Rue Daguerre

Paul Fabre

Description

La rue Daguerre n'est pas une rue comme les autres : pour Pierre, cet homme "inactuel" qui a tout abandonné, son métier comme ses ambitions, et qui vit sans projet, elle est le cadre de ses rêveries, le lieu où son passé vient un jour l'assaillir et un jour le bercer... Rue "toujours recommencée", la rue Daguerre est à la fois le berceau où se recrée le souvenir et le tombeau où ce souvenir s'enlise dans la mort.

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Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 01 octobre 2010
• Nombre de lectures: 119
• EAN13: 9782296705357
• Langue: Français

Extrait

RUE DAGUERRE
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de L’Ecole polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
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ISBN : 978-2-296-12639-8
EAN : 9782296126398

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Paul Fabre


RUE DAGUERRE


L’Harmattan
DU MÊME AUTEUR

La Fare-Alès : Les Castanhadas (tr ò ces causits), Montpellier, Centre d’études occitanes, 1970.
L’Affluence hydronymique de la rive droite du Rhône. Essai de micro-hydronymie, Montpellier, Centre d’études occitanes, 1980.
Noms de lieux du Languedoc, Paris, Bonneton, 1995.
Les Noms de personnes en France, Paris, Presses universitaires de France, « Que sais-je ? », 1998.
Au Sens large, Paris, L’Harmattan, 1999.
Dictionnaire des noms de lieux des Cévennes, Paris, Bonneton, 2000.
Diagonalement vôtre, Montpellier, Amicale des Diagonalistes de France, 2001.
Expressions du cyclisme , Paris, Bonneton, 2004 (préface de Jean Bobet, dessins de Ségolène de La Gorce).
Le Pays de là-haut, Saint-Jean-de-Valériscle, GabriAndre, 2005 (Prix Vallée Livres du manuscrit régional).
Petit Dictionnaire de la littérature occitane du Moyen Âge, Montpellier, Centre d’études occitanes, 2006.
Le Grand Ruisseau, Clermont-Ferrand, L’Écir, 2008.
Anthologie de la poésie lyrique occitane du Moyen Âge (XIIe – XIVe siècles), Orléans, Paradigme (à paraître).
Pour Céline, cette rue… Sa rue.
« Je me suis rarement perdu de vue ; je me suis
détesté, je me suis adoré ; – puis, nous avons vieilli ensemble. »

Paul Valéry, La Soirée avec Monsieur Teste.
CHAPITRE 1er PIERRE
Pierre s’était assis au café Daguerre, à l’angle de la rue du même nom et de l’avenue du général Leclerc. Il avait commandé un verre de blanc, un touraine sauvignon ; il aimait ce vin frais, aimablement fruité. Il avait toujours préféré les choses légères, les poèmes finement ciselés aux lourds romans historiques, l’appartement intime et délicat à la villa imposante et cossue, la plume au plomb. Au demeurant, il n’avait jamais bien compris que l’on pût affirmer que le kilogramme de l’une pesât à l’égal du kilogramme de l’autre… Il avait toujours pensé – ou su ! – que les certitudes de ce que l’on appelait la science étaient généralement vaincues par le sentiment que l’on avait des choses, par les intuitions dont ce sentiment était friand.

Et il regardait le mouvement continu de cette étonnante rue Daguerre. Ni cortège ni procession. Pas davantage défilé ni parade. C’était plutôt comme une scène de théâtre où l’on passait. Où « ils » passaient, acteurs inconscients du rôle qu’ils jouaient, spontanément. Et d’ailleurs, jouaient-ils ? Un manteau pressé emboîtait le pas à un blouson indolent, un chapeau de course dépassait vivement des godasses délicates, des coudes collés au corps contournaient des genoux gainés de soie, et tout cela en saccades, comme dans les films des frères Lumière. C’était pareil dans l’autre sens, vers l’avenue du Maine et Montparnasse. On marchait, on piétinait, on courait, on galopait, on s’arrêtait.

Il ne se lassait pas de ce spectacle, qui pourtant n’avait guère de sens. Un spectacle, ce n’était pourtant pas seulement ce qui s’offrait au regard ! C’était aussi une suite d’actions qui allaient vers une conclusion, vers une scène finale, qui dévoilerait le nœud de l’intrigue. Mais ici il n’y avait ni intrigue ni dénouement ; il n’y avait que du mystère, flou, perpétuel, redondant. Récurrent ! C’était un mot à la mode. Il aimait se le répéter, comme ça, pour le plaisir.

Il commanda un autre verre. C’était du vin blanc, ça ne pouvait pas lui faire de mal. Ce n’était pas comme ces alcools brûlants, ces cocktails inventifs, ces tord-boyaux affreux, ces mixtures modernes qui vous bousillaient le foie, la rate et le gésier. Le vin blanc, c’était naturel, donc c’était sain et… roboratif ! Et comme c’était bon… Ça lui rappelait la petite vigne de clairette de son grand-père, là-bas, à Nizas, dans l’Hérault. Une petite vigne, juchée sur la colline aride du Frigoulas. Il se rappelait qu’il n’aimait guère le travail des vendanges, toujours courbé à couper des raisins, et ce mal au dos, tracassier et permanent. Récurrent, encore et toujours ! C’était si bon de mâchouiller le chewing-gum des mots que l’on aimait…

Il vida son deuxième verre, n’osa pas en commander un autre. Au café Daguerre, on le connaissait un peu maintenant, et il n’avait pas envie de passer pour un ivrogne. Il avait déjà payé. Il avait pris l’habitude de payer dès qu’on le servait. Comme les agents secrets, on ne savait jamais ce qui pouvait arriver ! Il avait trouvé ça dans un roman policier. Ça l’amusait de faire pareil. Encore une attitude… récurrente.

Au kiosque de l’avenue, près de l’entrée du Monoprix, il s’en alla acheter L’Équipe. Il aimait bien ce journal, il le lisait depuis tant d’années ! Une curiosité d’abord, bientôt une habitude, maintenant une manie, un réflexe. C’était fou ce qu’on vivait de… récurrences ! On refaisait tous les jours ce qu’on avait fait la veille. Ou presque... Il y avait bien quelques différences, mais ce n’étaient finalement que des variantes, comme au théâtre, quand un acteur trébuchant sur un mot le remplaçait par un autre, qui ne changeait rien au sens de la scène.

Il alla s’installer à la Chope Daguerre, à deux pas, chez François. Il lirait son Équipe tout en mangeant machinalement le plat du jour, un sauté de veau. Il n’aimait pas trop les salades composées, elles ressemblaient trop à ses yeux aux familles recomposées. Ici trop de monde, là trop d’ingrédients. C’était comme dans les romans historiques, où il trouvait toujours trop de gentilshommes, trop de princesses, trop de valets, trop de spadassins ! Et que je t’ajoute et que je te rajoute des magrets et du mesclun, du fromage et des croûtons, des oignons et des champignons, des tomates et des olives noires, des œufs durs et des anchois, et des tas de trucs qui ne servaient qu’à dissoudre le goût du plat, comme les cent personnages de ces histoires à n’en pas finir qui vous faisaient perdre le déroulement de l’intrigue. Mais bon, les salades composées étaient à la mode, et ses voisines de table – deux dames pourtant bien dodues – en dévoraient une. À belles dents, pour maigrir…

Quand il eut terminé son repas, il glandouilla un peu. Il aimait bien glandouiller, ça le changeait de tous ces gens affairés, qui avaient l’air de ne jamais glandouiller. Et toujours la course ! Au boulot, à la cantine, au supermarché, au métro, à l’appartement ou à la cambuse de banlieue... Non, lui, tout ça lui cassait les pieds. Il se refusait à courir jour et nuit, et du premier de l’an à la saint Sylvestre. Il faut dire qu’il avait pris ses précautions, il ne travaillait pas. Enfin, il ne travaillait plus. Il avait carrément tué le tâcheron qui s’excite en tout salarié. Et il s’en trouvait bien, du moins ne s’en trouvait-il pas trop mal.

Il alla faire un tour à l’Arbre à lettres, la librairie de la toute proche rue Boulard. On venait tout juste d’ouvrir. Il aimait aller entre les rayons, ouvrir un livre pour la seule volupté de le refermer après y avoir picoré une phrase ou un mot, en feuilleter un autre pour le seul plaisir de battre ses pages comme on battrait des cartes à jouer, en ignorer un autre dont le titre lui semblait sot ou prétentieux. Il jugeait toujours a priori. C’était plus simple que de déballer tous les aspects et éléments du procès ! Et, à la réflexion, on ne courait pas plus de risques de se tromper. Il avait toujours été fier de ses jugements à l’emporte-pièce. C’était peut-être un peu bête, mais c’était comme ça. Et il n’allait pas se séparer de ses habitudes. Bonnes ou mauvaises, elles étaient les siennes. Et il y tenait !

Pierre était entré dans cette librairie qu’il aimait tout particulièrement. Elle était nette, claire, discrète, et tout y était si bien rangé. Il ne cherchait rie