Un été corse   NOUVELLES
137 pages
Français

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Un été corse NOUVELLES , livre ebook

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137 pages
Français

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Description

Chroniques intimes d'un séjour estival, ce receuil de nouvelles invite au plus près des riches sensations éprouvées par l'âme et le corps là où se rencontrent la chaleur de l'été, la Méditerranée, l'eau fraîche des torrents de montagne et les plages de galets vibrant sous le soleil. A travers ces textes courts à la prose ciselée sont aussi explorés, au-delà de la légèreté des instants, la profondeur des émotions, le sens de la vie et la fuite du temps.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2011
Nombre de lectures 61
EAN13 9782296465732
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Un été corse
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-55241-8
EAN : 9782296552418

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Jacques Seguin


Un été corse


nouvelles


L’Harmattan
Canari
D epuis plus de vingt ans – et en les écrivant je frémis déjà à l’idée de ce que représentent ces deux mots accolés, si ténus, si frêles, mais qui contiennent malgré eux une telle épaisseur de temps qu’ils sont, de par leur caractère faussement dérisoire, presqu’injustes et désespérants – je vais passer quelques semaines d’été dans le village de Canari, sur la côte occidentale du cap Corse, à mi-chemin entre le promontoire de Nonza et les îles du port à la langouste de Centuri. Chaque année j’y change de rythme de vie, j’y reprends mes habitudes, j’en reconnais le charme et les travers, je m’en lasse au point d’être parfois impatient de le quitter, puis j’aspire à y retourner l’année suivante pour savourer à nouveau dans une ambiance toujours ensoleillée son décor majestueux et presque hostile, ses refuges. Je n’ai pas choisi ce lieu, c’est plutôt ce lieu qui m’a choisi, à travers mon mariage et mon arrivée dans une famille originaire du village, un peu comme si l’on m’avait tiré par la manche du veston que je portais à la noce pour me faire asseoir sur le banc de pierre qui longe le mur en appareillage pisan de l’église Santa Maria Assunta. Notre relation avec un lieu est complexe, construite à partir de rencontres, parfois de coups de cœur, toujours de souvenirs, d’habitudes, souvent de raison, éléments qui façonnent à leur tour notre mode d’appropriation dont les composantes et l’intensité varient au fil des ans avec l’évolution du lieu comme celle de notre parcours personnel. A moins de solides racines familiales, il n’y a pas d’ancrage facile ni définitif et l’attirance, sentiment que je revendique pour Canari, n’a pas la sérénité d’un attachement pérenne, et je m’effraie parfois qu’elle ne se transforme en un nœud coulissant avec d’autres mains que les miennes aux extrémités, voire même en une chaîne prise dans le mortier d’un mur en pierres sèches que l’on aura voulu consolider. Un lieu est à l’exclusion des autres lieux et l’existence de racines, plus ou moins profondes et révélées tardivement à la conscience, facilite le regroupement et la convergence des arguments en faveur de ce lieu. C’est une gestation lente, faite d’hésitations et d’abandon, mais qui conduira pourtant à des choix engageant sinon le reste de notre vie du moins une tranche significative. Je doute que l’on puisse prendre racine au milieu de la quarantaine, car les petites radicelles qui développeront la ramification souterraine de notre tronc d’être humain doivent avant tout apparaître hors de cette conscience du souvenir qu’ont développée les adultes. Elles doivent pousser dans l’enfance insouciante puis, lorsque pour la première fois nous regarderons par-dessus notre épaule pour questionner notre vie à mi-chemin, porter en cachette leur sève jusqu’à l’épanouissement de notre nostalgie, d’une partie de notre identité.
Si je n’ai pas de racines, alors je dois me contenter de mes attaches, mot sans âme, à l’histoire et à l’avenir fragiles, qui ne fait que décrire des liens certes forts et concrets, mais à l’intérieur desquels se manifeste sinon une forme d’emprisonnement, du moins de contrainte. C’est bien sûr prendre le mauvais côté des choses, et ces attaches que je peux – je n’en ai peut être que l’illusion – encore défaire ne sont pas systématiquement des entraves à mes mouvements, à ma liberté, tant elles peuvent être consenties par une âme encore prédisposée. Il n’en reste pas moins qu’à l’inverse des racines qui elles sont bien trop profondes, elles peuvent être soit rompues par un lent processus d’usure telle une attaque de rouille sur un anneau scellé, soit brisées net par un coup porté avec violence. L’anneau ne peut, comme repousse l’arbre rabattu qui peu à peu lance ses surgeons à la reconquête du ciel, reprendre sa place naturellement, à mon insu. Il est inerte et c’est par mes décisions, mes projets, mes envies, ma volonté, qu’il lui sera donné de demeurer accroché au mur, et si par choix, ou à cause des circonstances, je suis amené à le négliger, les personnes qui sont attachées à moi, dans ce lieu, se feront un devoir de conserver le lien en bon état car elles savent que quitter un lieu, c’est aussi, souvent, quitter quelqu’un.
La mort au village
L a moiteur emplissait la nuit d’un silence poisseux. La chambre, où l’air ne parvenait pas à circuler, semblait avoir rétréci et l’espace encore disponible avoir été conquis par la grosse armoire qui jouxtait le lit, accentuant, à travers la sensation d’une respiration difficile, l’oppression des lieux. Le matelas, dans les replis duquel mon corps cherchait à se lover pour faire cesser les mouvements brusques qui accompagnaient ma recherche du sommeil, était rétif à tout engourdissement. Les cloches de deux heures sonnèrent, portant le son lourd à travers les persiennes. A deux reprises le tintement cingla l’atmosphère, comme pour bien faire comprendre, après que le premier coup m’eut fait reprendre conscience de ma torpeur, qu’il s’agissait du milieu de la nuit et qu’il était temps de penser à trouver la quiétude qui précèderait, du moins je l’espérais, l’effacement salvateur de mon état de veille. La sonnerie du téléphone ne m’en laissa pas l’opportunité. Elle semblait étouffée, enveloppée autant par la moiteur du dehors que par celle de mes sens. La nouvelle de la mort de l’oncle Sylvère, impardonnable, injuste et irréelle, s’invitait comme par indécence dans cette maison nimbée de chaleur, bientôt tiède, dont le silence, dans cette nuit tragique, était interrompu par les pleurs. Comme il était impensable d’alerter à cette heure par un si violent réveil ses sœurs inquiètes et fragilisées par ses souffrances et sa lente agonie, l’annonce terrible fut remise au petit matin. L’incrédulité se mêlait à la révolte d’un deuil si soudain, que l’on redoutait malgré tout après les dernières visites à l’hôpital. Au premier étage, dans la chambre de la cadette de la maison familiale aux volets encore clos, les deux sœurs éplorées, abasourdies, tentaient de raccorder la réalité de la disparition avec l’espoir secret que l’on avait encore il y a peu que personne ni Dieu ne permettrait qu’en l’espace de trois mois une même famille puisse être touchée par le deuil. Il s’agissait de circonstances presque similaires, pourtant il me semblait que la mort n’avait dans les deux cas ni le même visage ni la même résonance, et de ce fait délivrait un sentiment de tristesse aux contours différents.
Le décès du grand père, par une douce journée de printemps, sous un ciel de Corse limpide et frais, avait mis un terme naturel à une existence riche de près de quatre vingt treize années. Il me semblait que lorsque nous cheminions vers le tombeau familial, au milieu des terrasses et des pianettes plantées de châtaigniers, sur le chemin où se mêlaient les feuilles séchées et la rocaille d’une sente de montagne, nous nous dirigions vers une demeure connue, celle où reposerait, accueilli par une mort presque sereine, un être qui acceptait de nous quitter. Cette reconnaissance de l’itinéraire, du parcours d’une vie, plaçait comme un aboutissement la disparition d’un vieil homme. La mort prenait des atours séduisants, elle n’effrayait pas et le placement du cercueil dans le caveau, quand nous eûmes constaté que la largeur du premier excédait celle du second, à travers son caractère presque grotesque, ramenait le rituel macabre dans une atmosphère sinon joyeuse, du moins légère. La dépose du corps à hauteur d’homme dans l’édicule familial, petit temple dédié curieusement aux générations plutôt qu’à un dieu, rend le protocole des funérailles particulier. Il ne s’agit pas d’un enterrement, il n’y a pas de pelletée de terre meuble, pas de recouvrement, pas d’ensevelissement au regard, pas de mouvement vers le bas. Par un simple dépôt, la mise au tombeau participe plus d’une sorte de rangement, celui des boites mortuaires scellées dans lesquelles parents, enfants et conjoints, côte à côte, paraissent être en mesure de communiquer, dans une éternité que renforce l’idée selon laquelle toute putréfaction est, hors du sol, impossible. Ainsi le défunt ne retourne pas vers la matrice, il est suspendu, comme si cette position lui permettait d’interrompre le cycle complet du passage sur terre, réfutant le retour à l’état de poussiè

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