Marie, Médée, Jocaste et les autres
120 pages
Français

Marie, Médée, Jocaste et les autres , livre ebook

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120 pages
Français

Description

Tendres ou drôles, cruelles parfois, ces nouvelles mettent en relief les multiples relations qui peuvent s'instaurer entre une mère et son enfant. Marie, Médée, Jocaste sont autant de mères différentes. Si ces récits font parfois appel à la mythologie, ils nous présentent des êtres qui appartiennent à notre quotidien et nous invitent à nous interroger sur nos comportements, en montrant combien est fragile la communication entre deux êtres que tout devrait pourtant rapprocher.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2012
Nombre de lectures 25
EAN13 9782296503427
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait



































© L’Harmattan, 2012
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-57518-9
EAN : 978229475189 Marie, Médee, Jocaste
et les autres Anne Lasserre-Vergne


Marie, Médee, Jocaste
et les autres


















L’HarmattanUN JOUR ENTRE LES JOURS
A toutes les mères qui
sont autant d’énigmes
pour leurs enfants.



Aux mères qui ne cessent
d’enfanter la vie
et la mort.



« Béni soit celui qui a
préservé du désespoir
un cœur d’enfant ! »
Bernanos JOCASTE
– Voyez-vous, le plus dur, pour moi, ne fut pas d’avoir
été un enfant de la DASS et d’avoir grandi dans une
famille d’accueil. Qu’un roi et une reine soient en mal
d’enfant et remplissent un dossier d’adoption, je sais bien
que ça ne se voit pas tous les jours. Polybe a été un bon
père de remplacement. Il paraît même que je lui
ressemble un peu. J’ai adopté ses tics de langage, sa façon
de tirer sur le lobe de mon oreille droite quand j’hésite
entre perplexité et angoisse. Comme lui je me racle la
gorge, avant de prendre la parole en public. Non.
Vraiment, il fut un bon père. J’ai compris bien plus tard
qu’il avait fait mieux encore en me donnant toute une
famille. Dans la salle d’apparat sont alignés les portraits
de ses ancêtres. Il en a fait mes grands-parents, mes
arrière-grands-parents. Et j’ai parfois le sentiment,
l’impression qu’ils m’ont tenu sur leurs genoux, bercé au
creux de leurs bras. La vie en devient plus douce, plus
réelle.
Polybe fut peut-être plus aimant, ou disons mieux
aimant, qu’un vrai père. Il m’a fait les plus beaux
cadeaux que l’on puisse faire à un enfant : il m’a appris à
habiter mon corps, à défendre mes idées avec sérénité, et surtout à me placer au centre de mes choix. Grâce à
Polybe, ma destinée m’a toujours appartenu. Peu lui
importait que je le remplace ou non sur le trône de
Corinthe. A douze ans, je voulais être capitaine au long
cours et nous passions de longues soirées à parcourir les
mers sur tous les atlas de la bibliothèque ; à quinze ans, je
me persuadais que j’avais la bosse du commerce — bien
sûr, vous savez combien on est influençable à cet âge -, et
j’envisageais d’ouvrir des comptoirs à Syracuse, Corcyre,
Apollonie. Polybe ne s’inquiétait jamais, contrairement à
la majorité des pères qui affirmaient à mes amis qu’il
fallait prendre une voie et s’y tenir. J’avais l’impression
qu’ils attachaient leurs fils à des wagons et qu’ils étaient
condamnés à les pousser jusqu’à ce qu’ils trouvent une
locomotive. Polybe m’a toujours dit qu’il ne tenait qu’à
moi de réaliser mes rêves. Il avait une très jolie formule :
dans tout choix, choisis la joie. Et si le messager qui vint
m’annoncer sa mort ne m’avait pas aussi appris que je
n’étais pas son enfant, jamais je ne l’aurais su.
A Thèbes, des centaines d’enfants sont abandonnés
chaque année. Je ne suis pas un cas unique. Non, le plus
dur, pour moi, fut d’avoir appris qu’on m’a retrouvé
pendu par les pieds… Par les pieds ! Après les avoir
percés… Pendu, la tête en bas ! A la plus haute branche
d’un arbre ! Pendant longtemps j’ai osé croire qu’on
m’avait trouvé, bien emmailloté, profondément endormi
au fond d’un panier d’osier. C’est rassurant de penser
que vos parents vous ont abandonné par nécessité. Le
chômage a toujours fait des ravages et oblige parfois les
parents les plus aimants à prendre des décisions terribles.
J’avais l’exemple de Rousseau ; cela me faisait chaud au
cœur que Jean-Jacques ait abandonné ses cinq enfants
tout en s’intéressant aux problèmes d’éducation. J’ai lu
L’Emile six fois pour y trouver des réponses. Mais il y a
10toujours quelqu’un pour vous flanquer la vérité en pleine
figure. Et elle reste là, plaquée sur votre visage, bouchant
tous les pores, aveuglant le cœur. Se rappelant sans cesse
à vous. Quand bien même je voudrais l’oublier, le
pourrais-je ? Mon nom me le rappelle désormais à
chaque instant : Œdipe ! Ce qui veut dire Pied-Enflé.
Cessera-t-on, un jour, de donner aux nourrissons
abandonnés ces surnoms qui les cataloguent plus sûrement
que n’importe quel certificat ou quelque marque
honteuse balafrant leur front ?
Je me suis longtemps demandé comment ceux qui
m’ont conçu m’appelaient quand ils parlaient de moi.
Même si on est déçu par son enfant quand il vient au
monde, même si on le voyait plus beau, moins chétif,
moins fripé, à son image, on a quand même pensé un peu
à lui pendant neuf mois. On lui a parlé dans le creux de
son cœur, dans le creux de son ventre quand, au soir, la
journée s’adoucit et se déroule lentement comme une
longue prière qui n’en finirait plus. Dans la lumière qui
faiblissait, penchée sur le calendrier des postes, ma mère
bio devait suivre d’un doigt hâtif la longue liste des saints
et répéter à haute voix tous ces prénoms qui font que les
jours d’une année ne ressemblent à aucun autre. Qui
pourra me dire si, un jour, son doigt s’est arrêté sur
Julien, Gaëtan, Antoine, Martin, Hippolyte, Evrard,
Laïos, Polynice…
Le silence se fit. Brutal et étourdissant. Un silence de
neige. Cotonneux et blanc.
– Oui ? finit par dire Carl Jung qui depuis peu avait
installé, à Zurich, un cabinet, et, dans ce cabinet un divan
sur lequel des patients venaient s’allonger et parler. Jung
se passionnait pour les archétypes, ces images que l’on
11retrouve dans toutes les mythologies et qui
appartiennent, affirmait-il, au trésor commun de l’humanité.
– Le plus terrible, reprit Œdipe, c’est de penser
qu’une mère a pu laisser faire cela, qu’on pende son fils,
la tête en bas, après lui avoir percé les pieds. Je ne pense
même pas à la mort que cela suppose, à ce pénible
étouffement, ces suffocations désespérées. Je pense à
l’enfant sauvé qui ne pourra jamais courir le long des
haies, jamais pourchasser les chiens sauvages, botter,
dégager, tirer sur un terrain de football, poursuivre un
cerceau, faire une course de sacs à la fête du village…
Non, à vrai dire, ce n’est peut-être pas le plus terrible. Il
y a encore plus …
– Quoi ? demanda monsieur Jung, avant que le
silence n’élève entre eux une énorme congère, un banc
de neige qu’aucun des deux ne pourrait plus franchir.
– Oui, il y a encore plus terrible… Le choix qu’ils
ont fait. Ils avaient leur libre arbitre ! Ils ont écouté
l’oracle. Un gourou parmi tant d’autres. A leur fils, ils ont
préféré la prophétie. La prêtresse de Delphes ! Et
pourquoi pas Nostradamus ? D’un nouveau-né, ils ont
fait un criminel sans même tenter de le laisser grandir,
sans même tenter de l’aimer, d’en faire un homme. Mais,
à vrai dire, il y a plus tragique encore…
– Quoi ? demanda sur le même ton amicalement
détaché, monsieur Jung.
– Le fils a épousé sa mère…
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