Le Testament d Ardengost
149 pages
Français

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Le Testament d'Ardengost , livre ebook

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149 pages
Français

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Description

"... le fermier revient avec un litron de rouge et deux verres... Je surprends parfois son regard rivé sur mon col râpé aux couleurs flétries par les nombreux lavages, mes chaussures avachies. Il évoque le chômage, la précarité, la société qui va mal. Je lui dis que, pour moi, c'est différent, que je suis vieux, que j'ai commis des erreurs, que je suis le seul responsable. J'ose lui parler d'un projet vers le sud..." Ce SDF tourmenté raconte, dans son carnet de route, un poignant retour aux sources qui culmine, au sommet des Pyrénées, dans un sombre mais lumineux dénouement.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2008
Nombre de lectures 220
EAN13 9782336259406
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2008
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296068032
EAN : 9782296068032
Sommaire
Page de Copyright Page de titre Epigraphe 1 - Le Carnet 2 - Jules 3 - Père et fils Écritures
Le Testament d'Ardengost

Bernard Mandon
«... avoir une terre à soi, une terre qui s’éternise... »
ALEXIS VOLKOFF
1
Le Carnet
« I l y a une gelée blanche qui marque la pelouse du square. C’est la première d’un automne précoce. J’ai mal au dos et le long de la cuisse droite. Je ne sens plus mes pieds malgré l’épaisse couverture et les trois couches de cartons superposées qui me protègent. Les deux autres sont levés et rangent leurs affaires. Je les surveille du coin de l’œil. Ce sont des vieux, des seigneurs de la cloche avec leurs habitudes. Je n’avais pas vu leurs visages hier soir parce qu’ils sont arrivés de nuit, juste entendu leurs voix rocailleuses et compris quelques paroles à propos d’une bouteille presque vide. J’ai eu droit à une gorgée pour fêter leur arrivée dans le square. L’un m’a dit : « Bonne nuit l’ami, espérons qu’il y aura des étoiles. » J’étais sous les arbres et je n’ai pas fait attention aux étoiles. Par chance, il n’a pas plu et mes cartons sont secs. Ils enfouissent chacun leur fourbi dans une sorte de bâche en matière plastique couleur caca d’oie, serrent une cordelette autour et coincent le tout sur une épaule. Quelle organisation ! Je les envie, il y a bien longtemps que je n’ai pas connu pareil confort. Je suis parti il y a plus d’un mois. Les vieux s’éloignent sans un regard ni un signe vers la sortie. J’aperçois encore leurs têtes dépassant d’une haie de fusains. Ils traversent la rue vers une épicerie qui vient d’ouvrir. Il doit être à peu près sept heures, mais je n’en sais rien puisque la pile de ma montre est morte. Ça coûte six euros pour la remplacer et j’ai les poches vides. C’est impossible de voler une pile, elles sont le plus souvent dans un tiroir inaccessible même dans le pire des commerces. Il serait plus facile de voler une nouvelle montre, mais je tiens à celle-ci ; c’est un cadeau de ma femme lorsqu’elle croyait en moi. C’est tout ce qu’il me reste d’elle, alors j’y tiens, je m’y accroche. Combien cela fait-il de temps ? Même pour compter les jours, il me faudrait un calendrier ou bien des relations régulières ou une activité sociale en prise directe avec le monde. Depuis pas mal de temps, je survole la réalité avec une indolence qui me fait peur. Je n’ai pas la moindre assurance de m’en sortir et pourtant, j’affronte le présent avec un détachement de la conscience dont j’étais incapable lorsque j’avais une vie normale. Je ne sais plus le sens de ce mot. J’hésite à plier les cartons ou bien les resserrer autour de mes jambes frigorifiées. La nuit a été courte à cause des va-et-vient permanents jusqu’à minuit au moins. Mais là non plus, je n’en sais rien, toujours à cause de la foutue montre. Je continue à vouloir maîtriser l’écoulement du temps. C’est tout ce que je peux désormais tenter de maîtriser. Ça serait mieux avec une pile dans la montre, mais étant donné les circonstances, il me faudra attendre. Matinée vide. Je dois rapidement trouver un ou deux euros en attendant de voir venir. La poste est proche mais n’ouvre qu’à neuf heures. Je vais commencer par la boulangerie juste à l’autre bout du square. Il ne me faut pas plus d’une minute pour planquer les cartons sous un buisson derrière le kiosque à journaux comme hier matin. S’il ne m’est pas possible de quitter la ville, je saurai où dormir, si personne ne pique les cartons.
Je fais un détour vers le bâtiment des toilettes et me passe lentement un peu d’eau glacée sur les mains, le visage et les cheveux. Cela me donne envie de pisser aussitôt. Pendant que je me soulage, les deux vieux prennent possession des deux lavabos où rapidement, l’un des deux, encore agile, se lave les pieds. Aussitôt fait, il lave ses chaussettes en les tordant avec vigueur. Puis, au moment où je m’écarte de la pissotière, il m’adresse un tonitruant « Bien dormi ? » d’une voix éclaircie par la moitié de son litron. Il pose alors ses chaussettes dépliées encore humides sur ses épaules, comme des épaulettes pour les faire sécher. Cela lui donne une fière allure de général en campagne après une nuit de bivouac, et il remet ses souliers sans les chaussettes. Il se saisit alors de son litron, m’en offre une gorgée et passe la porte en chantonnant.
La boulangerie dégage un parfum de pain chaud qu’une brise encore fraîche accompagne jusqu’à la grille du square. Je m’arrête face au tableau vitré du règlement d’utilisation des jeux pour enfants. Il est interdit de se pousser, de courir dans l’enceinte des balançoires... j’essaie de me peigner avec les doigts, puis ajuste le col de ma chemise heureusement sombre. J’ai l’air d’un clodo avec ma barbe de plusieurs jours et mes vêtements sales, et je n’ai que ça à présenter à la porte de la boulangerie, pas le moindre récipient, ni même une casquette. Je dois faire l’effort de rester debout la main tendue à proximité des trois marches qui mènent à l’entrée. Je n’ose pas croiser le regard des gens et fixe le creux de ma main vide. Pour l’instant, ce sont des femmes qui entrent et sortent les bras chargés de poches de viennoiseries, boîtes à gâteaux ou pains de toutes les formes. Leurs jambes sous les jupes se croisent au second plan dans l’axe de ma main vide. Les jambes des femmes et leurs talons qui claquent, leurs galbes adoucis par des bas de couleur chair ou colorés, ou nus malgré la fraîcheur matinale ; les jambes des femmes inaccessibles qui ne ralentissent pas devant moi. J’attends au moins une heure avant la première pièce. Une pièce de vingt centimes, c’est un début. C’est une jeune fille qui me l’a donnée sans un regard. Je la comprends. Il m’est arrivé de donner avant et je ne savais jamais quelle attitude tenir. Je lui adresse un merci maladroit et la suis des yeux le plus longtemps possible, comme pour retenir cet instant de relation avec le monde normal. Je repère une boîte à gâteaux vide délaissée sur une tablette près de la porte. Je n’ai qu’un mètre à franchir pour m’en saisir. C’est l’affaire d’une seconde. Il y a une trace de crème au café sur un bord. Je cale mon sac à dos en position verticale contre la première marche, tout près de la porte, pose la boîte ouverte au-dessus et fourre aussitôt mes mains gelées dans mes poches. Du bout des doigts, je tourne et retourne l’unique pièce récoltée et n’en finis pas de vérifier de manière obsessionnelle si la poche n’est pas trouée. C’est un homme qui double mon crédit en ajoutant : « Y fait pas chaud. » Les deux pièces jouent ensemble entre mes doigts pendant que j’attends, surveillant la boîte en carton. Un type m’avait dit : « Laisse toujours une pièce ou deux au fond de ton chapeau, c’est pour attirer les copines... » Ce matin je n’ai pas le courage. J’ai besoin de les sentir au bout de mes doigts, le long de ma cuisse, le frottement métallique rassurant, preuve trébuchante que mon estomac ne restera pas vide. Un peu plus tard, un type jovial casse sa baguette et m’en donne la moitié. Il ajoute cinquante centimes dans la boîte. Malgré ma vue qui baisse, j’ai reconnu la pièce, la couleur bien sûr et son diamètre, l’épaisseur, il n’y a pas à s’y tromper, c’est cinquante centimes de plus. Je laisse la pièce en évidence au fond de la boîte et le remercie d’un mouvement de tête, et croque dans l’épaisseur de la baguette encore tiède. Le soleil apparaît à la lisière d’un toit et me réchauffe d’un coup le haut du corps, délaisse mes pieds gelés. Pas facile de se réchauffer les pieds sans bouger. Je n’ose quitter mon poste, même pour cinq minutes. Ne pas prendre le risque de rater un client. Je piétine sur place. J’essaie autant que je peux de fléchir et étendre les orteils au fond de mes chaussures, d’accélérer ce maigre mouvement en rythme en comptant les fois. Ça passe le temps. J’arrive à cent avec un début de crampe sans pour autant ressentir de la chaleur. Il me faudrait un café, mais ce n’est pas le moment. Plusieurs clients s’amènent en chœur et se présentent devant les marches en même temps. Politesses pour déterminer l’ordre d’entrée. Les hommes succombent : « Madame je vous en prie ... Merci, après vous, belle journée, n’est-ce pas ? » J’en profite pour placer un bonjour audible qui n’a aucun effet immédiat. Ils s’engouffrent dans la boulangerie à la queue leu leu. C’est à la sortie que les choses s’arrangent un peu. Plusieurs pièces jaunes sont semées en moins de dix minutes.
J’ai beaucoup moins froid depuis que le soleil tape sur le mur derrière moi. Il doit être tard, onze heures ou midi, si j’en juge par le peu d’animation qui règne dans la ru

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