for its plum trees. Sugawara no
Michizane is enshrined here as the god of study and calligraphy » (le
prochain arrêt est le sanctuaire Kitano Temmangû. Le sanctuaire
Kitano Temmangû est célèbre pour ses pruniers. Sugawara no
Michizane y est vénéré comme le dieu des études et de la calligraphie).
Notre touriste ne sera certainement pas surpris par le fait qu’un
epoliticien et poète du 9 siècle soit vénéré dans un sanctuaire shintoïste
car l’élévation d’un homme hors du commun au rang de divinité est
une pratique qui se retrouve dans quasiment toutes les religions du
globe.
Notre touriste descendra malgré tout du bus – après tout, il
est venu au Japon pour visiter – et il empruntera une longue allée
ombragée bordée de lanternes de pierres et de statues de bœuf. Il ne
manquera certainement pas d’apercevoir des écoliers en uniforme se
dresser sur la pointe des pieds et caresser la tête de ces animaux de
pierre. Il sourira très probablement en apprenant que ces enfants
agissent de la sorte parce que l’on raconte que les statues de bœuf du
sanctuaire ont hérité de la sagesse proverbiale de sa divinité tutélaire
et qu’il suffit de leur caresser la tête pour en hériter d’une partie. Il
sourira de nouveau en apprenant que les fidèles ne mettent surtout pas
de billet dans la caisse à offrandes du sanctuaire Kitano Temmangû
parce que le mot « billet » se prononce de la même manière que le
5nom de l’ennemi juré de Sugawara no Michizane. La chose ne le
surprendra peut-être pas outre mesure car des histoires de complots et
d’intrigues politiques, il en existe dans tous les pays et les aristocrates
japonais n’ont certainement pas fait pire que les Borgia. Quoi que…
Notre touriste vaquera ensuite quelques instants sur
l’esplanade du sanctuaire, admirera les milliers de fleurs de pruniers
qui poussent dans son jardin s’il visite le lieu à la fin de l’hiver puis
terminera sa visite par un petit tour dans la salle aux trésors. Il jettera
un coup d’œil aux objets de culte qui y sont exposés et il s’attardera
très certainement sur le magnifique rouleau enluminé présenté bien en
vue dans la vitrine principale de la salle. Le Rouleau enluminé du dieu
ecéleste du sanctuaire de la plaine du nord, un chef d’œuvre du 13
siècle classé trésor national, raconte avec des textes et des illustrations
la vie du ministre Sugawara no Michizane et les événements ayant
conduit à son élévation au rang de divinité. Même si l’on ne peut pas
lire le texte artistiquement calligraphié, les illustrations permettent
aisément de comprendre l’histoire et de reconstituer le fil des
événements : Le ministre Sugawara no Michizane en habit de cour
dans une somptueuse résidence de la capitale, Sugawara no Michizane
à bord d’un navire qui le conduit en exil et qui se cache dans les
manches de son habit pour pleurer, Sugawara no Michizane dans une
misérable demeure envahie par les herbes folles, Sugawara no
Michizane au sommet d’une montagne qui tend une lettre de doléance
fichée au bout d’une canne en direction du ciel et qui, de toute
évidence, prend les dieux à témoin de son infortune... A ces différentes
illustrations qui évoquent la destitution et le départ en exil de
Sugawara no Michizane pour la lointaine île de Kyûshû, succède une
véritable scène d’apocalypse dans laquelle on voit une terrifiante
créature surnaturelle survoler un palais et abattre à grands coups
d’éclairs des aristocrates qui s’enflamment telles des torches humaines
ou se roulent de douleur sur le sol. Arrivé à ce point de l’histoire, notre
touriste réclamera très certainement des explications et il se verra alors
asséner une stupéfiante vérité : Sugawara no Michizane n’est pas
vénéré au sanctuaire Kitano Temmangû parce qu’il était un brillant
politicien, un fin lettré ou un poète de talent mais parce qu’il était
6devenu un esprit vengeur à sa mort ! Le ministre Sugawara no
Michizane fut injustement accusé de comploter contre l’empereur par
ses adversaires politiques, il fut démis de ses fonctions et condamné à
l’exil pour un crime qu’il n’avait pas commis. Or, dans les années qui
suivirent sa disparition en exil, le pays fut frappé par un nombre sans
précédent de drames en tous genres et la cour devint bientôt persuadée
que Sugawara no Michizane était revenu sur Terre sous la forme d’un
esprit mécontent pour se venger des artisans de sa déchéance et
plonger le pays dans le chaos. Aussi fit-elle construire le sanctuaire
Kitano Temmangû dans l’espoir d’entrer dans ses bonnes grâces et
obtenir ainsi l’arrêt des catastrophes provoquées par sa malédiction.
Ce n’est que bien plus tard, lorsque son esprit aura été suffisamment
apaisé, que Sugawara no Michizane sera considéré comme une
divinité bienveillante et révéré comme une sorte de divinité des études,
de la calligraphie et des beaux-arts en général…
Notre touriste continuera son voyage et il visitera peut-être
un autre des quelque 13 000 sanctuaires érigés à la mémoire du
ministre Sugawara no Michizane aux quatre coins du pays. Il visitera
aussi, très certainement, d’autres temples bouddhiques ou sanctuaires
shintoïstes pareillement édifiés dans le but d’apaiser la prétendue
malédiction d’empereurs, princes, aristocrates ou guerriers qui, tout
comme Sugawara no Michizane, avaient été les victimes innocentes
de complots ourdis par leurs ennemis et qui, à leur mort, avaient été
accusés de toutes les catastrophes survenant en ce bas-monde. En effet,
l’histoire de Sugawara no Michizane n’est pas un cas à part. Il existe
des centaines voire même des milliers d’édifices religieux à travers le
Japon qui ont été construits, à l’origine, dans le but d’apaiser la
malédiction d’hommes de pouvoir, de héros de tragédie décédés dans
des circonstances dramatiques...
Elever des gens hors du commun au rang de « divinité » et
construire des édifices en leur honneur, l’idée n’est pas nouvelle. Elle
se retrouve, sous une forme ou sous une autre, dans toutes les cultures
du globe. Attribuer ses malheurs à la malédiction de ses rivaux défunts,
les élever au rang de divinité afin de pouvoir mieux les honorer et
apaiser leur prétendue colère d’outre-tombe, l’idée est originale, pour
7ne pas dire unique au monde, mais elle ne suffit peut-être pas à
susciter l’envie de lire un ouvrage se proposant de retracer de lointains
événements historiques qui mettent en scène des personnages peu
familiers aux noms et aux titres à rallonge. Avec le présent ouvrage,
nous allons en effet remonter dans le temps et revenir quelque 1 200
ans en arrière, à l’époque où les souverains japonais décidèrent de
fonder une première capitale dite permamente dans la plaine de Nara.
Nous parcourrons ensuite 300 ans d’histoire et nous retracerons, par le
biais d’extraits tirés des chroniques historiques officielles ou d’œuvres
littéraires présentées pour la première fois en français, le tragique
destin de ces individus qui, à leur mort, furent les premiers à être
considérés comme des « esprits mécontents » et qui suscitèrent la mise
en place d’une croyance unique qui influencera profondément les
traditions et les croyances des Japonais.
En effet, parler de la croyance en l’action vengeresse des
esprits mécontents ne revient pas seulement à parler de l’histoire du
Japon et d’un culte unique en son genre. Cela revient aussi à parler de
religion car le cult

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