Simple comme le ciel et la mer
147 pages
Français

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Simple comme le ciel et la mer , livre ebook

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Description

"Juin 1940. Ma mère me disait d'entrer dans l'eau. C'était froid et j'avais peur des vagues. Ma grand-mère m'ordonnait d'avancer dans la mer. Et je pleurais. C'était à Saint-Malo, juste au début de la guerre. Derrière moi, un Allemand m'a prise à bout de bras et m'a élevée au-dessus des vagues, au-dessus de tout. Saint-Malo, les remparts au seuil de la plage, la mer qui roulait sur les galets.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2008
Nombre de lectures 258
EAN13 9782296919037
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Simple comme le ciel et la mer
Écritures
Collection fondée par Maguy Albet
Directeur : Daniel Cohen

Dernières parutions

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Anne-Marie LARA, Les bellezêveries , 2007.
Antoine de VIAL, Prendre corps ou Venvers des mots , 2007.
Antoine de VIAL, NY 9/11 911. Édition bilingue , 2007.
Urbano TAVARES RODRIGUES, La fleur d’utopie A flor da utopia. Nouvelles traduites du portugais par Jo ã o Carlos Vitorino Pereira. Edition bilingue , 2007.
Collectif (concours de la nouvelle George Sand), Dernières nouvelles du Berry , 2007.
Jaunay CLAN, Milosz ou L’idiot magnifique , 2007.
Jean BENSIMON, Récits de Vautre rive , 2007.
Anne MOUNIC, Jusqu ’ à l’excès, 2007.
Manuel GARRIDO PALACIOS, L’Abandonnoir, 2007.
Pierre MARTIN, La beauté de Ghephra , 2007.
François AUGE, Lumière cachée , 2007.
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Liliane ATLAN, Les portes, 2007.
Liliane ATLAN, Petit lexique rudimentaire et provisoire des maladies nouvelles, 2007.
Liliane ATLAN, Les ânes porteurs de livres, 2007.
Hanania Alain AMAR, Le livre inachevé et autres textes , 2007.
Thomas KARSENTY-RICARD, Les poings serrés , 2007.
Geneviève CLANCY et Philippe TANCELIN, La question aux pieds nus , 2007.
Marie GUICHARD, Le vin du souvenir, 2006.
Pauline SEIGNEUR, Les bonnes intentions, 2006.
Michelle LABBE, Le bateau sous le figuier, 2006.
Giovanni RUGGIERO, Tombeau de famille , 2006.
M ARIE G UICHARD


Simple comme le ciel et la mer

roman


L’HARMATTAN
© L’Harmattan, 2008
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
harmattan1@wanadoo.fr
diffusion.harmattan@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-05127-0
EAN : 9782296051270

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
J uin 1940
Ma mère me disait d’entrer dans l’eau. C’était très froid et j’avais peur des vagues. Ma grand-mère m’ordonnait d’avancer dans la mer. Et je pleurais. C’était à Saint-Malo, juste au début de la guerre. Derrière moi, un Allemand m’a prise à bout de bras, et m’a élevée au-dessus des vagues, au-dessus de tout. C’est à cet instant, à cet endroit, que je suis née, à trois ans. Saint-Malo, les remparts au seuil de la plage, la mer qui roulait sur les galets. Et deux grands oiseaux blancs qui montaient infiniment dans le grand ciel tout blanc.
L ’Allemand. Il chantait à voix basse des mots rugueux que je n’ai jamais cessé d’entendre au fond de moi. Pendant la guerre et après. Des mots doux mais que je pressentais redoutables. Ferveur d’un hymne, inintelligible pour l’enfant trop jeune que j’étais. De quelles force et passion, quels foi et absolu devaient-ils être porteurs, ces mots, pour que l’homme me les communiquât, comme un legs, une transmission, une paternité. Un secret dont j’étais dépositaire. Des mots qui n’ont cessé de planer dans ma mémoire comme les deux oiseaux plein soleil. Très longtemps après, des dizaines et dizaines d’années après, ces mots, j’ai pu à coup sûr les identifier. Ils me sont revenus à la mémoire, un jour, je ne sais plus sous quel prétexte, avec une précision que le temps n’avait pas altérée. Un ciel blanc qui se déchire sur une plage et qui ravive la scène, présente à portée de mes doigts, palpable, douce et violente comme un crissement de violon. Aigre et tendre sous mes yeux qui se referment pour ne plus la laisser s’échapper. Elle revint très tard dans ma vie, et je sus que son cheminement sourd avait laissé en moi l’empreinte d’une guerre inexplicable que j’avais faite et refaite à mon insu, recherchant mon héros.

Oui, ma vie a été le long champ de bataille de cette guerre jamais terminée. Chant de bataille, pas de vainqueur, pas de vaincu, et pas de paix. Mais un testament toujours vivant au tréfonds de moi. Sans jamais ou presque la trêve d’un armistice. C’est à cause de cette voix, un jour de petite enfance, dominant à peine le ressac, à cause de ces mains me soulevant, que ma vie, je l’ai traversée comme un soldat insolent, combat après combat, l’Allemand comme allié secret. Sans désarmer. Sorte de rêve épique, dont je n’ai rien dit jamais à personne. Rêve inavoué.

Enfant, la guerre, j’en ai fait un jeu, niant son horreur. Et ça valait mieux. J’étais invincible. Les mots d’ennemi et envahisseur n’ont pas eu de résonance intérieure, je ne pus les attribuer à celui qui m’avait sauvée de l’eau froide. Du tourbillon des vagues, de l’écume gravissant la plage, de ces voix impératives et impitoyables m’ordonnant de braver l’inacceptable masse d’eau goulue qui menaçait de me dévorer. Ainsi je n’ai pas connu la haine. L’Allemand, il m’avait sauvé de cette peur dont elles ricanaient en chœur, ces deux femmes qui auraient dû me protéger. Bien à l’abri sur leur arpent de sable sec, elles n’hésitaient pas à m’y envoyer, à la guerre, elles qui en avaient peur au point de l’avoir fuie jusqu’ici, à Saint-Malo, laissant à d’autres la tâche d’arrêter l’ennemi.

Rien ni personne ne le retint, l’ennemi. Déferlant de l’Est, les Allemands, au même galop que ces roulis venus du grand large, les avaient rejointes, coincées qu’elles étaient, entre terre et mer, terreur et chants. Ma mère qui avait le chic des phrases lapidaires disait des choses comme : « Attila arrive à bride abattue ». Ma grand-mère s’empressait d’ajouter : « Et derrière lui, l’herbe ne repoussera pas ». Elles concluaient : « On va les avoir sur le dos un bon bout de temps, ces messieurs, avant de les déloger ».

Chaque matin, à l’aube, leur pas cadencé martelait le pavé des rues de Saint-Malo au rythme de chants à jamais gravés dans ma mémoire et sur mon corps, indélébile fleur de peau. Ma mère aussi les écoutait, elle allait à la fenêtre derrière le rideau et elle fermait les yeux. Je l’ai vue. Moi je comprenais qu’elle ne les détestait pas complètement, les Allemands, même qu’elle aurait pu les aimer un peu s’il n’y avait eu mon père. Et s’il partait à la guerre ? Elle ne pouvait s’empêcher de répéter qu’elle les trouvait très beaux, et tellement jeunes et que jamais des hommes comme ça n’accepteraient de se battre contre nous. Ma grand-mère qui avait connu les casques pointus de l’autre guerre, la grande de 14-18, les trouvait désinvoltes et familiers. Des pantins, disait-elle, à lever les jambes jusqu’au menton. À cause de leur soi-disant âme romantique, elle interdit à ma mère de jouer Wagner, et bientôt s’opposa carrément à ce qu’elle se mît au piano. Je me souviens bien avec quel air lourd de sous-entendus elle recouvrit les touches d’ivoire d’un long tapis de velours et de silence et referma brutalement le piano qui résonna longtemps sous le choc. L’oreille collée au mur, j’ai écouté les derniers roulements sourds se répercutant à l’infini. Comme des miroirs sonores posés face à face. Sur un ton de connaisseuse, ma grand-mère avait révélé que le son « passait par les clous de la charpente ». Moi, je pressentais un mystère plus grand que les clous : ça passait par l’espace, dans l’éternité.

Les refrains des soldats allemands montaient entre les hautes demeures sombres qui, longtemps après leur passage, s’en renvoyaient et renvoyaient encore l’écho, dans une pérennité de granit. Avec eux, Saint-Malo devint une immense cathédrale acoustique aux accents d’oratorio qui installa mon enfance dans le grandiose et la magnificence. Plus tard quand la ville s’écroulera sous les bombes alliées, je n’y comprendrai rien, d’autant rien que ma grand-mère, à l’époque des clous, m’avait fait ajouter à ma prière du soir :

- Protégez-nous contre les Boches.

Elle m’obligeait à chuchoter ça extrêmement bas et très très rapidement, comme une phrase subliminale fondue dans les autres demandes de protection. Personne ne devait entendre ho

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