Seul, pluriel et 2
222 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Seul, pluriel et 2 , livre ebook

-

222 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Alexandre Chipenko, ouvrier-poète, vit une rupture amoureuse, ébranlement du présent qui le renvoie aux engagements sociaux et à l'Histoire.
La tension entre solitude et société mènera-t-elle à l'autre ? Le couple est une quête, dont ce roman décline les multiples visages, et préserve l'incertitude... Récits et carnets d'Alexandre, blogs de Bella et d'Anaïs (la fillette), correspondance électronique, les voix et les histoires s'incarnent à travers une écriture dense. "Le style, disait Flaubert, est au-dessus de la vérité."

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2010
Nombre de lectures 45
EAN13 9782296709621
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L'Harmattan, 2010
5-7, rue de l'Ecole polytechnique, 75005 Paris
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
 
ISBN : 978-2-296-13121-7
EAN : 9782296131217
 
 
 
 
Seul, pluriel, et 2
 
Du même auteur
 
 
Romans
 
Nuit bleu horizon, Éditions Le Temps des cerises, Paris, 1999
Pierre blanche, Éditions La Part commune, 2001
Enquête sur une dispersion, Éditions le Temps des cerises, 2007
 
Essai
 
Aurélien ou l'écriture indirecte, études de Suzanne Ravis, Lucien Victor, Edouard Béguin, Gwenola Leroux, Éditions Champion, 1988
Gwenola Leroux
 
 
 
Seul, pluriel, et 2
 
 
 
 
L'Harmattan
 
Il faut étendre l'espace durant lequel les passions se
développent ,
afin qu'elles aient le temps de s'arranger à mesure qu'elles
naissent.
 
Jean-Jacques Rousseau
 
 
Deux n'est pas le double, mais le contraire de un,
de sa solitude
 
Erri de Luca
 
1. Seul. Abandon
 
 
A nita me quitte. Anita repart. A ne pas croire ! Elle écrivait il y a quelques jours dans un mail qu'elle ne pouvait se soustraire à mon attraction, qu'elle s'efforçait — ou était-ce « se forçait » ? — de rester sur orbite, telle la lune... Anita m'a déjà quitté : cinq ans d'absence, puis Anita est revenue. Sa sorte de fidélité, à l'attraction entre nous, un rachat ; depuis, une multitude de petits départs, des portes claquées sur des coups de gueule, sa façon de ne supporter aucune remise en cause, mais elle est toujours revenue, le cœur aux lèvres : sa sorte de fidélité. Impossible qu'elle recommence comme il y a cinq ans ! Hier elle a dit calmement, presque gentiment — mauvais signe ce calme en elle — qu'il valait mieux qu'on se sépare quelque temps. Ça fait combien de temps quelque temps ? Quelques jours, une semaine, un mois ? Jusqu'au départ à Venise ? Elle a les billets... Il fait froid. Envie de rester au lit, oublier dans le sommeil et le chaud des draps, renifler des traces de son odeur. Cinq heures, encore une heure avant de partir au boulot, aujourd'hui faudra creuser, piocher, pelleter, c'est bien : défoncer, ça me défoulera, je m'enfoncerai au creux de la terre, qu'est-ce que je pourrai faire d'autre ? Bordel ! Qu'est-ce que je fais de ma vie ?
 
Six heures. L'atmosphère du petit matin, chiffonnée. J'enfile un bras après l'autre dans la nouvelle journée, sans penser, le corps dans le pull, le cul dans le pantalon, je mets un pied devant l'autre : survivre en attendant de trouver mieux. Miroir aveugle quand elle n'apparaît pas dans le reflet... plonger les yeux dans l'eau fraîche, s'imaginer les éclaboussures du torrent, limpides, adamantines (j'ai découvert le mot, enfant, dans le dictionnaire, mot mystère), le silence épais des montagnes, s'imaginer la solitude sereine. La saleté ! Elle ne m'a pas largué quand je marchais sur les cimes, elle a attendu que je redescende en bas, que je creuse, que je pose mon stylo et que je me salisse les mains ! Une façon de me faire sentir que c'est l'ouvrier qu'elle largue, le prolo, le mao hasbeen, plus encore que le poète à compte d'auteur, le marcheur, le Lenz qui trouve ses mots dans la montagne. Au début pourtant, mon côté hasbeen lui a plu, elle y a vu la vérité de la marge, le courage du révolté, elle s'est pâmée dans les bras virils du manuel, devant la sensibilité mal reconnue du poète ! Menteuse ! Tu ne sais pas qui tu es Anita, tu te mens comme tu mens à tous !
 
Anita chante. Elle chante sans soucis, ni de fric ni de toit, elle chante et s'en fout de la réussite y compris, de l'avenir, cigale d'une famille de fourmis qui amassent, tissent les liens, ouvrent les portes, papa et maman seront toujours là, rois de la fourmilière, Anita peut chanter dans la légèreté des jours ! J'aime sa légèreté, j'ai toujours aimé sa légèreté, son insouciance m'a allégé ! Mais Anita est sans nécessités, sans liens direct avec le ciel et la terre, son chant s'en ressent ; pourtant sa voix puise au-delà d'elle-même une profondeur touchante. Par le blues de Billie elle recouvre une vérité d'elle-même qu'elle fuit. Suffit ! Ferme la boîte au ressassement ! Café ! Et je slurpe chaque gorgée, je me réconforte à l'odeur, ça brûle le gosier, ça réchauffe la tuyauterie intérieure. Je me concentre ensuite sur ma tartine beurrée, parenthèse zen sur le privilège d'enfoncer les dents dans le craquant et dans le mou (je l'ai pas laissé brûler ce matin), la tartine est aussi étroite que la cuisine, où on aimait bien stationner debout, ça rapproche...
 
Anita n'est peut-être pas encore couchée, elle aime hanter le petit matin, peau nue offerte à tous les souffles d'air. Entre nous ce fut d'abord une histoire de peau. Aimantés que nous fûmes à la première rencontre ; on se désaimante pas si facilement, elle se désaimantera pas comme ça.
 
Les gars sont là, alignés comme des machines prêtes à l'emploi, résignés, à fumer leur ultime cigarette de condamnés, aucun ne s'écarte pour regarder le paysage ou faire quelques pas ; ça l'a toujours frappé Alexandre qu'il soit le seul à exercer cette simple liberté du corps, des yeux, même si c'est de la terre et de la caillasse qu'il foule, des trous et des amas de barrassiots, des bouts de constructions qui font pas vraiment un paysage, une zone plutôt, quand même ! c'est toujours bon la liberté de bouger, le changement de perspective ! Qu'est-ce qu'il fout là sur ce chantier avec ces types avec qui il ne partage rien, son ressassement amoureux dans la tête, sa voix à elle, et ses mots, ces images qui s'ébauchent ? La quarantaine passée, qu'est-ce qu'il fout là ? Ils l'attendent, c'est lui le chef, il vient tenir son rôle.
 
Alexandre a travaillé dans le bâtiment par conviction idéologique, pour faire partie de la classe ouvrière, pour observer la classe ouvrière, pour développer ses organisations révolutionnaires. Une action de terrain. Le contrat avec l'Organisation était le suivant : entre deux embauches — puisqu'il se faisait foutre à la porte régulièrement à cause de son militantisme — l'Organisation lui assurait un revenu minimum en attendant le verdict des prud'hommes ; lui, profitait de ce temps libre pour compléter ses humanités et sa formation politique. Puis il se fit poète, marcheur, écrivain du silence et des cimes. La vie coupée en deux, une part clandestine, la quête d'idéal, la traque de parcelles d'humanité là où il ne semble pas y en avoir, ça prédispose à la poésie. Et la poésie ouvre sur d'autres coupures, d'autres quêtes, qu'Alexandre Chipenko n'avait pas pressenties. À force d'être bon ouvrier, irréprochable dans le travail, surtout qu'Alexandre avait besoin de se dépenser physiquement, qu'il aimait piocher, creuser la terre, porter les pierres, monter un mur, concevoir la meilleure façon de..., un patron l'avait sollicité pour devenir chef d'équipe — d'autant que les gars lui demandaient ce qu'il foutait là : trop dans la tête, trop de jugeote pour rester bougnoul — mais il avait trop senti la manœuvre pour le faire taire. C'est les clins d'œil des copains de boulot qui l'avaient touché, quand ils disaient qu'il ferait un chef différent, pas comme ces salauds de chefaillons à la solde du patron, lèche-cul d'exploiteur ! Et puis les circonstances : la rencontre d'un type bien, les déceptions politiques, la prise de distance avec l'Organisation, la rencontre d'Anita, l'envie de ne plus partir sans cesse... Mais ce matin, son amour échappé de son orbite, il ne savait plus ce qu'il faisait là. Pas de phrases, à peine quelques mots, ça tombait bien, il n'avait pas envie de parler ; juste une éclaircie dans le regard quand ils vous serrent la main, de la sollicitude dans le geste, c'était bon tout de même. C'es

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents