Leocadia et autres petits éloges de la mélancolie
140 pages
Français

Leocadia et autres petits éloges de la mélancolie , livre ebook

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140 pages
Français

Description

Voici un recueil original de nouvelles parfois graves, parfois grinçantes, qui nous embarquent en douceur pour un voyage étrange depuis l'Amérique du Sud jusqu'aux rives du Tage. On y reconnaîtra à bord quelques écrivains que l'auteur affectionne, comme Jorge Amado et Antonio Tabucchi, ou encore Fernando Pessoa. Voyage à faire, pour ceux qui ont au coeur et au ventre de grands départs inassouvis...

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Publié par
Date de parution 01 avril 2012
Nombre de lectures 11
EAN13 9782296487475
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-56849-5 EAN : 9782296568495
LEOCADIA
ETAUTRES PETITSÉLOGES
DELAMÉLANCOLIE
Du même auteur
Romans
Le Pensionnaire du Grand Collège, roman, Ibis rouge, Guyane, 2004
La Saison de l’anaconda, roman, Ibis rouge,Guyane, 2005
Un récit guyanais, roman, Ibis rouge,Guyane, 2010
Nouvelles
La Nuit de Mahler, nouvelles, L’Harmattan, 2010
Essais
Paroles d’enfants, paroles de juges, essai, L’Harmattan, Paris, 2005
Michel Redon
LEOCADIA
ETAUTRES PETITSÉLOGES
DELAMÉLANCOLIE
Pages et nouvelles
L’Harmattan
LEOCADIA
ou
Le journal de StefanoAluisioAlmeido da Faria
Traduit du brésilien parAmadeo Tibucci et Michel Redon
Samedi 3 août
Hier après-midi, c’était vendredi et je n’ai éprouvé qu’un maigre plaisir, serré dans le cortex étroit et peu profond du sexe de cette femme. Qu’avais-je espéré retrouver ? La cavité souple et large, qui pendant des années d’autrefois m’avait si souvent expédié en douceur naviguer sur un océan narcotique et rassurant, à l’intérieur de la matrice idéale pour atteindre la quiétude fœtale ?
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LEOCADIA
Comment avais-je pu croire que cette jeune femme rencontrée, à une réception à laquelle je n’avais pu me défiler, et qui m’avait dit vouloir mieux me connaître, pouvait m’y faire atteindre à son tour ?Dès que j’ai vu son corps nu, si rapidement déshabillé, trop mince et trop parfait, le pubis petit et rasé de frais, sûrement la veille de notre rendez-vous, j’ai compris qu’il préfigurait un sexe qui était encore resté inabordable à la lente et étrange macération des joies et des chagrins ; un sexe qui ne connaissait pas cette fulgurance des étreintes qui annonce la mort ; un sexe hygiénique, sans goût ni phéromones ; un sexe sans blessure ni mystère. J’ai pourtant fait un effort et même plusieurs. Rien… Rien qu’un ventre trop étroit et se prêtant de bonne foi à de lascifs mouvements… Rien… Pas la moindre trace de ce que je désirais tant des femmes, ni cette douloureuse vérité du plaisir, ni cette rupture de leur barrage secret contenant toutes les eaux de la terre, pour les abandonner en vagues successives vers l’improbable delta des draps de leur lit. Rien... Ni le rite lent de l’adoration païenne de la chair, ni le tragique de l’union des sexes, ni l’odeur chaude de la peau et la brûlure des regards, ni l’immense apaisement, ni le vrai désir. Je me suis senti misérable. Nu et misérable.
Je me suis mis à lui en vouloir en silence de sa légèreté, de sa désinvolture pour un demi plaisir vite obtenu, de son rire et de son bavardage, de son corps resté nu, sans la pudeur refermée sur le sexe. Je l’ai rapidement raccompagnée. Une fois seul, j’ai pris soin d’effacer les fragrances de son parfum dans mon peignoir, les odeurs des corps demeurées dans quelque repli de ma chambre.
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J’ai tout mis à laver, j’ai ouvert les fenêtres au vent et je n’ai souhaité qu’une chose, ne pas rencontrer la moindre trace de son corps et de nos sexes dans le lit dont j’allais reprendre enfin la possession exclusive vers un sommeil sans fin, sans rêve et sans désir.
J’ai décidé de ne plus renouveler l’expérience, au moins pendant un certain temps. Mon sexe pourrait se dresser, il le ferait tout seul et sans moi, désormais confiné dans un recoin de mon cerveau, et je compte bien d’ailleurs m’en tirer ainsi. La blessure demeurera la mienne, sans partage, je la connais assez bien pour être sûr d’en faire des centaines et même des milliers de feuilles manuscrites.Des feuilles que j’épinglerai sur les parois de bois de la véranda de mon anciennefazenda(9), des feuilles se balançant sur des fils tendus tout autour, comme des cordes à linge, entre deux plants sauvages de bananiers ou sur les branches basses des jacarandas, et j’en distribuerai au monde entier, jusqu’au débarcadère sur le fleuve que n’utilisent plus, depuis l’inauguration de la nouvelle route, que quelques aventuriers nostalgiques ou de rares admirateurs venus de si loin rencontrer l’écrivain qu’ils croient s’être retiré dans un quelconque désert et qu’ils appellent monsertao(9). Ils n’y connaissent rien. Le sertao, c’est un désert de pierres et d’épineux à la mauvaise saison et un paradis d’herbe grasse et de fleurs rouges et sucrées quand il a plu ; à la condition que les pluies n’aient pas tout raviné et emporté sur leur
9 N.d.T :fazenda: grande habitation de propriétaire. 9 N.d.T :sertao: étendue semi-désertique en saison sèche couvrant une grande partie des régions du Nordeste auBrésil.
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passage…Belém ne me convient plus. Je devrais dire : je ne la supporte plus, comme je ne supporte plus aucune ville de ce pays.Bidonvilles envahis autant de galopins braqueurs et drogués que de touristes voyeurs et mal à l’aise, quartiers chics et néons rouges et roses, épiceries chinoises et des files de putains tristes qui évaluent la ronde des Mercedes climatisées dans les avenues…Comment a-t-on pu penser que j’avais encore envie d’y vivre ? Le sertao, voilà l’idéal ! Une antique maison dont il ne reste que quelques pièces vraiment habitables autour de la véranda où on peut accrocher son hamac…Foutaises ! Le sertao, c’est la mort ! Il faut avoir vu les dizaines de vaches crever de soif à la saison sèche et leurs côtes qui percent la peau tannée de soleil ou flottant le ventre gonflé de gaz immondes à en péter à la saison des inondations… Je ne suis niAzevedo, ni Magalhaes, ni Machado de Massis (9), je ne voulais être que le contemplateur enragé d’un monde que j’aimais passionnément et que je crains de détester à présent.
Dimanche 4 août
J’aurais aimé aller jusqu’à la baie et m’installer à l’ombre sur une plage, sous un abri de palmes, avec un livre. Mais je ne fais rien. Je somnole dans la moiteur de la pluie.Elle fait un rideau de brume tiède qui noie tout le jardin.C’est beau parce que c’est triste et émouvant, cette brume de pluie
9 N.d.T :Aluisio deAzevedo (1857-1913),Gonçalves de Magalhaes (1811-1882) et Joachim Maria Machado de Massis (1839-1908) sont de grandes figures de la littérature brésilienne.
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