Litanies en fa mineur
166 pages
Français

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Litanies en fa mineur , livre ebook

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Français

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Description

Nouvelles qui tissent et entremêlent des vies, des moeurs, des riens, des temps. Litanies jouées en fa mineur sur un mode dérangeant, en tons et demi-tons, en constantes variations doucement sensuelles ou agréablement venimeuses. L'ordre majeur est ici bravé : il cède l'écriture à la main gauche avec une clé de fa ouvrant aux altérations accidentelles même quand cetet clé offre une armure de courtoisie. Ecriture confrontée à la menace.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2010
Nombre de lectures 189
EAN13 9782296694002
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Litanies en fa mineur
 
Yvonne Dassonville
 
 
Litanies en fa mineur
 
Nouvelles
 
 
 
 
 
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
 
ISBN : 978-2-296-11126-4
EAN : 9782296111264
 
À Aurélien, Hélène, François,
Marine, Manon,
Coline.
 
Dans la masse insensée de nos bruits
il y a toujours un flocon de neige
quelque part,
parfois il emprunte les voyelles d’un mot.
Une poignée d’ombre
seulement le sépare
de la lumière.
 
Lorand Gaspar - Patmos
 
NUIT SANS LUNE
 
 
De peur qu’un train ne l’emporte, il s’attache au pied de son chien. Il fait un nœud à son mouchoir pour s’assurer qu’il est bien là. Sa main gauche épie les secondes, la droite laisse filer les heures. Ses yeux observent une minute de silence à la mort de chaque heure. De peur que l’hiver arrive il interdit aux feuilles de tomber. Il voit un mauvais présage dans un vol d’hirondelles. Sa valise contient un miroir, lui se mire dans le ruisseau.
Il rêve à cloche-pied, tutoie les étoiles et se promène au bras des peupliers. Sa faim froisse les ombres, il se met à trembler, sa bouche se faufile et regarde le monde.
Le chien chargé de le surveiller se couche sur ses souliers. Mouchoir noué, serré.
Et la nuit tombe.
Sommeil qui ne vient pas.
Est-ce à cause d’une maison sans toit qu’il pleut dans son cœur ?
Il lui arrive de voler ses larmes et de provoquer des malentendus entre ses yeux. Il eut une fois une discussion avec son ombre qu’il accusait de l’espionner : elle avait laissé passer (sans le vouloir ? ) les flibustiers dont le métier est de traquer ces autres chargés d’un précieux butin.
Il y eut même un réverbère et sa clarté qui les poursuivirent.
Et lui avec son chien, suppliant les flibustiers de ne plus éclairer les ténèbres et de laisser passer, ne plus traquer les porteurs de félicité.
Etait-ce sa faute si sa mère lui lisait les histoires à l’envers ?
Et ce sommeil qui ne vient toujours pas et le chien qui menace de partir et d’entamer le voyage redouté.
Un mouvement sur sa litière, lui un geste pour tendre les bras vers le seuil où ne glisse pas l’œil du jour.
Il discute une nuit entière avec la nuit :
Je sans boussole
Je sans personne
Je sans adresse
Langue de silex.
Le chien se met à pleurer.
Il n’a jamais pleuré, ou c’était autrefois, dans un passé qui n’était pas simple, et ce passé tout à coup devient présent.
Aujourd’hui le futur s’absente et le présent est si imparfait.
Et le chien qui ne cesse de pleurer, et lui si désemparé par ces larmes du passé.
Ah ! Ce trou de mémoire ! Il dénoue le mouchoir témoin de son corps oublié sur les bancs publics.
Il ouvre sa valise pour consulter le miroir, le ruisseau infidèle ne répondant plus à sa demande. Et le chien qui continue de gémir et lui qui ne comprend pas, qui ne veut pas entamer le voyage.
Il faut le croire même quand il ment : sa girouette a quitté son toit pour s’établir dans le poulailler et pondre des œufs en fer.
Une chouette hulule si fort qu’un homme passant par là se signe de terreur.
La seringue et l’aiguille ont quitté son bras et vidé sa pupille.
 
LA GARDE-ROBE
 
 
Recoins. Surprises et débarras.
Dans ce fatras, des tableaux ornent les murs, racontant des exils de poète, des joutes d’amour, des combats de tigres.
Une vieille console délabrée est surchargée de statuettes : des chérubins aux cuisses rondes et courtes, des petits mariés en plâtre, une diane nue, une sirène se hissant vers Neptune, un lion à tête de loup.
Deux enfants sont assis sur la grosse malle en osier qui trône au centre de ce bric-à-brac, receleuse d’oripeaux en tous genres.
Alban le garçon porte un jean marine et une chemisette à carreaux bleus. Il a peut-être huit ans.
Didie la fille porte une tenue identique, à l’exception des fleurettes ornant sa chemise qui s’échappe du jean. Elle n’est pas plus âgée que le garçon.
Les deux se dénudent.
Son jean et sa chemise ôtés, Didie extirpe de la malle un bonnet rouge et une robe fourreau rouge dont elle se vêt. A sa main, un petit panier d’osier.
Alban entortillé dans une pelisse touffue à oreilles de loup la pourchasse, se fait menaçant, cruel, barbare.
Didie ne peut crier, tenue au silence dans ce grenier interdit aux enfants. Seul son travesti la protège. Elle en use avec féminité. Exhibant ses sous-vêtements vineux : elle joue la hyène allumée, les camouflant : le jocrisse éteint. Mais le loup montre les dents.
Pouce ! crie-t-elle, on change !
Sous ses poils hérissés, la fille devenue loup minaude, se tortille devant Alban, ficelé, lui, dans le sari rouge et dont les joues s’empourprent sous le petit bonnet écarlate.
Fouet en main (est-ce bien ça un Chaperon rouge ? ), il résiste à Didie-loup.
Elle, les poils de la pelisse lui piquent la peau (mais n’a-t-elle pas une couenne de loup dure et coriace ? )
C’est leur jeu : cérémonie dont eux seuls connaissent la liturgie et le secret, se laisser métamorphoser sous les déguisements ; accepter ou résister au pouvoir de l’enveloppe, de l’emballage.
Leurs corps, une terre sûre et saine, subissant là de monstrueux apprivoisements, labours, jeux, rotations.
Les enfants décident de jouer au mariage.
Didie se rafraîchit le teint à l’eau de pigeon. Cheveux vaporeux, poitrine découverte, drapée dans une légère mousseline blanche, un serpent d’or à tête d’émeraude entortillé au poignet (à l’église où elle va avec sa mère, elle a vu la vierge de pierre écrasant de son pied un serpent).
Arrogante, la taille fine, elle marche en se déhanchant pour que sa robe s’ouvre.
Derrière elle, en toge noire sous une queue de pie trop vaste, une fraise empesée au cou, Alban prend un air hautain et possesseur.
Le singulier cortège avance vers la console aux petits mariés, vers la sirène et Neptune de marbre.
Didie se sent femme, telle sa mère sur sa photo de mariage qui trône sur le buffet de la salle à manger. Elle incline un peu la tête sur le côté, bouge son corps continu : hanche haussée, cuisses et fesses gonflées, grelot du bracelet.
Lui la contemple, mais surtout surveille son ego, fesse raide comme s’il recherchait la secrète puissance du mâle, torse bombé, il est l’homme drapé dans sa toge noire qui le mue et le transfigure.
Il lui offre un bouquet de laurier artificiel qui traîne là au hasard d’un placard entrouvert, puis il enlace la future épousée.
Pouce ! crie-t-elle, on change !
La robe blanche glisse aux pieds de Didie.
La toge noire s’évase sur le sol devant Alban.
C’est l’instant du jeu, du secret.
Le vêtement qui métamorphosera.
 
Deux enfants nus.
Didie appuie lentement son regard de haut en bas sur le corps d’Alban. Elle observe.
Alban baisse les yeux vers celui de Didie et le scrute.
Ils se rhabillent.
Un jean et une chemisette à carreaux.
Un jean et une chemise à fleurs.
 
ENTRE-DEUX
 
 
La nuit froide qui ponctue le crépuscule barricade les jeunes dans des cafés d’où sortent des sons stridents.
31 décembre. Les voitures foncent sur les quais vers les réveillons, les cotillons, les foies gras, les huîtres creuses gainées de goémon.
Etrangère à cette ultime nuit, la Savoureuse coule, noire, impassible, au cœur de la cité.
Pour eux cinq, promenade buissonnière en famille dans les rues de la ville aux sapins de Noël clignotants.
A pied, ils s’écartent par les ruelles de traverse où les atteignent seulement les reflets de lumière dans les flaques. Nuit noire, sans lune, ciel de terre sur ce sentier de campagne qui s’offre peu à peu à eux et où leurs haleines s’échappent dans l’air humide, tiède pour la saison. Silence 

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