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Description
Sujets
Informations
Publié par | L'Harmattan |
Date de parution | 01 avril 2011 |
Nombre de lectures | 42 |
EAN13 | 9782296805934 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
Les rives identitaires
Leïla H OUARI
Les rives identitaires
Récit nomade
Préface de Lola Miesseroff
Du même auteur
Editions L’Harmattan
Zeïda de nulle part , roman, 1985
Quand tu verras la mer, nouvelles, 1988
Les cases basses, théâtre, 1993
Poème fleuve pour noyer le temps présent, poésie, 1995
Le chagrin de Marie-Louise, nouvelles, 2009
Editions EPO/IDI (Bruxelles)
Et de la ville, je t’en parle, avec des photos de Joss Dray, 1995
Editions Syros/EPO (Paris-Bruxelles)
Femmes aux mille portes, avec des photos de Joss Dray, 1996
Editions Céphéides-Sarah Wiame (livres d’artiste)
Damrak, poésie, 1997
Pâle Arbre, poésie, 2000
Exotiques, poésie, 2010
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-54265-7
EAN : 9782296542657
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
« Cette ressemblance était une identité
qui me donnait le frisson »
Charles Baudelaire
A ma mère, à sa joie de vivre.
A Jean-Paul Trefois.
Préface
« Les Rives identitaires » sont données pour un récit nomade et c’est bel et bien le nomadisme qui est le moteur de cet ouvrage où l’on se déplace de Fès à Paris en passant par Ostende et Bruxelles, dans la vie de la narratrice en petite fille aux souliers vernis faisant sa première traversée vers l’Europe, en femme adulte qui a perdu son père et en reste la rage au ventre et les tripes en émoi, mais aussi en conteuse immémoriale de la tradition arabe, dans le monde de l’art, celui de la cuisine orientale comme celui des bistrots parisiens… dont l’un s’appelle justement Le Nomade.
Nomade aussi le récit lui-même, zigzaguant entre mémoires et contes, réalité et rêve, sans schéma narratif à proprement parler mais fait d’histoires multiples tricotées ensemble autour d’un fil très fin : 3 brins/3 personnages tressés plus ou moins serrés au centre d’une toile arachnéenne peu délimitée où gravitent tous les autres personnages et les récits connexes.
Loin des lieux communs et des clichés du nomadisme – si faciles quand on est marocaine franco-belge ! Le nomadisme de Leïla Houari, lui, est ici consubstantiel. Dans ce récit, c’est le père disparu qui est le modèle en nomadisme ; non seulement parce qu’il ne voulait jamais s’installer et faisait vivre sa nichée comme en camping sans fauteuils ni meubles, mais aussi, et peut-être surtout, parce que sa vie amoureuse était en constante itinérance, tout comme l’était sa vie de travail. Et sa mort ne pouvait peut-être survenir que dans le mouvement, sur la route… Fallait-il donc que l’aura de sensualité séductrice de cet époux et de ce père constamment ailleurs soit puissante pour que sa femme lui revienne toujours et que sa fille décide tout enfant qu’elle allait aimer les hommes, tous les hommes, rien qu’ en regardant la bouche de son père… !
On pourrait très logiquement aborder ce livre nomade à petits pas, en musardant, mais c’est à coup sûr en le lisant d’une seule traite, d’un seul souffle, que se révèle toute la texture de l’écriture étrange de Leïla Houari, cousue de paradoxes et d’oxymores, à la fois pudique et impudique, poétique et triviale, gourmande et âpre, personnelle et universelle, orientale et d’ici, directe et perverse, gaie et sombre, tragique et sensuelle, réaliste et onirique.
Les sortilèges de cette écriture parviennent à faire des « Rives identitaires » un livre de deuil qui est aussi une ode amoureuse et un cri de colère au père disparu. « Mère, se pourrait-il que les morts séparent les vivants ? » demande la narratrice, en s’interrogeant sur les rapports de ses parents, la soumission apparente de sa mère et l’injustice faite aux femmes par une règle qui prive les filles d’un héritage dévolu pour la plus grande part aux hommes, règle de laquelle le père n’a pas su affranchir les siens. Et pourtant, comment ne pas vénérer cet Arabe libre et sans complexes, qui a gardé jusqu’au bout la vitalité, l’hédonisme et la cruauté des enfants ?
Si la narratrice porte son désespoir en bandoulière et clame volontiers : la vie, quelle barbe ! elle laisse aussi à tout instant exploser sa sensorialité de cuisinière et d’amatrice de bons vins et, même si elle reste discrète là-dessus, de femme qui s’est vouée à aimer les hommes. Mais comment jouir sereinement de la vie quand les morts nous laissent les bras chargés de questions ? Si cet enchevêtrement d’histoires ne saurait répondre à ces questions, il permet une évasion cathartique faisant voir les questionnements fondamentaux d’un peu plus loin, d’un peu plus haut… D’où sa magie.
On en vient alors aisément à chercher du sens caché et des mystères partout. Les « Rives » qui donnent leur titre à ce livre sont-elles celles de la Méditerranée, frontière des identités nationales de la narratrice et des siens ? Trop simple vous dis-je ! Et pourquoi pas celle de l’Achéron, où l’on va perdre son identité, ou celles de la Seine qui consacrent le Parisien ? Pour ce qui me concerne et sans que je comprenne pourquoi, ces « Rives identitaires » tendent à évoquer cette fameuse bouche du père qui a donné à la fille son amour pour tous les hommes et, par extension et salinité marine, les lèvres du sexe féminin qui bornent ce qui est alors une identité de genre.
Ouvrage inclassable, gageons que ces « Rives » vont attirer et capturer bon nombre de lecteurs, mais, dans ce monde où tout fonctionne sur la quantité, combien seront-ils à rendre justice à son authenticité et à sa singularité ? Moins qu’on ne le souhaiterait mais plus qu’on ne l’imagine ?
Lola Miesseroff
Prélude
Au service de mon père, ma mère a passé sa vie à attendre des caresses qu’il prodiguait joyeusement à d’autres. Presque jusqu’à la fin de sa vie, il a eu des maîtresses. D’elle, je n’ai aucun souvenir de gestes d’amour. Elle n’a connu que lui. Lui, à la fin de sa vie, n’a plus juré que par elle… Toute une vie avec le même sexe… un parcours de sainte ou un conte de fées ? Je me suis souvent demandé si elle l’avait eu en main… Le sexe de mon père dans les mains de ma mère, quelle chose étrange...
Aveux
Je voulais apprendre. Je ne voulais pas de mari, pas d’enfant. Je n’ai pas eu le choix, ma mère était veuve et ne pouvait subvenir aux besoins de toute une famille. J’ai dû accepter cet homme.
… Mon père…
Oui… il est sous terre désormais et il est trop tard pour moi…
Ne parle pas comme ça, tu m’agaces.
Il a toujours cru que je ne savais rien faire au lit. Il se trompait… Comment être fantaisiste avec un homme qui n’est jamais là pour vous ?...
Ma mère est un curieux personnage. Voilà ce que j’ai toujours pensé. « Je ne suis la mère de personne », nous serinait-elle à longueur de journée. Je regardais avec étonnement sa bouche proférer une telle phrase.
« Mère de personne », nous étions tout de même sept à la maison.
Puis-je imaginer que tu sois une femme à la fois libre et soumise ? J’ai du mal à l’admettre.
Quand tu t’absentes loin dans tes pensées, je vois une petite fille qui court la tête pleine de rêves et quand je te regarde bien, ton sourire a l’ironie du désenchantement. Tes lèvres ne s’ouvrent que pour avaler tout ce qui est bon et qui se mange. Parfois j’ai l’impression que ta gloutonnerie ne s’arrêtera jamais. Que voudrais-tu vomir à la terre entière ?
Depuis qu’il est mort, et sans rien perdre de sa gourmandise, elle a perdu au moins vingt kilos. Elle s’est mise au pantalon. Une chose impensable avec lui.
Où va la douleur quand la vie a raison d’elle ?
Elle lève ses yeux sur moi. Je lui en avais tant voulu.
Pourquoi es-tu toujours revenue vers lui ?
… Pour vous, pour vous permettre de grandir, d’étudier, pour ne pas vous perdre… Tu crois que c’est si simple, je n’avais pas de travail, pas de formation, rien…