Poupée de maïs
268 pages
Français

Poupée de maïs , livre ebook

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268 pages
Français

Description

Villaines-les-Rochers, le village de vanniers en Touraine ; l'Indre, la Loire, les deux fleuves sacrés de l'écrivain ; les jeux de l'enfance et la poupée de maïs : "Toi le père, moi la mère, nous dorlotons notre bébé", et les jeux interdits : "Je suis une fillette de l'Islam couverte d'un foulard". L'adolescence escamotée, puis le regard d'adulte qui cherche Dieu, qui rencontre Molière, le clown gai et le clown triste qui voyagent en Chine, en Roumanie, au Lesotho... Ces nouvelles brossent des tableaux qui se découvrent à la manière d'une exposition, à l'endroit, à l'envers, au hasard.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 février 2009
Nombre de lectures 146
EAN13 9782296221512
Langue Français
Poids de l'ouvrage 5 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Poupée de maïsDu même auteur
Poésie
Les petits riens, Editions Flammes Vives, 1993.
Fenaisons, Editions Flammes Vives, 1996.
La prèle, Editions La Nouvelle Pléiade, 1998.
La botte à musique, poèmes en prose, Editions La Nouvelle Pléiade,
1999.
Je, Editions La Nouvelle Pléiade, 2006.
Nouvelles
Je vous aime, petites gens des dimanches d'hiver, Editions La Nouvelle
Pléiade, 2007.
Théâtre
L'horloge parlante, L'allumette, deux pièces de théâtre, Editions La
Nouvelle Pléiade, 2001.Jean-Yves Lenoir
Poupée de maïs
nouvelles
L'Harmattan@ L'Harmattan, 2009
5-7, rue de l'Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairiehannattan.com
diffusion.hannattan@wanadoo.fr
hannattan l@wanadoo.fr
ISBN: 978-2-296-07953-3
EAN : 9782296079533Chapitre l
J'allumerai un feu, Anaïs, immense, et je te brûlerai.
Comme je brûlerai les poupées du maïs. Comme je
brûlerai les champs de maïs. Ce paysage immense
brasillera, je jure, je jure, aussi longtemps qu'un foulard,
un foulard, dans mon champ, sur ma terre, couvrira le
visage d'une fillette de l'Islam.8 POUPEE DE MAÏS
Poupée de maïs
ous grimpions le sentier. Au faîte du coteau, le paysage im-Nmense découvrait les grands champs de maïs qui ondulaient
sans fin jusqu'au trait d'horizon.
Et nous courions, nous courions tous les deux jusqu'aux
champs de maïs. - Entre, entre! criais-tu. - Après toi, après
toi! Et tu entrais, tu te cachais, je me cachais, sous les tiges
hautes.
Plus hautes que nous, bien plus hautes que nous. Les
tiges bruissaient, chantaient, l'une à l'autre, à la manière d'archets
et de violons qui s'accordaient pour un concert.
L'air de juillet faisait ici, dans le maïs, provision de
chaleur: étouffante, suffocante. La sueur, l'essaim de sueur, attisait
Ça pique! Ça pique!mes aisselles, ma gorge. Je te disais: -
Je te disais: - Cueille, Anaïs, cueille un épi, baptise cet
épi, donne-lui le nom de poupée: poupée de maïs.
Jete disais: - Enlève ma chemise et mon maillot ma
jupe, laisse ma culotte. Puis sur mon ventre pose, je te disais:
puis sur mon ventre pose la poupée de maïs.
Chevelure fraîche de poupée.
Chair de poule!
Chevelure fraîche de poupée. Presque humide sur ton
ventre, et jaune d'or, ou mauve, ou grenate, choisis, choisis la
couleur des cheveux.
Toi le père, moi la mère, nous dorlotons notre bébé.POUPEE DE MAÏS 9
Chaque feuille me semble une écaille de poisson; chaque
feuille enveloppe l'épi, plutôt roussie que verte, et rebique
autour du col, confectionne pour l'enfant une bavette à dentelle.
Chaque feuille effile sa pointe, tortillonne sa pointe,
l'enroule comme un foulard, comme un foulard couvrant le
visage d'une fillette de l'Islam.
Non, tais-toi.
Je suis une fillette de l'Islam couverte d'un foulard.
Non, tais-toi.
Je suis une fillette de l'Islam couverte d'un foulard.
Non, tais-toi. J'allumerai un feu, Anaïs, immense, et je te
brûlerai. Comme je brûlerai les poupées de maïs. Comme je
brûlerai les champs de maïs. Ce paysage immense brasillera, je jure,
je jure, aussi longtemps qu'un foulard, un foulard, dans mon
champ, sur ma terre, couvrira le visage d'une fillette de l'Islam.
Tu es morte, Anaïs.10 POUPEE DE MAÏS
Froid
'aime le regard froid des églises de campagne. Le parvis, leJportail. Froid le loquet gagné par la rouille. Et le givre,
l'humidité, qui couvrent le battant de chêne à demi grippé sur
ses gonds.
Le bénitier sur son socle de pierre. Froid, vide, ou glacé.
Ou ponctué de moucherons morts tombés de la voûte.
Viennent ici, au bénitier, les bras tendus, les mains pliées,
et les signes de la Croix. Et les dernières odeurs du village: terre
grasse des prés, bouses de vache, paille mûrie dans la grange.
J'évite le bénitier, je marche à l'opposé, je dois être seul
dans cette partie de l'église où règne l'obscurité.
Je m'assieds dans la partie centrale du confessionnal,
celle qui est réservée au curé.
Froid, vous dis-je, je dois être seul et froid.
Un manteau long m'enveloppe le corps jusqu'à la nuque,
jusqu'aux oreilles. Un chapeau couvre les cheveux, un cache-col
comme un bâillon sur la bouche.
Seul mon nez.
Qui s'imprègne, et transmet à mon sang la cire des
bancs: main de femme veuve et vieille, dans l'après-midi, et
chiffon pelucheux pour frotter le bois des bancs et des agenouilloirs,
sur les cinq premières rangées, celles qui servent à la messe du
dimanche.POUPEE DE MAÏS 11
La stéarine des cierges, plantés sur les pointes de métal :
- Un instrument de fakir, pensais-je, lorsque j'étais
enfant.
L'encens du vendredi saint, les champignons au pied du
mur : je revois la moisissure verdâtre qui recouvrait la confiture
sous le disque de paraffine.
Seuls mon nez, mes yeux.
Je ferme les yeux pour m'approcher de Dieu.
Oh !Je sais, Dieu n'est pas ici.
Cette lueur rouge qui veille jour et nuit près de l'autel -
sauf le vendredi saint précisément - impose le silence et le
respect, ce qui est déjà bien. Et nous rappelle que nous sommes
dans la maison de Dieu, ce qui ne signifie pas que Dieu est ici,
mais simplement que l'on peut, ici, lui rendre visite, lui
transmettre un message, s'approcher de lui.
Lorsque j'étais enfant (je me répète), pendant la
consécration de la messe du dimanche, je fixais d'abord longuement le
vitrail, puis je fermais les yeux, et de mes deux index j'appuyais
très fort sur les paupières. Des lueurs multicolores et folles me
traversaient la tête: - Voici Dieu, me disais-je, je lui parlais.
Plus tard, je découvris dans un dictionnaire le mot
kaléidoscope. Sur la première page de mon cahier de catéchisme
j'écrivis: « Dieu est un kaléidoscope ».
Lorsque j'ouvre les yeux, je vois Anaïs.
Elle entre dans l'église, plonge la main dans le bénitier, et
se signe en ployant maladroitement et trop vite le genou droit.
Puis elle s'avance jusqu'au premier rang.12 POUPEE DE MAÏS
Elle est nue.
TIy eut une seule fois, la première, où Anaïs ne fut pas
nue.
Elle s'était, ce jour, vêtue de cette petite jupe rouge à
volants que je lui connaissais bien, de ses espadrilles rouges en
plastique luisant, et d'une chemise Tour de France, c'est-à-dire une
sorte de maillot de coureur jaune opaque, discret, pudique,
comme il convient à la messe du dimanche.
Oh ! Bien sûr, pendant la semaine, elle portait des
corsages beaucoup moins stricts, échancrés, souvent transparents,
translucides du moins; et je lui connaissais une espèce de manie:
elle aimait, (comme ceci, tout à trac, d'un petit saut très
brusque), se suspendre à une branche d'arbre, une gouttière, un
rouIon d'échelle. - Je me trouve trop petite, expliquait-elle, il faut
que je m'étire pour grandir.
Et chaque fois je découvrais, dans l'ellipse des aisselles,
un soutien-gorge blanc éclatant, qui n'avait ni dentelle ni
fioriture, aussi simple et géométrique que possible.
Ce jour - le jour dont je vous parle, le seul jour où elle
ne fut pas nue -, agenouillée au premier rang de l'église elle fit
une courte prière, puis gravit les trois marches du chœur et
contourna l'autel, ouvrit cette porte un peu mystérieuse qui
donnait sur une absidiole, laquelle communiquait directement avec
le jardin du presbytère.
C'était là que le garçon l'attendait.
Torse nu, culotte courte, chaussé de bottes de
caoutchouc, il avait remonté le cours du ruisseau en contrebas,
escaladé le mur d'enceinte du jardin, et s'était finalement faufilé sous
un arbre à buis; je ne connais pas de cachette plus discrète quePOUPEE DE MAÏS 13
l'arbre à buis: il offre un entrelacs de petites feuilles très
rapprochées, régulièrement réparties depuis le sol jusqu'à la cime.
Elle le rejoignit sous le buis, plus exactement dans
l'intervalle étroit qui séparait l'arbre et le mur d'enceinte.
L'endroit était sûr mais inconfortable: bois griffu, pierre
humide, la jeune fille en fit un prétexte: - Je vais déchirer mon
corsage, dit-elle, il faut que je l'ôte.
Jamais encore elle ne s'était dévêtue devant lui. Elle ôta
son corsage.
Le garçon demanda:
- Et ça ? Il désignait la jupe.
- Idem, répondit-elle.
Elle fit glisser la jupe jusqu'à ses pieds.
La culotte était du même blanc que le soutien-gorge. Et
simple, également simple, dessinant une figure géométrique
parfaite, un vrai trapèze isocèle. Mais avec une courbure marquée
sur le pubis, un renflement, ce que le garçon n'avait jamais
imaginé, qu'il découvrait.
Elle dégrafa elle-même le soutien-gorge, elle baissa
ellemême la culotte.
Depuis ce jour, Anaïs est nue.
Elle entre dans l'église, plonge la main dans le bénitier, et
se signe en ployant maladroitement et trop vite le genou droit.
Puis elle s'avance jusqu'au premier rang.
Elle est nue.
Agenouillée au premier rang de l'église elle fait une
courte prière, mais ne gravit plus les trois marches du chœur, ne
contourne plus l'autel ni ne traverse l'absidiole pour gagner le14 POUPEE DE MAÏS
jardin du presbytère. Car la cachette de l'arbre à buis était
décidément trop inconfortable.
Elle choisit le confessionnal. C'est là, dans le
confessionnal, qu'elle rejoint le garçon.
Elle aime l'odeur de résine enivrante. Elle aime la saveur
aigrette des panneaux de bois: elle passe la langue sur le bois, sa
langue goûte le miel et l'acide à la fois. Sur la peau nue le grain
du sapin est délicieusement râpeux, elle se plaît à dire qu'il s'agit
d'un aiguillon docile. Et le rideau blanc! Qui se meut sur le
corps comme un velours léger de théâtre, qui exhale, sait-on
pourquoi, un parfum de lavande.
Quelques centimètres nous séparent.
Le souffle d'Anaïs me parvient, d'abord lent et profond,
régulier. Il s'amplifie. Soudain elle s'exclame: - Ah ! Vous
savez, c'est la lavande des bouquets séchés dans la maie de
Grandmère.
Le souffle s'amplifie encore, saccadé, urgent. Une femme
se donne. Ouvre tout son corps.
De mes deux index j'appuie très fort sur les paupières.
Anaïs est nue. Un filet de sperme festonne ses lèvres vaginales.
Froid, vous dis-je, je dois être seul et froid.POUPEE DE MAÏS 15
Portrait d'Anaïs
l faut suivre d'abord, avec peine, le raidillon qui tortille entreIdeux haies de ronces. Puis, dès que la pente s'adoucit, laisser
derrière soi l

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