Monts d Arrée
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Description

Kévin a réservé une chambre en Bretagne, dans un hôtel 4* pour un week-end idyllique qu'il compte passer avec sa petite amie Lou Anne. C'était sans compter sur un caprice de leur petite Clio qui les immobilise provisoirement dans un village perdu en plein dans les Monts d'Arrée. Provisoirement? Rien n'est moins sûr! Et si les légendes que leur ont racontées les étranges habitants de Kirech sur ces vieilles terres perdues n'étaient pas que des légendes? Lou Anne aura tout le temps d'y réfléchir...

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Publié le 10 septembre 2014
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Langue Français

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Simon Gessiaume
Monts d’Arrée
Simon Gessiaume Monts d’Arrée
«Monts d’Arrée», Simon Gessiaume ; simon-gessiaume.e-monsite.com
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Lou Anne fut brusquement tirée de son sommeil lorsque le moteur de la petite Clio se mit soudain à brouter nerveusement, secouant ses deux passagers comme des pruniers. La voiture sembla hésiter quelques secondes, puis le régime du moteur reprit une allure normale.
Lou Anne lança un regard à la fois interrogateur et inquiet à Kévin tout en s’étirantsur son siège. « Je ne sais pas ce qui lui arrive, réponditil, il doit certainement y avoir une crasse dans le carburateur. » Elle fit une moue dubitative et ouvrit sa fenêtre en grand pour faire entrer un maximum d’air dans l’habitacle. «Et depuis quand tu t’y connais en mécanique automobile ? » le taquinatelle. Il ne répondit rien.D’une part parce que la chaleur de bête qui régnait dans la voiture avait fait perdre à Kévin toute notion d’humourdepuis déjà une bonne centaine de kilomètres etd’autre part parce qu’il savait que Lou Anne lui en voulait toujours un peu d’avoir réservé un séjour en Bretagne sans la prévenir,alors qu’elle s’apprêtait àpasser le weekend en famille pour l’anniversaire de son père. Dans ces conditions, la moindre parole de travers pouvait aussitôt dégénérer en dispute, etc’était bien ladernière des choses dont il avait envie en ce moment.
Maiscomment lui faire comprendre qu’il avait complètement oublié que son père avait prévu de fêter ses quaranteneuf ans précisément ce weekendlà ?! Et bordel, il avait déjà réservé l’hôtel et versé des arrhesdepuis plus d’un mois! Tout cela ne serait sans doute pas arrivé s’ilavait été invité à la fête, lui aussi. Le père de Lou Anne ne pouvaits’en prendre qu’! Kévin sortait avec sa fille depuisà luimême après tout suffisamment longtemps pourse sentir légitime d’être invité à une fête familiale. Mais non, il continuait de faire comme s’il n’existait pas.
Kévin et Lou Annes’étaient disputés pendant plusieurs jours à cause de ce fameux weekend, mais Kévin avait finalement eu gain de cause. Lou Anne viendrait en Bretagneavec lui et manquerait la fête d’anniversaire de son père. Voilà qui n’était pas vraiment fait pour arranger les relations avec son beaupère, même si tout au fond de lui, Kévin était plutôtsatisfait qu’elleait pu le choisir, lui. Pourtant, il devait bien admettre que cette « victoire » avait un goût amer. Sa conscience le travaillait. Des relents de culpabilité le tiraillaient parfois lorsqu’il réalisait qu’il avait en fin de compte davantage forcé Lou Anneà venir avec lui qu’à réellement lui laisser lechoix. Mais la relation complice que la fille et le père entretenaient avait quelque chose de tellement «œdipien»et d’anormalaux yeux de Kévinqu’il se sentait autorisé à devenir «l’agent de la castration », comme le disent parfois ces tarés de psychanalystes.
Bien qu’il n’ait jamais réellement connuce que pouvaient être des relations paternelles, il avait malgré tout des idées bien préconçues sur la manière dont un père devait se comporter avec son enfant. Et en particulier dont un père devait se comporter avec sa fille lorsqu’elle était amoureused’un garçon. Et les conceptions (un peu rigides, il devait bien se l’avouer maintenant) que Kévin avait sur le sujet ne correspondaient absolumentpas à ce qu’il pouvait observer chez son «beau papa ».
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Il décida de chasser au loin ces considérations et se concentra sur les quelques jours qu’il allait passer avec Lou Anne, à roucouler sous le soleil breton de l’hôtel quatre étoiles qu’il avait réservé. Enfin, si la voiture ne flanchait pas en route ! Il avait remarqué que depuis quelques temps le moteur faisait des bruits incongrus, mais les quelques euros qui restaient encore sur son compte bancaire n’étaient pas suffisants pour qu’il puisse se payer le luxe d’emmener la Clio chez un garagiste. Etre étudiant et avoir un compte bancaire garni étaient deux termes décidément bien antinomiques.
Lou Anne se redressa sur son siège et grimaça de dégoûtlorsqu’elle sentit que son teeshirtn’était plus qu’une serpillère humide et collante. Elle avait le dos complètement trempé. La sensation étaitécœurante au possible. Elle lui rappela le rideau de douche chez ses parents qui, tous les matins, tel un amant un peu trop entreprenant, finissait toujours par venir se coller contre ses cuisses avant que de chercher à envelopper complètement son corps nu de ses mains froides, dans une étreinte passionnelle mais non réciproque.
Le soleil cognait à présent en plein contre le parebrise de la voiture. Lou Anne essuya d’unemain molle et sans grande vigueur la sueur qui perlait sur son front. Cette chaleur étouffante la rendait complètement léthargique.
Elle regarda rapidement le paysage autour d’elle, sans grande conviction. La maigre végétationqu’elle apercevaitcomplètement brûlée par la canicule était spectaculaire qui sévissait depuis plusieurs jours sur tout le pays. Sous le jeu des rayons du soleil, la landebretonne donnait même par endroit l’impression de s’enflammer. L’herbe haute et les futaies prenaient ainsi des teintes brunes et cramoisies alors que de petites volutes d’air chauds’élevaient du sol.Lou Anne, qui se souvenait d’avoir étudié ce phénomène pour l’épreuve de physique du baccalauréat, savait que ces volutes de fumée qu’on apercevait les jours de grande chaleur n’étaient en fait qu’un simple mirage. On avait alors l’impression de voir des silhouettes vaporeuses danser devant nous, comme ces nappes de brouillard qu’on observeen plein été sur l’asphalte brûlant des routes.N’empêche, elle avait beau en connaître le principe, le spectacle lui paraissait toujours aussi surprenant et mystérieux.
Lou Anne releva les cheveux de sa nuque ets’observa, légèrement inquiète, dans le petit miroir dérobé du pare soleil. Elle avait les yeux encore un peu gonflés de sa sieste et son visage, luisant de sueur, laissait entrevoir quelques boutons d’acné sur le point d’éclore. Elle grimaça à nouveau. Oh, bien sûr, onlui avait souvent dit qu’onla trouvait plutôt jolie avec ses longs cheveux blonds et son regard indigo, maisl’image que lui renvoyait ce satané miroir ne la réconforta pas du tout. Oh que non !
Elle regarda Kévin du coin de l’œil pour voir s’il l’observait.
Non.
Elle souffla intérieurement. Il semblait bien trop préoccupé à écouter le moteur de sa voiture qui semblait vouloir montrer des signes de rebellion depuis quelques minutes. Tant mieux, elle ne voulait pas trop qu’il la voit dans un état où elle était aussipeu à son avantage. Comment Kévin auraitil pu la trouver séduisante et désirable alors que l’habitacle de la Clio s’était transformé enune véritable fournaise etqu’elle sentait la sueur ruisseler le long de ses bras ? Pourtant, pour rien au monde ellen’aurait voulu
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qu’illa trouver moins attirante puisse . Elle entreprit donc de s’éponger le visage avec une lingettequ’elle sortit de son sac à main,avant de remettre une couche de fond de teint et de se nouer les cheveux en queue de cheval. Elle se regarda de nouveau dans le miroir et estima que le résultat du ravalement était finalement plus que convenable étant données les circonstances. Elle fut rassurée et se détendit alors.
Lou Anne aimait Kévin avec passion. Jamais elle n’avait ressenti un sentiment aussi fort avant de le rencontrer. Il lui arrivait même parfois de se demander s’il était normal d’aimer quelqu’unà ce point. Chaque jour, elle faisait de grands efforts pour être l’unique objet deson attention, et Dieu sait quela tâche n’était pas toujours facile. Même s’il prétendait le contraire, elle avait remarqué comme il avait parfois une fâcheuse tendance à regarder les autres filles qu’elle lorsqu’ils se promenaient dans la rue, ou lorsqu’ils sortaient le samedi soirauCastel. Oh, bien sûr, elle avait relativement confiance en lui (relativement)et savait qu’il l’aimait suffisamment pour ne pas aller voir ailleurs. Non, c’est dans les autres filles qu’elle ne faisaitabsolument aucune confiance. Là encore, et malgré ce que Coline pouvait affirmer, Lou Anne savait que cette pimbêche était folle amoureuse de luiet qu’elle ferait tout pour essayer de lui voler son amoureux. Manon et Julie avaient elles aussi vu clair dans le petit jeu de Coline et avaient mis plus d’une fois Lou Anne en garde sur son attitude provocante envers Kévin.Mais elle était loin d’être aveugle, elle avait vu clair dans son petit manège. Il n’y avaitqu’à voir la façon dont Coline minaudait dès qu’elle s’approchait de lui. Elle semblait oublier que Lou Anne était une fille, elle aussi. Elle savait comment une femme s’y prenait pour attirer l’attention d’un homme. Et la façonde faire de Coline était tout ce qu’il y a de plus caricatural et grotesque. Dès que Kévin était à portée de vue, Coline se mettait soudain à parler plus fort et à avoir ce rire complètement débile et haut perché. Mais heureusement pour Lou Anne,Coline n’était qu’une petite idiote qui n’avait pas plus d’esprit qu’une cruche (et une cruche fêlée en plus, pour dire la stupidité de la personne…).Ses conversations ne volaient généralement pas bien haut et se résumaient la plupart du temps à inventer ou colporter des ragots sur « qui sortait avec qui », ou sa variante, « qui avait fait quoi avec qui ». Tout un programme ! Lou Anne savait que Kévin ne pourrait jamais être séduit par une telle fille, incapable de faire une phrase correcte en français et qui en était encore à découper les photos de mannequins dans Voici et Closer, pour les afficher sur les murs de sa chambre parmi d’autres photosd’ellemême, sur lesquelles elle tentait de reproduire les poses des top models.Stupide, ridicule, grotesque… les adjectifs de ce genre ne manquaient pas pour définir ce qu’était Coline. Tout au plus voulait elle bien lui accorder le fait qu’elle avait une belle poitrine, et encore. Elle trouvait la sienne plus petite, certes, mais beaucoup plus proportionnée et en adéquation avec l’ensemble de sa silhouette. Et puis de toute façon du haut de ses dixhuit ans, Lou Anneespérait qu’une relation sérieuse entre un garçon et une fille n’était pasuniquement basée sur le physique et l’apparence comme semblait le prétendre Coline. Du moins, voulaitelle y croirede tout son cœur.
N’empêche,malgré sa jeunesse, Lou Anneétait loin d’être une oie blanche et savait bienqu’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Elle était plutôt bien faite de sa personne etplus d’une fois elleavait pu lire le désir que son corps suscitait dans le regard des hommes. Ces regards appuyés la rendait fière etmal à l’aisela fois. Ce à quelque chose qui semblait lui échapper lui faisait un peu peur. Elle se rendait bien compte que quoi qu’elle puisse faire dans la vie, on la jugerait d’abord sur son physique avant même que de savoir ce qu’elle avait dans la tête. Elle pensait qu’avec le temps
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elle finirait bien par s’en faire une raison mais quelque chose au fond d’elle lui affirmait le contraire. Elle se dit que c’était sans douteêtre une femme dans cette société cela machisteet qu’elle devaitsimplement apprendre à faire semblant. Faire semblant de ne pas entendre les paroles vénéneuses des femmes jalouses, faire semblant de rire aux blagues lourdes et parfois grossières de certains hommes, faire semblant de les prendre comme un compliment, ne pas se retourner si un abruti traitait une femme de salope dans la rue parce qu’elle avait décidé de mettreune minijupe ou ne répondait pas à sa drague grossière. Faire semblant. Ne pas entendre et ne pas voir etquoi qu’il arrive, continuer à faire son chemin, vaille que vaille.Son père n’avaitil pas l’habitude de dire : « les chiens aboient et la caravane passe ! » avec son index levé et sa voix sentencieuse lorsqu’il abordait ce genre de sujet en famille. Oui, la caravane devait continuer de passer coûte que coûte et on devait laisser les chiens aboyer.
Mais si elle attirait le regard des hommes, elle voyait bien également que Kévin était lui aussi un garçon désirable aux yeux de bien des femmes. Et les garçons pouvaient se montrerparfois tellement faibles… Seraitelle capable de le garder rien que pour elle toute sa vie ? Sauraitelle le garder amoureux comme aux premiers jours de leur rencontre ? Elle avait cette conviction (non, la certitude !), profondément enracinée en elle, que Kévin était l’homme avec qui elle se marierait et aurait un jour des enfants. Pourtant, malgré ce que lui affirmaient ses tripes, elle devait bien avouer qu’il lui arrivait par moment de douter de la sincérité des sentiments de Kévin à son égard. Il lui était souvent arrivé par exemple, de passer des nuits blanches à se torturer l’esprit en s’imaginant que Kévin pourrait un jour la quitter pour aller avec une autre. Dans ses pires cauchemars, elle le voyait même embrasser Coline avec fougue pendant qu’elle nepouvait qu’assister impuissanteà ce spectacle horrible. Elle voyait les mains de Kévin se perdre, se noyer avec passion dans la chevelure brune de cette garce et parcourir ensuite son corps pour la déshabiller etlui faire l’amourcomme une bête. Et elle voyait comme ils rigolaient. Oui ils rigolaient en se moquant de sa naïveté et de sa conception par trop romantique de l’amour. Alors elle se réveillait en larmes, les yeux gonflés et une boule au ventre. Les journées qui suivaient ces rêveslà étaient affreuses. Lou Anne ne cessait de harceler Kévin pour se rassurer sur la sincérité de ses sentiments. Elle finissait ainsi bien souventpar l’agacer et, à la fin de toute une journée d’interrogatoire en règle, n’en pouvant plus de tantde suspicion et de jalousie déclarée, il l’envoyait bouler, ne s’imaginant pas le drame intérieur que Lou Anne vivait alors. Ces jourslà elle se trouvait moche et stupide ets’imaginait que Kévin ne pourrait plus jamais l’aimer comme avant, qu’elle avait poussé le bouchon trop loin.Elle qui brillait dans ses études,s’en voulait de se montreraussi faible et dépendante sur le plan de l’amour. Pourtant, elle savait queKévin n’aimait pas les femmes faibles et geignardes. Il le lui avait dit un jour qu’ils s’étaient disputés après uneénième crise de jalousie de Lou Anneau prétexte que Kévin avait regardé avec un peu trop d’insistance, selon elle, la serveuse du restaurant dans lequel ils s’étaient trouvés. Oui, ce jourlàil l’avait regardé dans les yeux et dit : «Lou, je ne supporterais jamais une femme jalouse ! Une personne jalouse est une personne faible! Et j’ai horreur des gens faibles qui passent leur temps à geindre en guise d’unique moyen de défense!». Prendstoi ça dans les dents ma fille !
Alors, quand les crises de jalousie revenaient entacher ses journées, elle essayait désormais de ne rien laisser transparaître. Bien sûr, elle n’y arrivait pas toujours. Lorsque malgré tous ses efforts, elle finissait quand même par sortir deux ou trois
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remarques acides à Kévinet qu’elle voyait la manière dont il soupirait, elle se culpabilisait encore plus de son comportement et se trouvait nulle! Nulle en plus d’être moche et stupide. Elle se couchait, ces soirlà, ens’imaginant que cette foisci elle allait réellement perdre Kévin pour de bon, qu’il seraitde toute façonincapable d’aimer une femme aussi dépendante de son amour.Et lorsqu’elle posait la tête sur l’oreiller en tentant d’appeler le sommeil, elle voyait de nouveau, derrière ses paupières closes, cette garce de Coline. Kévin était assis près d’elle, sur son lit, avec cettelueur étrange dans le regard.Voilà où tout cela l’avait menée ! Elle avait fini par le pousser dans la gueule du loup ! Alors elle entendait Kévin confier àColine qu’il en avait marre de la suspicion permanente de Lou Anne, et elle voyait comme ces paroles faisaient jubiler intérieurement la Garce. Oui elle jubilait ! Et de nouveau la Garce minaudait, battait des cils et se collait de plus en plus contre lui, là, dans sa chambre tapissée de photos d’acteurs célèbres et de! Mais letop model débiles. Cette vision était insupportable paroxysme de son désespoir arrivait lorsque, continuant de fermer les yeux, elle voyait que Kévin craquait (les hommes sont faibles ma fille…) et enserrait délicatement son visage entre ses mains pour mieux pouvoir enfoncer sa langue dans la bouche de la Garce. Le traitre ! Comment pouvaitil faire cela en sachant tout l’amour qu’elle lui portait ?!Jamais elle n’avait autant aimé un garçon que Kévin, et il le savait, elle le lui avait dit. Mais peutêtre que finalement,elle n’aurait jamais dû lui avouer la profondeur de ses sentiments. Ça donnait à Kévin un avantage et la mettait, elle, en position de faiblesse. Il savait ainsiqu’elle serait prête à tout accepter pour lui et qu’elle irait même jusqu’à lui pardonneécarts de conduite » si cela devait arriver. Mais bonr quelques « sang! Si elle lui avait mis son cœur à nu c’était pour qu’il comprenne qu’elle était corps et âme à lui et qu’il ne puisse jamais douter de son amour. Cela devait donc le rendre plus responsable de ses paroles et de ses gestes envers elle. Il ne pouvait pas ainsi s’amuser avec ses sentiments et…et…
« Où sommesnous là ? »s’entenditelle lui demander afin de couper court à ses ruminations mentales qui lui donnaient presque envie de vomir.
« Quelque part sur la route entre Huelgoat et la presqu’ile de Crozon.
C’estàdire ? En plein dans les monts d’Arrée, à en juger par le paysage. Quelque chose ne va pas, Lou? Tu as l’air bizarre…Non, ce n’est rien. Ça doit être la chaleur, je n’en peux plus, ditelle en s’éventant de la main. J’ai un peu… mal au cœur.A quelle heure pensestu qu’on va arriver à l’hôtel? Oh, il doit nous rester deux petites heures tout au plus, répondit Kévin. Tu es pressée d’arriver finalement? Je suis surtout pressée de pouvoir prendre une douche. Je suis moite de partout. On pourra peutêtre la prendre ensemble, cette douche ? Je ne suis pas sûre d’accepter…
Kévin sourit et le silence retomba dans la Clio.
« Dismoi, Lou ? demandatil avec une certaine gêne dans la voix.
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Oui ? Tu m’en veux toujours pour ce weekend ? Un peu oui, ditelle d’un air espiègle. Non, sérieusement ? Non je ne t’en veux plus. Mais il faudra que ce weekend soit extrêmement romantiquesi tu veux que j’oublie tout ça…Compte sur moi. Et j’ai bien dit «romantique », pas autre chose ! Mais oui… Je t’ai réservé une surprise à l’hôtel, tu verras.Une surprise ? Pour moi ? ditelle, soudain au comble du bonheur. Evidement pour toi ! Enfin, pour nous deux. Vasy, dismoi ce que c’est? Même pas en rêve ! Allez ! Donnemoi au moins un indice ! »
En guise de réponse, Kévin fit un large sourire et alluma la radio. Les haut parleurs déversèrent aussitôt un flot de grésillements stridents qui emplit l’habitacle du véhicule. « Change de fréquence, ça me casse les oreilles !!! supplia Lou Anne.
C’est ce que j’essaie de faire figure toi! Mais on dirait que le poste ne capte aucune station ! C’estpeutêtre à cause du temps ? suggéra Lou Anne en tournant le bouton du volume. Quand le temps est à moitié orageux comme ça, ça perturbe les fréquences radio. Le temps ? Je parieraisplutôt qu’on ne capte rien parce qu’on traverse le trou du cul du monde !
Kévin tripatouilla quelques instants les boutons du poste et tomba finalement sur une radio catholique qui ânonnait sa litanie monocorde et lénifiante de « Notre Père » et de « Je vous salue Marie ». Kévin appuya aussitôt sur le bouton de recherche automatique de station afin de mettre fin à ce calvaire auditif et les grésillements reprirent de plus belle. Au bout de quelques minutes de recherche infructueuse, Kévin éteignit la radio.C’était ce qu’il y avait de mieux à faire.
*
Le petit village de Kirechn’était indiqué sur aucune carte et n’offrait de toute façon rien de bien intéressant à quiconque voulait bien se donner la peine de le traverser.
La rue principale, qui semblait également être l’unique rue commerçante du village, commençait au niveau de « Katel Koiffure » et se terminait devant la place de l’église. La rue s’étendait sur une bonne cinquantaine de mètres et proposait le minimum syndical aux habitants de la bourgade : un coiffeur, un boucher et une maison aux lourds linteaux de granit et aux fenêtres crasseuses derrière lesquelles un panneau
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indiquait « BarEpiceriePosteDépôt de pain ». Les habitants du coin ne disposaient pas de grandchose mais au moins avaientils l’assurance de pouvoir manger leur steak en étant toujours bien coiffés. Devant le « commerce », un grand père en bleu de chauffe et bretelles était assisà l’ombre d’unantique parasol Tropico tout droit sorti des années soixantedix. Devant lui, était posé un verre en pyrex qui semblait contenir ce quidevait s’approcher de près ou de loin à du vin rouge.
« Tu crois que ceux qui habitent ici savent en quelle année nous sommes ? demanda Lou Anne en regardant autour d’elle.
Probablement que non, répondit Kévin en souriant. On pourrait bien demander au vieux là, mais je ne suispas sûr qu’il comprenne le français.Qu’estce que tu racontes ? demandatelle amusée. Elle pressentait la bêtise qu’il allait lui sortir.T’as vu sa tronche. Au mieux il nous parle dans son patois local et au pire il nous cause en mec bourré première langue. Non mais regarde, sérieux,t’as vu comme il est rouge ? On dirait une cerise confite. Sachez pour votre gouverne, monsieur, que ce grand père a un visage « rubicond ». Rubicond, rubicond… «rubicondbière », oui! Le pauvre. On dirait qu’il n’est pluscapable de faire le moindre mouvement. Si ça se trouve il est mort, pouffa Lou Anne. T’as raison. Il y a l’air d’avoir tellement de monde dans ce bled qu’il est peutêtre là depuis une semaine…Oui, et tellement imbibé d’alcool que son corps est préservéde la putréfaction…»
Ils se regardèrent et éclatèrent de rire. Bon sang, c’estcette complicité làqu’elle aimait voir chez Kévin !
Comme pour participer à l’euphorie générale, la voiture fut reprise de son hoquet mécanique et secoua nerveusement Kévin et Lou Anne. Les ceintures de sécurité se bloquèrent aussitôt et Lou Anne se retrouva plaquée contre son siège, le teeshirt détrempé se rappelant à son dos avec dégout. Le moteur fit alors une sorte de hennissement bizarre avant de caler pour de bon. Le sourire de Kévin retomba aussitôt. «Merde. Qu’estce qu’elle nous fait là? » La voiture roula encore sur quelques mètres avant de s’immobiliserau milieu de la chaussée.
Kévin tourna la clef pour essayer de remettre le contact. La Clio émit un long et pénible toussotement asthmatique. Il réessaya plusieurs fois mais le moteur refusa catégoriquement de redémarrer. Il s’apprêtait à tourner une nouvelle fois la clef lorsque Lou Anne lui dit : « Arrête, tu vas noyer le moteur !
Et depuis quand tu t’y connais en mécanique ? » lui renvoya Kévin de manière un peu plus acerbe qu’il ne l’aurait voulu.
Lou Anne tourna la tête, vexée.
« Il faut que ça nous arrive là, au milieu de nulle part! Bon Dieu, c’est bien notre chance ! »
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Kévin ouvrit la portière et sortit du véhicule. Sa chemise kaki n’étaitplusqu’une immense éponge imbibée de sueur. Pourtant, de grosses auréoles foncées arrivaient encore à se démarquer sous ses aisselles et dans le dos.
«Qu’estce que tu fais ? demanda Lou Anne.
Je vais regarder si quelque chose cloche dans le moteur. ! » réponditelle sur le ton deEvidement que quelque chose cloche l’évidence.
Illa regarda dans les yeux l’air de dire que ce n’était vraiment pas le moment de jouer avec lui sur les mots et se pencha pour attraper la poignée située à gauche des pédales. Il tira dessus jusqu’à ce qu’il entende un« clink » métallique. Il se dirigea vers l’avant de la Clio,souleva le capot et resta dubitatif devant le moteur, les mains sur les hanches.
«Depuis quand tu t’y connais enrépéta Lou Anne entre sesmécanique ? » dents.
Kévin toucha du bout des doigts quelques pièces parci parlà, l’air peu convaincu. Lou Anne savait pertinemment qu’il ne comprenait rien au fonctionnement d’un moteur de voiture mais qu’il essayaittout de même de faire bonne figure devant elle.Dans l’esprit de Kévin, un vrai garçon se devaitd’avoir l’air de s’y connaitre en mécanique sinon ce n’était pas vraiment un mec digne de ce nom...
Bien qu’ilaitdû se construire avec l’image d’un père absent, Lou Anne savait que Kévin n’en avait pas moins grandi avec ce genre de stéréotypes sur ce que devait être un homme. Stéréotypes véhiculés en partie par les téléfilms de la culture de masse américaine que la télévision déversait à flotl’aprèsmidi et sans doute aussi un peu en partie par ceux de sa mère.Une mère n’est jamais innocente dans l’éducation de son fils. Lou Anne,qui venait tout juste d’atteindre l’âge de la majorité, savait qu’elle ne connaissait pas encore grandchose à la vie mais elle pouvait deviner quelle enfance et quelle adolescence Kévin avait dû avoir. Une adolescence sans réelle joie et mue principalement par l’obligation de devoirgrandir vite et «d’» desêtre à la hauteur attentes de sa mère quin’avait jamais réussi à refaire sa vie avec un autre homme. Non pas qu’elle n’ait jamais eu d’autres aventures après le départ de son mari elle avait toujours su rester une femme séduisante et attirante mais plutôt qu’elle avait perdu toute confiance dans la nature humaine, et « masculine » plus particulièrement.
Lorsque Lou Anne imaginait la vie monotone et dépressive que Kévin avait dû avoir jusquelà, elle avait envie de le serrer de toutes ses forces dans ses bras afin de le protéger et de lui dire qu’à présent qu’ils étaient ensemble,tout cela était bel et bien fini, et qu’ils pourraient enfin être heureux.
Elle sentit une bouffée d’orgueilfaire battre son cœur un peu plus fort. «Oui, la vie va être belle, Kévin, croismoi ».
Alors qu’elle le regardait s’échinerle moteur, la chemise trempée et les sur mains noires de graisse, à faire semblant de comprendre quelque chose à la mécanique, elle fut de nouveau emplie parla certitude que quoi qu’il arrive, elle serait heureuse avec lui. Il avait été son premier grand amour et elle comptait tout faire pour qu’il soit
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également le dernier. Et même si la raison lui disait qu’ils devraient attendre qu’elle ait fini ses études de médecine pour se marier, son amour inconditionnel lui indiquait que cela se ferait sans doute bien avant cela. Ses parents  et en particulier son pères’y opposeraient sans doute, mais tant pis! Elle l’entendait déjà dire: « Tu es complétement folle ma fille » ou « vous êtes trop jeunes pour vous marier » ou encore « tu vas gâcher tes études ! » et autres stupidités du genre que des parents ne cessent de rabâcher à leurs enfants. Comme si debonnesétudes étaient tout ce qu’il fallait pour être heureux dans la vie !Et comme si elle n’était pas déjà suffisamment adulte pour pouvoir assumer ses choix ! Son père ne la voyait pas grandir, c’est certain. Il pensait toujours qu’elle était sa «Grande Sauterelle à lui »  en référence à ses jambes interminables et qu’elle le resterait jusqu’à la fin du monde!
Pourtant, Lou Anne avait tant envie quel’amourqu’elleportait à Kévin soit officialisé aux yeux du monde entier. Elle ne s’imaginait pas attendre sept ans (dans le meilleur des cas) pour pouvoir concrétiser son rêve. Et puis le mariage ne viendrait en rien déstabiliser ses études. Au contraire même. Le mariage lui permettrait de se sentir sereine dans sa vieet faciliterait ainsi indirectement les lourds apprentissages qu’elle aurait à faire pour décrocher son doctorat.
Dans le même esprit, elle aurait également bien voulu avoir très rapidement des enfants avec Kévin. Quelle autre preuve d’amour pouvait être supérieure à celle d’avoir des enfants avec le garçon que l’on aimait comme une folle? Aucune. C’était ce qu’il y avait de plus beau. Pourtant, elle devait bien reconnaître que ce genre de projet ne pouvait se prendre à la légère et elle admettait que si devenir une épouse était tout ce qu’il y a de plus imaginable à court terme,devenir maman était en revanche difficilement conciliable avec une vie estudiantine. Bah, ils verraient bien le moment venu ! Detoute façon, il ne restait plus à Kévin qu’uneannée pour terminer son BTS en Ingénierie des Systèmes Informatisés. Après cela, il pourrait être embauché dans une entreprise et commencerait à gagner sa vie. Ils pourraient alors emménager ensemble et devenir enfin un « vrai couple ».
Kévin referma le capot et regarda Lou Anne à travers le parebrise, avec une expression ambigüe qui oscillait entre la défiance et la résignation.
« Alors? T’as vraiment décidé de me faire le coup de la panne? Gros cochon ! lui lançatelle pour détendre l’atmosphère.
Même pas ! Croismoi,ce que je t’avais prévu à l’hôtel était beaucoup plus romantique que ça. Ne me donne pas de fausses excuses, ditelle en riant. « Bob le bricoleur » n’a pas réussi à réparer? Non, je ne sais pas ce qu’elle a! Je vais aller voir au bar s’ils ne connaîtraient pas quelqu’un qui pourrait nous aider.Je viens avec toi, réponditelle aussitôt. Je ne suis pas sortiedepuis qu’on a quitté Paris et j’ai besoin de me dégourdir les jambes.»
Elle ouvrit la portière et déplia ses jambes de « Grande Sauterelle ». Un souffle léger lui caressa le visage et balaya sa frange qui lui donnait de faux airs de Carla Bruni. « On pourrait peutêtre en profiter pour acheter quelques bouteilles d’eau? On a fini celles que j’avaisemportées pour ce midi.
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