Les archets de passage
221 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Les archets de passage , livre ebook

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221 pages
Français

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Description

Jacques Corbette entre dans la vie professionnelle comme employé d'assurances. Tantôt naïf, tantôt roublard, pas toujours sympathique, souvent fragile, parfois égoïste ou pitoyable, il se remémore sur ses vieux jours sa famille, ses coups de coeur, ses espérances, ses désillusions au fil de sa formation parisienne.
Ce roman pourrait porter en sous-titre: une éducation qui n'est pas seulement sentimentale.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2010
Nombre de lectures 67
EAN13 9782296694583
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LES ARCHETS DE PASSAGE
Jean Claval


LES ARCHETS DE PASSAGE

Roman


L’Harmattan
DU MÊME AUTEUR

La Vie comme une blessure, nouvelles
Cage à écureuils (Prix de l’Edition poétique 1991 des Poètes de l’Amitié)
Bestiaire insolite, poèmes illustrés par le peintre Michel Lablais


À paraître :
L’Embarquement pour Six-Terres, nouvelles
Fric Scories , roman
Cosmos indifférent, roman
M’amuser avec des décalcomanies (Les Archets de passage II), roman


© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-11210-0
EAN : 9782296112100

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Allons ! Puisque la caisse sonore est bien vide,
retendons les cordes qui vibrent
et écoutons les airs que joueront
les archets de passage.

Jacques Spitz
(Les Dames de Velours)
Sinon à la mémoire de Jacques Spitz,
à qui ce livre pourrait-il être dédié ?

J.C.
1 LE TRAVAIL
Dans la pratique, personne ne se préoccupe
si un travail est utile ou inutile ;
tout ce qu’on lui demande c’est d’être lucratif.

George Orwell
(La Vache enragée)


Je commençai à travailler en novembre 1945 à la compagnie d’assurances La Fourmi Industrieuse et Commerciale. J’avais souvent passé auparavant rue de Châteaudun et remarqué, pour sa laideur, ce lourd bâtiment marron et caca d’oie sans me douter que j’y serais un jour employé.
Après avoir décroché, sans éclat, la seconde partie de mon baccalauréat, j’étais resté quelques mois sans occupation. Je me sentais peu de goût pour continuer des études, générales ou spécialisées. Seule, la littérature m’intéressait, littérature à produire, non à enseigner, car je n’ambitionnais pas de devenir professeur mais écrivain et, bien que nous n’eussions jamais abordé franchement ni longuement le sujet, je connaissais les réticences de papa à cet égard. Quelques bonnes notes obtenues en composition française ne suffisaient certes pas à démontrer une vocation irrépressible ni un don flagrant. Ma seule production, non divulguée, se limitait à une demi-douzaine de poèmes abscons en vers blancs, ressortissant plus à l’écriture automatique surréaliste qu’à une pressante inspiration. D’ailleurs, les revenus de papa ne lui permettaient guère d’envisager de gros frais que, pour ma part, j’aurais eu scrupule à lui faire engager, à supposer qu’il y consentît, dans un dessein lointain et aléatoire : quelle carrière rémunératrice me serait en définitive offerte, après plusieurs années encore passées à sa charge ?
Sa situation professionnelle n’était pas particulièrement florissante à l’époque. Représentant en linge, mercerie, tissus et lainages, sa position d’honnête aisance avant la guerre se dégrada peu à peu durant celle-ci. La pénurie de matières premières, la restriction et la contrainte apportées par l’instauration des coupons-textile, la difficulté des déplacements et leur limitation, tout contribua soit à réduire sa clientèle, soit à ne pouvoir totalement la satisfaire. Un an après la Libération, la reprise des affaires s’amorçait à peine et l’abondance ne régnait pas. Il n’était donc pas question que je pusse être embauché, malgré l’appui de papa, dans son entreprise. Même l’obtention d’un poste de gratte-papier dans les bureaux, à l’activité alors fort restreinte, se trouvait exclue.
Je recherchai bien, par ci, par là, sans effort excessif ni enthousiasme débordant, un gagne-pain, jusqu’au moment où François Fouillasse, un vieil ami de la famille, courtier d’assurances, proposa de me faire entrer dans l’une des compagnies pour lesquelles il travaillait. Ainsi, avec sa recommandation, je postulais un emploi à la Fourmi dont le chef du personnel, quelques jours plus tard, me convoquait. Un peu ému : ma première place ! Je subis l’épreuve d’une dictée, fis deux trois opérations, résolus un problème simple et remplis de nombreux formulaires. Ma demande agréée, date fut fixée pour mes débuts d’activité salariée : le lundi de la semaine suivante.
J’ai dit que, depuis ma sortie du lycée, j’étais resté sans occupation, ce n’est pas tout à fait exact : outre mes timides essais sporadiques et infructueux en quête de travail, je n’épuisais nullement mes journées à m’acagnarder sur mon lit ou à baguenauder sans but dans la rue, mais je cherchais du ravitaillement (maman morte l’année précédente, papa souvent en déplacement, ce soin m’incombait, l’approvisionnement de Paris étant encore précaire et irrégulier), je sortais avec des camarades, visitais des musées, allais au cinéma et je lisais. Je lus beaucoup pendant cette période.
2 LES LIVRES
Pour moi, dès mon plus jeune âge,
j’ai ressenti devant les livres un émerveillement
et un appétit qui ne se sont jamais atténués.

Jean Dutourd
(L’Ame sensible)


J’aime et je respecte les livres. Du plus loin dont je me souvienne, toujours il en fut ainsi. Je ne me rappelle pas avoir, même enfant, volontairement abîmé ou déchiré un livre ni en avoir, gribouillé les pages.
Par livre, j’entends d’abord l’objet-livre : cet assemblage relié ou broché de feuilles couvertes de caractères d’imprimerie, de dessins ou de gravures ; ce bloc de papier inerte et insensible qui ne s’anime, ne prend vie qu’à l’instant où le lecteur le saisit, en tourne les pages, déchiffre les sombres petits signes groupés et alignés, attendant d’être débusqués pour révéler leur nature profonde. Tout en l’admirant, il ne me viendrait pas à l’esprit d’acheter -sinon, et uniquement, pour la séduisante abondance de sa riche illustration – un magnifique volume en japonais ou en russe, ne pratiquant hélas ! pas ces langues. Car si le livre est objet il est bien loin de n’être que cela, que garniture ou meuble décoratif, nonobstant son éventuelle somptuosité.
Au-delà de la chose-livre se situe tout le foisonnement des personnages, univers, idées, éveillés, ébranlés, libérés par ce fabuleux phénomène, cette prodigieuse transmutation, ce miracle : la lecture. Sartre en a excellemment parlé dans le premier tome de ses Situations.
Mais la qualité, la présentation de l’objet peuvent influer sur l’impression laissée par la lecture, dans une faible mesure certes, sensible pourtant. Si je lis pour la première fois telle œuvre dans une belle édition -papier moelleux, riche reliure, signet de soie –, je n’éprouverai pas tout à fait la même sensation en la reprenant plus tard dans une publication bon marché ou un exemplaire défraîchi de bibliothèque publique. Bien entendu, je ne veux pas dire, ce qui serait simplement stupide, que l’objet-livre luxueux ajoute au raffinement de l’écrit. D’ailleurs, le cas inverse se présente : ayant par exemple découvert un roman paru dans les années 40, sur un épouvantable papier gris ou jaunâtre, plein de bûches et de bouts de paille, ma seconde impression ne sera pas similaire ni forcément meilleure à la lecture du même texte sur vélin. Il s’agit, je crois, d’une atmosphère, d’une aura laissées par les conditions dans lesquelles s’accomplit la prise de contact avec l’œuvre, auxquelles contribuent au premier chef le texte lui-même bien évidemment mais aussi l’âge du lecteur, le lieu où le livre fut entamé puis terminé, l’origine de celui-ci : achat, cadeau ou prêt, tels incidents familiaux, sentimentaux ou autres de l’époque, une infinité d’impondérables qui laissent un « goût » inoubliable, une saveur ineffaçable à certains titres.
Il me semble d’évidence que lire Balzac, ou Rousseau, ou Gide, à vingt ans, à quarante ans, à soixante ans, constitue une expérience toute différente. Aborder La Nouvelle Héloïse dans l’ardeur d’une passion juvénile ou dans l’apaisement de la maturité, découvrir La Porte étroite et Les Caves du Vatican dans l’enthousiasme de la prime adolescence ou au crépuscule d’une vie mouvementée, attaquer Le Cousin Pons dans l’innocence du cœur ou plongé à son corps défendant dans de sordides tracas pécuniaires, voilà qui donnera à l’œuvre une teinte plus ou moins sombre, une résonance plus ou moins grave, quelles que soient ses qualités intrinsèques.
Je lisais Moby Dick en août 1944, à la Libération de Paris, Daphné et Chloé peu de temps après, en faisant la queue dans mo

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