Les transformations du verbe être par temps de pluie
170 pages
Français

Les transformations du verbe être par temps de pluie , livre ebook

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170 pages
Français

Description

Ce recueil est composé de 11 nouvelles, où l'étrange côtoie le lyrique et où le tragique et l'espoir indissociablement se mêlent. En un style parfois sombre et souvent lumineux, l'auteur tente, sans concession, d'explorer l'âme humaine et ses tourments, ainsi que son désir fiévreux d'un bonheur fuyant, mais pourtant toujours à portée de main.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2013
Nombre de lectures 20
EAN13 9782296538016
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Mustapha Bouchareb
Les transformations du verbe être par temps de pluie
Nouvelles
Lettres du monde Arabe
Les transformations du verbe être par temps de pluie
Lettres du monde arabe Collection fondée par Maguy Albet et Emmanuelle MoysanMahmoud Turki KHEDHER,Tarbouch, foulard et casquettes, 2013. Raja SAKKA,Un arbre attaché sur le dos, 2012. Naaghi REMACHE,Square des pas perdus, 2012. Bouchra Belhaj BOURARA,À la lisière de soi, 2012. Hocéïn FARAJ,Instants de voix, 2012. VLADIMIR,Le Nain amoureux, etc., Nouvelles, 2012. Sami AL NASRAWI,La récompense, 2012. Mokhtar SAKHRI,L’illusion d’un espoir romain, 2012. Ahcène AZZOUG,Le destin sans frontière, 2012. Gérard BEJJANI,La parenthèse, 2011. Abdelkader BENARAB,La bataille de Sétif, 2011. Mohamed ARHAB,Les Aumônières de Dieu, 2011.Ridha SMINE,Tout lecteur est un ennemi, 2011. Sami AL NASRAWI,Fissures dans les murailles de Bagdad, 2011. Fouzia OUKAZI,L'Âge de la Révélation,2011. Rachida NACIRI,Nanna ou… les racines, 2011. Abdelaaziz BEHRI,Moha en couleurs, couscous light et autres récits…, 2011. Myriam JEBBOR,Des histoires de grands, 2011. Moustapha BOUCHAREB,La troisième moitié de soi, 2011. Ahmed-Habib LARABA,L’Ange de feu, 2011. Mohamed DIOURI,Chroniques du quartier, 2011. Nadia BEDOREH FAR,Les aléas de ma destinée, 2010. Sami Al Nasrawi,L'autre rive, 2010. Lahsen BOUGDAL,La petite bonne de Casablanca, 2010. El Hassane AÏT MOH,Le Captif de Mabrouka,2010. Wajih RAYYAN,De Jordanie en Flandre. Ombres et lumières d'une vie ailleurs, 2010. Mustapha KHARMOUDI,La Saison des Figues, 2010. Haytam ANDALOUSSY,Le pain de l’amertume, 2010. Halima BEN HADDOU,L’Orgueil du père, 2010.
Mustapha Bouchareb
Les transformations du verbe être par temps de pluieNouvelles
Du même auteur Ombres dans le désordre de la nuit, nouvelles Editions Laphomic, Alger, 1988 Fièvre d’été, roman, Editions ENAL, Alger, 1990 Ciel de feu, roman, Editions ENAL, Alger, 1992 La Troisième moitié de soi, nouvelles, L’Harmattan, Paris, 2011 The Sea Yonder,Satyam Publishing House, New Delhi, 2012 © L’Harmattan, 2013 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-00467-9 EAN : 9782343004679
Au loin, la mer
J’avais erré toute la journée, en proie à des sentiments confus. Mon recueil de poèmes,La Psalmodie et le signevenait de paraître et trônait dans toutes les librairies, tandis que Malika Remim, l’amour de ma vie, se mariait avec quelqu’un d’autre la semaine suivante. J’étais à la fois heureux et fier, mais également perdu et désespéré. Le cœur enflé d’orgueil et anéanti. Mon succès littéraire devait accompagner mon bonheur sentimental, mais les choses ne s’étaient pas passées comme je l’avais espéré. Malika avait formé d’autres ambitions plutôt que de se lier avec moi, poète prometteur mais désargenté, habité par le brillant de ses yeux.
Nous nous étions connus à la Bibliothèque Nationale où j’allais tous les matins mettre la dernière main, sans cesse renouvelée, à mon recueil, au milieu de la foule anonyme des étudiants et des chercheurs. La première fois que j’ai vu Malika Remim, je remarquai la blancheur laiteuse de son visage trop grand et le noir de jais de ses cheveux tombant en boucles sur ses épaules étroites ; plus tard, je devais m’enivrer de la lumière étoilée de ses yeux qu’elle avait acérés et profonds. Elle marchait avec un petit air gauche qui lui donnait une sorte de fragilité qui me vrilla le cœur. Pour la première fois de ma vie, je crus au destin. En voyant passer cette jeune fille à l’étrange beauté, j’eus la certitude inébranlable que je venais de voir, là, devant moi, la femme de ma vie. Le temps d’imaginer ce qu’allait être cette même vie avec elle, les voyages que nous allions faire, les enfants que nous allions avoir, les succès littéraires qui allaient être les miens, avec elle à mes côtés, elle avait disparu. Je la cherchai du regard dans la grande salle de
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lecture de la bibliothèque, sur la terrasse ensoleillée et glaciale, d’où l’on pouvait voir la mer heurter, au loin, le gris pâle du ciel, et deviner les lignes de crête des monts de l’Atlas qui barraient l’horizon. Je me levai de mon siège et courus derrière elle ; arrivé à la grande porte d’entrée de la bibliothèque, je la vis qui dévalait, en riant, le grand escalier de marbre, jadis blanc, et auquel la patine des ans avait donné une couleur ivoire. Elle tenait le bras d’une autre jeune fille, qui elle aussi riait aux éclats. Je savais alors que je me serais damné pour elle. Les jours qui suivirent je me pointais à la bibliothèque aux mêmes horaires dans l’espoir de la revoir, mais elle n’était nulle part. Ce ne fut que deux semaines plus tard que je la revis. Il pleuvait à verse et elle était entrée dans la grande salle de lecture, vêtue d’un ciré noir et tenant un parapluie fuchsia piqué de fleurs blanches. Elle prit place non loin de la terrasse, sortit ses affaires et se plongea dans son travail. Je passai mon temps à la guetter, espérant accrocher son regard, tout en retravaillant un des derniers poèmes deLa Psalmodie et le signe: تونيماأينفجحطسىلعMes jours fleurissent et meurent Tout au bout de mes cils. Elle leva les yeux; nos regards se croisèrent. Je voulus sourire, mais elle regardait déjà ailleurs, puis se replongea dans son travail sans plus lever la tête. Au bout d’une heure, elle se mit à ranger ses affaires rapidement, et se prépara à partir. Dehors, la pluie avait cessé et des étudiants, ayant décidé de braver le froid, se tenaient
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debout sur la terrasse ; accoudés à la balustrade, ils regardaient en contrebas l’étagement des toits et des terrasses d’Alger qui dévalaient vers le port. Elle repoussa difficilement le lourd siège rembourré et se mit debout en se faufilant entre la chaise et la table de travail en bois massif, griffée de prénoms depuis longtemps oubliés, qui tentaient d’arracher, aux jours enfuis, un lambeau d’éternité. Je la vis qui se dirigeait vers la porte et remarquai qu’elle avait oublié son parapluie qu’elle avait ouvert et laissé à sécher devant la porte vitrée de la terrasse. Le signe du destin. La psalmodie du cœur. Je me levai d’un bond et me précipitai vers le parapluie, tout en espérant follement qu’elle n’allait pas s’en souvenir et retourner le chercher. Il me fallait faire le tour de la grande salle, de là où je me trouvais, pour arriver au parapluie. De quoi lui donner largement le temps de revenir le reprendre, mais elle ne revint pas. Elle l’avait vraiment oublié. Je courais presque, maintenant, en faisant glissant mes chaussures sur le sol, dallé de ce même marbre blanc devenu ivoire, pour ne pas faire de bruit. Je me baissai, saisis le parapluie, le fermai, tout en courant, et m’élançai derrière elle. Arrivé sur le pas de la porte de la grande salle de lecture, je la vis qui s’était attardée à consulter les fichiers de la bibliothèque. Je m’arrêtai un instant, le cœur battant à tout rompre, puis me dirigeai vers elle. La femme de ma vie. Élancée et quelque peu gauche, avec son visage trop grand à la blancheur laiteuse, sa bouche carmin, ses petits yeux acérés et profonds et ses cheveux de jais tombant en boucles sur ses épaules étroites. À deux pas d’elle, je lui dis : Pardon, mademoiselle… Elle ne m’entendit pas et continua à farfouiller dans le fichier. Je dis plus fort : Mademoiselle ? Pardon, mademoiselle…
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Elle releva la tête et se tourna vers moi, le sourcil droit froncé et le gauche légèrement relevé. Je continuai en lui tendant son parapluie : Vous avez oublié ça… Son visage s’éclaira d’un large sourire. Elle dit :  Oh, merci, merci. Suis-je bête ! Comment j’ai pu l’oublier, surtout avec le temps qu’il fait ? Ça peut arriver à tout le monde d’oublier. Et puis, il ne pleut plus. Je vois que vous cherchez quelque chose, je peux vous aider peut-être ? ème Oui, je cherche un livre sur la poésie du 17 siècle, mais j’ai un problème avec les chiffres romains. C’est stupide, mais je n’arrive pas à m’y faire, tous ces X et ces V… Le lien était établi maintenant et je n’allais plus le lâcher. Je lui montrai comment identifier les différents chiffres romains et m’enivrai de sa proximité et de son parfum. Je finis par lui proposer de l’accompagner et lui demandai son nom. Malika. Malika Remim. Et moi, Driss. Driss Sellal. Accoudé au parapet de l’antique muraille surplombant un large pan déchiqueté de la côte d’Alger, je laissai mon regard courir sur la mer d’été. Des dizaines de bateaux en parsemaient le bleu infini, attendant de pouvoir entrer au port pour décharger leurs marchandises. En contrebas de la muraille longeant la mer, et ceignant de son étreinte de vieilles pierres marquées, par endroits, du sceau de quelque tailleur de pierres ottoman, d’improbables couples, bravant les interdits, se lovaient dans le moindre recoin suintant d’eaux marines de la muraille multiséculaire, rongée par les vagues. Vers l’est, la ville s’agrippait à ses collines, toujours blanche mais miséreuse ; vers l’ouest une grande maison
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tombant en ruines, vestige d’un passé opulent, bouchait la vue. Je reportai mon regard vers le large. Partir. Foutre le camp, loin de tout, de la douleur de Malika Remim. Son image me hantait ; elle dominait maintenant celle de mes poèmes promis à un succès fulgurant et dont nombre de critiques chantaient les louanges. Chaque recoin de la ville me la rappelait : les rues bordées de ficus centenaires, les étroits restaurants au fond de ruelles pavées, la sonnerie des salles de cinéma, les salons de thé enfumés, les frondaisons de l’entrée principale de l’université, le grand escalier de marbre de la Bibliothèque Nationale, les arrêts de bus. C’était d’ailleurs à un arrêt de bus que je lui avais dit que je l’aimais et que je voulais qu’elle devienne ma femme. Il pleuvait à torrents en cette fin d’après-midi de novembre et nous nous étions abrités du déluge glacial sous la toiture en plexiglas de l’arrêt d’où elle devait prendre le bus pour entrer chez elle, à Garfel. Elle riait en fermant son parapluie fuchsia à fleurs blanches ; elle portait son ciré noir que serrait à la taille une ceinture à grosse boucle fantaisiste ; ses longs cheveux de jais étaient soigneusement cachés par le haut col de son ciré ; j’entr’aperçus un bout de la peau de son cou et je sentis mon cœur bondir. Qu’elle était belle, ce jour-là ! Comment pouvais-je me taire et ne rien lui dire ? Je me le serais reproché le restant de ma vie. Je lui pris le coude et lui murmurai mon amour. Elle s’arrêta de rire et baissa son regard. Je m’enhardis et lui dis que je voulais l’épouser, que je ne pouvais vivre sans elle. Je me sentais devenir fou. Elle gardait toujours les yeux baissés, silencieuse. Je ne savais pas si ce que je lui murmurai lui faisait plaisir ou l’irritait. Je cherchai désespérément son regard pour m’en assurer ; je craignais qu’elle ne me rejette, car j’en aurais gardé la blessure jusqu’à ma mort. Autour de nous, une foule de gens trempés et tremblant de froid, des
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