Rêver à contre-courant
250 pages
Français

Rêver à contre-courant , livre ebook

-

250 pages
Français

Description

Ce récit retrace l'itinéraire de Léonard Wantchékon, depuis sa jeunesse au Bénin, à sa position actuelle, dans le monde universitaire nord-américain de la "Ivy League". C'est le récit d'un éveil à la conscience politique et d'un engagement militant dans la cause tiers-mondiste et patriotique. La seconde partie relate la fièvre de l'engagement et ses conséquences immédiates : la prison et la torture. La fin nous conduit au Canada et aux Etats-Unis où l'auteur décroche son doctorat.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2012
Nombre de lectures 10
EAN13 9782296495258
Langue Français
Poids de l'ouvrage 6 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Rêver à contre-courant
Encres Noires Collection dirigée par Maguy Albet et Emmanuelle Moysan La littérature africaine est fortement vivante. Cette collection se veut le reflet de cette créativité des Africains et diasporas. Dernières parutions N°356, Lottin Wekape,J’appartiens au monde, 2012. N°355, Kolyang Dina Taïwé, La rupture ou les déboires d’une conversion,2011. N°354, Blaise APLOGAN,Gbêkon,jejournal duprince Ouanilo, 2011. N°353, Sa’ah François GUIMATSIA,Desgraines et des chaînes, 2011. N°352, Sémou MaMa DIOP,En attendant lejugement dernier, 2011. N°351, Lottin WEKAPE,Montréal, mon amour, 2011.N°350, Boureima GAZIBO,Les génies sont fous,2011. N°349, Aurore COSTA,Les larmes de cristal. Nika l’Africaine III, 2011. N°348, Hélène KAZIENDE,Les fers de l’absence, 2011. N°347, Daniel MATOKOT,La curée des Mindjula. Les enfants de Papa, 2011. N° 346, Komlan MORGAH,Étranger chez soi, 2011. N°345, Matondo KUBU TURE,Des trous dans le ciel, 2011. N°344, Adolphe PAKOUA,La République suppliciée, 2011. N°343, Jean René OVONO MENDAME, Les zombis de la capitale, 2011. N°342, Jean René OVONO MENDAME,La légende d’Ebamba, 2011. N°341, N’do CISSÉ,Les cure-dents de Tombouctou, 2011. N°340,Fantah Touré,Des nouvelles du sud, 2011. N°339, Harouna-Rachid LY,Les Contes de Demmbayal-L’Hyène et Bodiel-Le-Lièvre, 2010. N°338, Honorine NGOU,Afép, l’étrangleur-séducteur, 2010. N°337, Katia MOUNTHAULT,Le cri du fleuve, 2010. N°336, Hilaire SIKOUNMO,Au poteau, 2010. N°335, Léonard MESSI,Minta, 2010. N°334, Lottin WEKAPE,Je ne sifflerai pas deux fois, 2010. N°333, Aboubacar Eros SISSOKO,Suicide collectif. Roman, 2010. N°332, Aristote KAVUNGU,Une petite saison au Congo, 2009. N°331, François BINGONO BINGONO,Evu sorcier. Nouvelles,2009. N°330, Sa’ah François GUIMATSIA,Maghegha’a Temi ou le tourbillon sans fin, 2009. N°329, Georges MAVOUBA-SOKATE,De la bouche de ma mère, 2009. N°328, Sadjina NADJIADOUM Athanase,Djass, le destin unique, 2009.
Léonard Wantchékon
Rêver à contre-courant
Autobiographie
TRADUIT DE LANGLAIS PARRAHMANEIDRISSAL’HARMATTAN
© L'HARM ATTAN, 2012 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Parishttp://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-96383-2 EAN : 9782296963832
A ma mère, A mon père,
INTRODUCTION
Le rêve fut sur le point de s’évanouir, au moment même où il était sur le point de se réaliser finalement. Mon équipée allait connaître une fin abrupte, en ce jour de décembre 1986, à 9h23 du matin, lorsqu’au poste de Idiroko, à moins d’une dizaine de kilomètres de la frontière nigériane, je me trouvai soudain nez-à-nez avec un agent des services spéciaux camouflé en policier de service. Je le connaissais très bien. Ce « policier » m’avait à plusieurs reprises récupéré au siège des services spéciaux de l’Etat, bien connu sous le nom de « Petit Palais ». Et à présent, il était littéralement tout ce qui se dressait entre moi et le poste-frontière nigérian, la porte de ma liberté. M’avait-il reconnu ? Evitant son regard, je glissai de l’argent dans sa main en guise d’identification, bien conscient qu’il pouvait, à n’importe quel moment, me remettre en état d’arrestation. Miracle cependant, il me fit signe de passer. Tout au long des 800 mètres de piste en terre battue qui m’éloignaient de lui et me menaient vers le territoire nigérian, si lentement, et pourtant si rapidement, mon cœur battit la chamade, et mon souffle fut presque suspendu – suspendu à la pointe tremblante de la liberté, à l’horizon d’une autre vie. 10h04 : j’entrai dans la bourgade d’Ajegunle, en compagnie de mon guide, le frère d’un ami à qui j’avais demandé de m’aider à atteindre Lagos. Mon corps tout entier fourmillait de joie, j’avais envie de danser, mais j’avais aussi besoin de rester calme et digne – en souvenir de l’enfer d’où je sortais, et où tant d’autres étaient demeurés. Trois mois passés à jouer au chat et à la souris avec les services spéciaux d’un régime brutal, six mois dans la salle de torture de la fameuse Maison Blanche de la caserne Guézo, à Cotonou, une année dans la géhenne de la prison de Ségbana, au Nord Bénin. Danser. Rester calme. Calme. Danse. Calme. Danse. C’était là le rythme de mon âme à cette heure étrange où je respirai l’odeur oubliée de la liberté. La joie m’inondait, immense et radieuse, presque purement physique, la joie un peu ivre de l’oiseau qui s’élance de sa misérable petite cage vers le soleil et l’air frais des hauteurs. Mais cette joie était morale aussi. Elle traçait dans mon cœur, en une ligne lumineuse, la frontière exacte qui séparait désormais mon passé de mon futur. Mon passé de brillant étudiant gauchiste qui s’était engagé pratiquement à mort pour la cause d’une révolution démocratique radicale au Bénin, et mon futur, encore inconnu alors, mais qui,
͹
depuis, s’est avéré être celui d’un militant pro-démocratie expérimenté tâchant de réaliser un potentiel intellectuel et universitaire un moment donné pour mort. Mon évasion, à vrai dire, fut plutôt simple, mais elle n’en fut pas moins rude pour mes nerfs. J’avais été épinglé le 18 juillet 1985, écroué au Camp Séro Kpéra de Parakou, puis déporté à la prison de Ségbana, dans le nord du pays. Là, je fus en proie à d’attaques aiguës et imprévisibles d’arthrite rhumatismale. Le rhumatisme était un vieil ennemi dont les conditions particulières de Ségbana aggravèrent les manifestations. Après moult finasseries, je parvins à obtenir un permis temporaire pour me rendre à l’infirmerie d’Alejo, un village du district de Djougou, non loin de la frontière togolaise. C’est là que je pus prendre la fuite vers le sud, au nez et à la barbe de la police secrète. Arrivé à Cotonou, sur le littoral, je pris langue avec mon geôlier en treillis, et, afin d’apaiser au moins momentanément sa fureur, je lui écrivis que ma présence à Cotonou n’était motivée que par la recherche d’un meilleur traitement, mes crises étant devenues véritablement insupportables. Au bout de trois semaines, cependant, la feinte ne pouvait plus tenir. J’appelai le commandant pour tenter de calmer sa colère, mais il proféra de bilieuses menaces, montrant clairement qu’il s’était rendu compte de la grave erreur de calcul qu’il avait commise en me permettant de chercher un traitement en dehors de la prison. Trop tard – j’avais déjà commencé à mettre en œuvre mon plan d’exfiltration hors du pays, le lendemain même. En dépit de la joie que me donnait ma fuite, mes sentiments étaient mêlés. J’avais sans doute rendu ma famille responsable, aux yeux de la police politique. Mes parents pouvaient être la proie de représailles potentiellement horribles. J’allais peut-être être aussi responsable de la suppression de la pratique d’accorder, de temps en temps, des permissions pour raisons de santé aux prisonniers ayant besoin d’un suivi médical sérieux. Les conditions d’incarcération pourraient empirer, alors qu’elles étaient déjà bien ardues. Mais il fallait que je parte. Je ne pouvais plus résister à la petite voix qui me pressait à longueur de journée, « fuis, Léonard, fuis », – une voix qui avait commencé comme un chuchotement timide six mois plus tôt, et qui était devenue, sur la fin, assourdissante. A l’intérieur du taxi-brousse qui m’emportait vers Lagos, la grande ville nigériane, je ne voyais pas le paysage extérieur car le film de ma vie passée se déroulait devant mon regard intérieur. Je vis des images du 6 mai 1985, jour du soulèvement estudiantin dont j’avais été l’une des
ͺ
chevilles ouvrières. Des images des journées de torture, en juillet 1985. Les arrestations en masse des activistes radicaux et la destruction de leurs réseaux clandestins en octobre de la même année. Les détails nombreux, triviaux ou importants, de la vie de détenu politique. Je revis Léonard Kédoté, l’ami d’enfance qui fut de toutes mes joies et aussi – et surtout – de toutes mes peines et qui, à ce moment même, devait être dans ce coin infâme de notre cellule baptisé « Kampuchéa Démocratique » par les prisonniers. Le flot d’images était incessant, enchaînant une vignette après l’autre. Je vis Didier d’Almeida, Luc Agnakpé, Gaston Kokodé, Thomas Houédété, Daniel Djossouvi, Raymond Adekambi, Pierre Gnansa, Thomas Omer, Aboubakar Baparapé, Allassane Tigri, et tant d’autres visages figés dans l’ombre de l’oppression. J’étais tellement perdu dans mes rêveries que je fus volé par un passager installé à côté de moi sans du tout me rendre compte de quoi que ce soit. J’avais un manteau bleu avec des parements blancs et rouges au-devant, qui m’avait été offert par un ami, Gaston Kokodé, en décembre 1985, afin de lutter contre le froid dans la cellule que nous partageâmes à Parakou. J’étais décidé à conserver, dans mon exil, ce symbole de l’amitié, en souvenir des liens qui m’attachèrent pour toujours à mes compagnons de prison. La perte me fut donc extrêmement pénible. Nous arrivâmes dans le quartier bruyant et animé d’Oshodi, à Lagos. Foules denses, vibrantes de tension et d’une violence qui éclatait parfois comme une décharge électrique, ambiance sauvage, même démoniaque. Je luttai contre un sentiment de choc, car je n’avais pas le temps pour la mélancolie. L’exil commençait, et il fallait, dès à présent, en accepter les réalités, même lorsqu’elles se présentaient sous cet aspect déconcertant. L’épuisement nerveux et mental me minait certes, mais aussi, je sentais en moi une espèce de vigueur secrète, d’allant, le désir sans doute de témoigner, le désir plus primitif de m’accrocher à l’espérance alors même que le vide semblait s’ouvrir sous mes pas. Témoigner, oui, au sujet de ce que fut ma vie de prisonnier politique au Bénin, et m’accrocher à ce futur qui, je m’étais mis à l’espérer, existait devant moi. Une grande partie de ces mémoires fut écrite au cours des premiers mois de ma vie d’exilé. A l’origine, il s’agissait pour moi d’un écrit de combat, un récit de vie de prison qui devait choquer l’opinion internationale et déclencher une campagne en faveur des prisonniers politiques du Bénin, sur la fin des années 1980. Mais avec le temps, un dessein plus large s’imposa à moi. Je ne voulais plus simplement décrire les horreurs de la vie en
ͻ
prison et des tortures infligées par un régime dictatorial. Je ne voulais plus édifier seulement un autel à la colère et à la désillusion, j’ai aussi voulu offrir un canal à l’espérance, à la persévérance et à la célébration. J’ai résolu de dire l’histoire positive de la démocratie au Bénin, à partir de mon expérience personnelle au sein du mouvement – les sacrifices et souffrances personnels, les stratégies d’organisation et de politique qui rendirent le changement possible. Ce fut, après tout, un privilège pour moi d’avoir fait partie de cet étonnant voyage. La plupart des gens sortent d’une lutte politique cruelle si meurtris et atteints qu’ils ne sont plus, au mieux, que des musées vivants, ou peut-être, avec un peu plus de chance, une « légende ». Ma chance à moi fut de survivre à ces meurtrissures avec suffisamment d’énergie pour intégrer les corps professoraux des universités de Yale, New York University et Princeton, où j’ai la possibilité d’avoir un impact positif direct sur les décisions politiques dans un Bénin démocratique, à travers la recherche universitaire. Par conséquent ce livre ne saurait être seulement la réminiscence d’un soulèvement estudiantin, de la torture et de l’évasion. Il sera aussi question de ma vie d’immigré, en tant qu’étudiant et universitaire en Amérique du Nord, et de l’opportunité que j’ai acquise de présenter, en manière de contribution, ma vision pour le futur démocratique de l’Afrique.
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents