La coutume locale
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Traduction française de "The Custom of the Country" de Fletcher et Massinger

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Publié le 16 avril 2014
Nombre de lectures 16
Langue Français

Extrait

John Fletcher et Philip Massinger La coutume locale (The Custom of the Country)
PrésentationContrairement aux apparences, cette piècetout au long de laquelle il n’est guère question que de sexe, de pulsions sexuelles, d’obsessions sexuelles poursuitdes visées moralisatrices. Au sein de la production de l’un de ses deux auteurs, John Fletcher (1579-1625), elle relève de la catégorie deschastity plays, piècesdont les protagonistes cherchent à défendre leur vertu contre vents et marées. La toute dernière réplique l’affirme explicitement: il s’agit de prêcher par l’exemple une chasteté sans faille, capable de triompher de tous les pièges que lui tend une société corrompue, lascive, impudique. Le dénouement s’accompagne de plusieurs mariages, certes parce que la tradition dramatique le veut, mais aussi, et peut-être surtout, parce que le mariage, aux yeux de la morale de l’époque, est le seul moyen de canaliser cette indomptable énergie sexuelle qui, montant irrésistiblement des tréfonds du corps, met en péril le 1 salut de l’âme (Ramírez, 1970, p. 207) .  Lethéâtre post-élisabéthain s’intéresse beaucoupà cette thématique de l’énergie sexuelle cettevague déferlante qui emporte tout sur son passageau point qu’en 1998 l’universitaire Martin Wiggins a pu publier une sélection de pièces anglaises du début des années 1610 sous le titre collectif (un tant soit peu provocateur) deFour Jacobean sex tragedies1998). Dans son introduction, Wiggins (Wiggins, écrit (p. VII) que «le comportement sexuel, qui atteint des extrêmes obsessionnels tels que la nymphomanie, le viol ou la 1 Voir aussi l’explication que donne Daniel Salerno de l’intriguant silence d’Isabella à la fin deMeasure for measure(Salerno, 2013).
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nécrophilie, y est portraituré avec une liberté de ton sans précédent dans la littérature dramatique anglaise, et qu’on a rarement retrouvée depuis.» Cette liberté de ton caractérise aussiThe Custom of the country,bien que cette pièce soit très légèrement plus tardive, et qu’il ne s’agisse pas d’une tragédie, mais plutôt d’une tragi-comédie, voire d’une comédie à part entière, assurément l’une des plus enjouées que le répertoire classique nous ait léguées. Genèse  Beaucoupde pièces élisabéthaines et post-élisabéthaines sont le fruit de la collaboration entre deux ou plusieurs auteurs ; c’est le cas de celle-ci. John Fletcher était particulièrement coutumier du fait; il s’était rendu célèbre par les pièces qu’il avait écrites avec Francis Beaumont (1584-1616) entre 1605 et 1613. Par la suite, ce dernier s’étant retiré du théâtre pour cause de mariage, Fletcher avait partagé la paternité de deux ou trois pièces de Wiliam Shakespeare lui-mêmeexcusez du peu:Henry VIII, The Two Noble Kinsmen,et peut-êtreCardenio,mystérieuse pièce dont le texte est aujourd’hui perdu. Il a cosigné plus de quinze œuvres avec Philip Massinger (1583-1640), auteur à la plume volontiers satirique et politique. DeThe Two Noble Kinsmen,Roger Chartier nous dit (Chartier, 2011, p. 130) : « C’est un même langage, celui des amitiés masculines, qui désigne, dans la pièce, le puissant lien affectif qui unit les deux cousins, et, dans de nombreux textes du temps, le fort attachement existant entre des auteurs qui collaborent dans l’écriture et qui, souvent, partagent la même demeure. » Fletcher et Massinger partageaient-ils la même demeure ? On ne sait ; mais ils sont aujourd’hui réunis pour l’éternité dans le même tombeau, situé dans la cathédrale Southwark de Londres. Et à en croire
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le second prologue deThe Custom of the country, la composition de la pièce fut arrosée de mainte bonne chopine… On s’en persuade volontiers, en lisant cette comédie « déjantée ».  En1619 paraît la traduction anglaise d’un roman de Cervantès,Los Trabajos de Persiles y Sigismunda.L’Espagne est à la mode, et les récits picaresques fournissent souvent la matière des tragi-comédies qui font vibrer les scènes londoniennes. Cervantès raconte, entre autres, l’histoire d’une jeune femme qui, le soir de ses noces, échappe de justesse au viol collectif dont la menace la parenté mâle de son tout nouvel époux, conformément à la coutume de la lointaine société scandinave qui sert de cadre à cette péripétie (de telles abominations sont inimaginables dans un pays aussi civilisé que l’Espagne, il faut aller chez ces sauvages du nord pour voir ça). Il raconte aussi l’histoire d’un Polonais qui trouve refuge, par hasard, chez la propre mère de l’homme qu’il vient d’assassiner. Les deux épisodes fournissent à Fletcher et Massinger la double intrigue de leur pièce, moyennant un pertinent changement de perspective géographique, puisque l’action nous mène en Italie à l’acte I, et à Lisbonne aux quatre actes suivants (de telles abominations sont inimaginables dans un pays aussi civilisé que l’Angleterre, il faut aller chez ces sauvages du sud pour voir ça).  Onne sait pas exactement quand la pièce fut écrite, mais on sait qu’elle fut créée par la troupe des King’s Men. Plus précisément, on sait que parmi les acteurs qui l’ont créée figuraient un certain Joseph Taylor et un certain Nicholas Tooley. Joseph Taylor ayant intégré la troupe en 1619 et Nicholas Tooley étant mort en 1623, on en déduit fort subtilement qu’elle fut créée entre ces deux dates. Lors d’une reprise en 1629, elle était déjà qualifiée de « vieille pièce ».  Desavants philologues ont, sur la base de critères stylistiques, échafaudé des hypothèses très précises quant à la répartition du travail entre les deux coauteurs. À les en croire,
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Fletcher aurait écrit l’acte I, les scènes 1 à 3 de l’acte III, 3 à 5 de l’acte IV, et le milieu de la scène 5 de l’acte V, tandis que Massinger serait responsable de l’acte II, des scènes 4 et 5 de l’acte III, 1 et 2 de l’acte IV, 1 à 4 de l’acte V, et du début et de la fin de la scène 5 de l’acte V. Admettons. Il n’en reste pas moins que la pièce dégage un très fort sentiment d’unité, et que les « changements de main » sont imperceptibles : le texte est fluide de bout en bout.  Lapièce n’a été publiée qu’en 1647, dans une édition collective censée rassembler les œuvres issues de la collaboration entre Fletcher et… Beaumont. Fletcher était mort depuis vingt-deux ans, Massinger depuis sept. Une société déboussolée? Esclavagisme et renversement des rôles sexuels  Lemonde que dépeintThe Custom of the countrypeut, par certains aspects, sembler assez proche du nôtre : on y voit une société multiraciale et multiculturelle avant la lettre, où des juifs peuvent avoir pour employeursdes immigrés italiens. Mais cette société a aussi ses fêlures souterraines :le bourrin Rutillio n’hésite pas à exprimer ouvertement les préjugés antisémites de son temps (on voudrait qu’ils n’eussent étéqueson temps), tandis de qu’Arnoldo, plus délicat, a le bon goût de ne rien dire (même si, sans doute, il n’en pense pas moins); et l’Italienne Hippolyta semble, au fond, n’être bien acceptée de la haute société lisboète que parce qu’elle soutient de son immense fortune les expéditions coloniales de son pays d’adoption.  Enoutre, cette société a largement recours à l’esclavage, sans que cela semble lui poser le moindre problème éthique. On peut acheter, voler, vendre ou offrir la personne d’autrui comme n’importe quelle autre
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marchandise :Léopold s’empare de Zenocia pour en faire cadeau à Hippolyta qui devra la céder à Manuel, Sulpitia rachète Rutillio aux forces de l’ordre et le revendra à Duarte. Carolyn Prager a consacré un article à cette thématique de l’esclavage dans la pièce de Fletcher et Massinger: elle y rappelle qu’au cœur de l’espace européenavant même que ce phénomène ne prenne de l’ampleur du fait de l’expansion coloniales’agissait d’une redoutable réalité. Sur le il territoire anglais, le servage avait certes disparu dans les faits, mais il demeurait présent dans les mentalités (Prager, 1988, p. 309). Et le monde méditerranéen regorgeait de pirates qui se livraient au trafic d’esclaves de toutes races: « les sources démographiques indiquent qu’en 1551 il y avait un esclave pour dix hommes libres à Lisbonne; en 1620, la population servile s’élevait à 10 740 individus, parmi lesquels se trouvaient non seulement des esclaves africains et maures mais aussi des esclaves blancs » (Prager, 1988, p. 305). Pour Carolyn Prager, la poétique de la pièce repose sur l’opposition entre la décision librement acceptée de se mettre au service de l’amour (Arnoldo, Zenocia, Léopold) et la servile soumission aux passions du corps (Rutillio, Clodio, Hippolyta) ou de l’âme (l’orgueil de Duarte) ; opposition que révèle, symbolise et souligne le parallélisme avec une autre opposition, établie, celle-là, entre individus libres et individus ayant statut d’esclaves. Mais cette poétique, selon Prager, ne peut plus fonctionner pour nous, parce qu’elle ne s’accompagne pas d’une condamnation éthique de l’esclavage, sans laquelle «il n’y a pas grand-chose de poétique à la véritable condition d’esclave » (p. 312-313). Elle conclut son article par l’exposé de cette coïncidence troublante :l’année 1619, aux alentours de laquelle la pièce fut écrite, correspond également à la date où eut lieu la première vente d’esclaves noirs dans la colonie anglaise de l’île de Sainte-Hélène (p. 314).
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 Quoiqu’il en soit, même si les auteurs ne prononcent pas de condamnation éthique explicite à l’encontrede 2 l’esclavage , il est clair qu’ils ne considèrent pas non plus la condition servile comme enviable : à la fin de la pièce, tous les anciens esclaves (qu’ils aient connu une servitude métaphorique ou l’esclavage bien réel) sont délivrés. L’affranchissement de Zenocia est obtenu par ordre exprès du pouvoir, celui de Rutillio est dû à la rançon de Duarte. Quant aux « esclaves métaphoriques », ils sont plus que délivrés, ils sont véritablement régénérés: Duarte est littéralement ressuscité, tel Lazare il revient d’entre les morts; Clodio connaît une seconde naissance après avoir été ballotté au sein des flots salés d’une mer déchaînée par la tempête; quant à Hippolyta, ce sont les larmes d’Arnoldo qui servent de liquide 3 amniotique à sa seconde venue au monde; enfin, Rutillio, qui est le seul à connaître les deux formes d’esclavage: métaphorique et physique, change entièrement de caractère après avoir connu l’enfer de la prostitution. Cet affranchissement généralisé ne saurait-il tenir lieu de condamnation éthique implicite ?  Autrecaractéristique de cette société: les rôles sexuels traditionnels y sont délibérément renversés. Zenocia tient tête à son père et au gouverneur de son pays (I, 1) avec une énergie bien peu « féminine », selon les critères du temps. Arnoldo tombe malade en même temps qu’elle, par la même sympathie qui fait, nous dit Manuel (V,2), que certains hommes connaissent dans leur chair les douleurs de l’enfantement lorsque leur femme accouche. Hippolyta veut 2e siècle, il sera encore question d’esclavagePlus avant dans le XVII dansLes Fourberies de Scapinet dansLe Sicilien ou L’Amour peintre,sans que Molière prenne la peine, lui non plus, d’assortir ses comédies d’une condamnation éthique en bonne et due forme… 3 Arnoldo dit vouloir baigner de ses larmes le corps de Zenocia pour la guérir, mais c’est sur l’âme d’Hippolyta qu’elles ont le plus d’effet.
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que l’Histoire se souvienne d’elle à jamais comme de la première femme à avoir violé un homme (III, 2). Rutillio vend son corps dans un bordel pour femmes où afflue une clientèle constituée de bourgeoises lisboètes de tous âges (IV,4). Ce renversement des rôles sexuels figurait déjà dans le roman de Cervantès dont s’inspirent Fletcher et Massinger. Selon Celia E. Weller et Clark A. Colahan, il a pour but, tantpour Cervantès que pour nos deux Anglais, de «rendre visible le progrès spirituel de certains personnages. En faisant l’expérience, à un moment éprouvant, des forces etdes faiblesses de l’autre moitié de l’humanité, ces hommes et ces femmes imaginaires s’accomplissent davantage en tant que personnes et se retrouvent préparés à cette forme supérieure de mariage que proposaient les humanistes chrétiens d’alors, qui ont influencé la pensée de Cervantès » (Weller et Colahan, 1985, p. 28). Mais tous les personnages ne sont pas soumis à ce renversement : Léopold, Clodio et Manuel restent virils tout au long de la pièce (il est vrai que les deux gouverneurs ne sont pas censés se marier au dénouement), et Guiomar est constamment présentée comme femme et mère avant tout, et pousse la féminité jusqu’à s’évanouir (II, 4). En outre, si, dans un roman, il est possible de faire appel à un tel procédé pour donner à voir un « progrès spirituel », au théâtre le risque est grand qu’il ne débouche guère que sur autre chose qu’un effet comiqueles deux dramaturges ne se privent d’ailleurs et pas d’exploiter ce filon.  Dansun cas comme dans l’autre, qu’il s’agisse d’esclavage (réel ou métaphorique) ou de renversement des rôles sexuels, les personnages sont soumis à unealiénationtemporaire, à l’issue de laquelle ils deviendront pleinement eux-mêmes. Pièce initiatique, donc, par-delà l’apparente légèreté du propos, la grivoiserie de certaines répliques et le caractère scabreux de bien des situations. Au dénouement, cette société déboussolée est remise «sur les rails», et
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s’achemine vers l’union harmonieuse des corps, et le salut des âmes. Glamour et néoplatonisme  Sil’on prend le texte au pied de la lettre, il faut deux acteurs et deux actrices au physique exceptionnel pour interpréter le quatuor Arnoldo, Rutillio, Zenocia et 4 Hippolyta .Les répliques des différents personnages ne tarissent pas d’éloges sur leur beauté. Pour autant, il ne s’agit pas simplement de mettre le public dans sa poche au moyen d’un quadruple «atout charme» :le thème de la beauté physique était déjà présent dans le roman de Cervantès, où une femme dont le mari a été assassiné décide de se venger en poignardant le fils de l’assassin, mais ne parvient pas à mettre son projet à exécution, lorsqu’elle s’aperçoit que le jeune homme est d’une époustouflante beauté qui lui inspire instantanément un brûlant amour. Comme le rappellent Weller et Colahan, cette beauté physique n’est autre qu’un « symbole néoplatonicien de bonté divine» (Weller et Colahan, 1985, p. 35).Nous hantons donc plutôt l’univers de la philosophie renaissante et post-renaissante que celui de ces romans sentimentaux à bon marché dont les couvertures, si elles exaltent certes la beauté des corps, ne sont guère platoniciennes, ni même néoplatoniciennes, et encore moins platoniques.  Quela vertueuse beauté des âmes d’Arnoldo et Zenocia transparaisse à travers la finesse de leurs traits et les suaves proportions de leurs corps, voilà qui n’est pas trop pour nous étonner ; mais que penser des beautés d’Hippolyta 4 Rappelons qu’à l’époque, ces deux dernières étaient jouées par des play-boys,au sens originel du terme, c’est-à-dire des acteurs impubères ou à peine adolescents.
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et de Rutillio? Assurément, elles annoncent par avance que ces deux personnages étaient prédestinés à retrouver cette Innocence primordiale qu’ils avaient accidentellement perdue, mais en même temps elles ne sont pas tout à fait de même nature que celles d’Arnoldo et Zenocia.  Labeauté d’Hippolyta est en grande partie artificielle, fondée sur l’art du maquillage et du costume (et il devait en falloir, du maquillage et du costume, auxplay-boysdes King’s Men…), et les deux auteurs prennent un plaisir quasi sadique, à la scène 5 de l’acte III, à nous montrer Hippolyta courant comme une folle (dans le langage de l’époque: comme une bacchante) dans les rues de Lisbonnepantoufles et en bigoudis, oserait-on presque ajouter. Pour un peu,elle pourrait préfigurer Cunégonde de Thurneck, dansLa Petite Catherine de HeilbronnKleist, cette femme qui semble si de extraordinairement séduisante lorsqu’elle brille à la cour, mais qu’il vaut mieux ne pas voir lorsqu’elle prend son bain…  Quantà la beauté de Rutillio, elle ne réside pastant dans son visage (cette vitrine de l’âme) que dans le volume de ses muscles et de sa braguette. Lui-même reconnaît avoir « trop de barbe » (II, 3) pour être séduisant, et il ne dédaigne pas, bien qu’il s’en défende, de mettre encore en valeur la puissance de sa silhouette au moyen d’un costume approprié (V, 5). D’une beauté plus animale qu’éthérée, il exerce sur les femmes une fascination finalement assez primaire. Plus Hercule qu’Apollon, il bénéficie du magnétisme de son hypervirilité. Ce qui le sauve, c’est son humour, un humour ravageur, aussi puissant que sa colossale stature, et qui, tel Atlas, porte à bout de bras la structure de la pièce.  Àla beauté de ces quatre personnages, il faut ausi ajouter celle de Guiomar, même si le temps de son apogée est passé et qu’il n’en reste plus aujourd’hui que d’estimables traces («nothing in her face but handsome ruins», V, 5). Il est logique que Guiomar ait été belle : à la bonté d’une mère, elle joint la bonté surhumaine de l’hôtesse qui tient avec
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abnégation le serment qu’elle a prêté d’honorer le devoir sacré d’hospitalité. Sa seule fautemais en est-ce une ?consiste à céder temporairement au désir de vengeance ; mais comme dans le roman de Cervantès, la vue de la beauté de sa victime potentielle s’agît-ilmême de la beauté animale et frelatée d’un Rutilliorappelle au monde des Idées la platoniciennes, et la fait accéder au désir de se purifier par le biais du mariage chrétien « nouvelle manière ».  Maisce « quintette de charme » semble laisser surle carreau le pauvre Léopold. Le texte ne dit strictement rien de son apparence physique : il peut aussi bien être charmant que monstrueux. Toutefois, le fait qu’Hippolyta n’ait jamais voulu de lui n’encourage guère à le voir séduisant; et la hargne avec laquelle il veut faire défigurer son rival Arnoldo, en lui faisant couper les lèvres ou le nez, semblerait révéler une fêlure chez lui, la conscience que c’est peut-être sa laideur qui est cause qu’il n’est pas aimé. Léopold présente-t-il un physique aussi repoussant que le De Flores deThe Changelingpièce tout à fait extraordinaire de l’ère (autre post-élisabéthaine, due à la plume de Thomas Middleton (ca 1570-1627) et William Rowley (ca 1585-ca 1637), et exactement contemporaine deThe Custom of the countrypuisqu’elle date de 1622) ? Mais De Flores est un monstre par l’âme autant que par le corps, alors que Léopold nous est présenté comme l’amoureux accompli, le chevalier-servant aux sentiments parfaitement délicats et policés, la quintessence de l’exquise courtoisie. À part le fait qu’il se livre à la piraterie, qu’il réduit Zenocia en esclavage et qu’il veut faire couper le nez à Arnoldo (broutilles, tout cela, broutilles), il n’a que des qualités. Léopold est-il un personnage positif ou négatif? Le flou qui règne autour de son aspect physique révèle peut-être aussi une certaine ambivalence morale. Quoi qu’il en soit, au dénouement, lui aussi sera purifié par la grâce du nouveau mariage chrétien.
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Féminisme ou misogynie ?  Iln’échappera à personne que la pièce comporte un certain nombre de plaisanteries bassement misogynes, que les deux auteurs semblent avoir pris un malin plaisir à placer de préférence dans la bouche, justement, des personnages féminins, telle Sulpitia qui déclare avoir eu recours, pour marabouter Arnoldo, à tous les maléfices qu’enseigne l’enfer, « ou,pire encore que l’enfer, la mauvaiseté des femmes» (V, 2).Pourquoi se seraient-ils privés de lancer de telles piques ?Ce sont deux hommes qui écrivent; ils écrivent au sein d’une société largement misogyne; et ils écrivent pour une troupe exclusivement masculine, qui se produira devant un public majoritairement masculin. Dans un tel contexte, on peut même plutôt s’étonner de ne pas trouver davantage encore de boutades misogynes dans une pièce qui traite en grande partie des relations entre hommes et femmes, et du rôle de chacun des deux sexes dans la bonne marche de la société.  Maisla misogynie, aux yeux de T. L. Darby, s’y exprime aussi de manière plus subtileplus donc pernicieuse :dans le roman de Cervantès, la jeune épousée échappait au viol collectif en brandissant une lance (à l’évident symbolisme phallique) dont elle menaçait tout le monde (y compris son mari), et prenait seule la mer en quête de rivages moins hostiles ; alors que dans la pièce de Fletcher et Massinger, Zenocia ne peut s’enfuir qu’accompagnée de son époux et de son beau-frère, et n’est armée que d’un arc (que T. L. Darby semble juger presque inoffensif : « l’arc est une arme de chasse, dans les années 1620 il ne servait plus d’arme de guerre»), quand les deux hommes sont munis d’épées ou d’armes à feu (Darby, 1995). T. L. Darby trouve donc Cervantès plus féministe, ou en tout cas moins patriarcal, que les deux dramaturges anglais, et elle resitue
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cet infléchissement de la fable dans le contexte dela publication, en 1620, d’un pamphlet anonyme intituléHic mulier or The Man-Woman,qui fustige l’habitude qu’avaient prise, semble-t-il, certaines Anglaises de l’époque, d’adopter le look, le langage et l’attitude des machos. En réduisant la capacité d’initiative de Zenocia, Fletcher et Massinger auraient donc, pour Darby, exprimé une «peur de la femme masculine », partagée par beaucoup de leurs compatriotes et contemporains du sexe dit fort, dont les prérogatives se voyaient soudainement mises en péril.  Nepeut-on pas aller plus loin encore? Ce n’est pas seulement une « peur de la femme masculine » que l’on croit pouvoir deviner dans cette pièce, en filigrane, mais bien une peur de la femme tout court. Hippolyta déclare que « ce n’est pas ce genre de mistigri qui va faire peur à un Italien» (III, 2). À un Italien, certes, mais à un Anglais ? Et Jacques, l’aide de la maquerelle Sulpitia, d’expliquer fort savamment que les Anglais mâles sont inaptes à la prostitution, parce que leurs propres épouses leur en demandent déjà trop et qu’ils n’ont plus d’énergie à consacrer à leurs clientes (III, 3). Face à un homme qui n’agit pas conformément à leurs attentes, Guiomar et Hippolyta, situées chacune à une extrémité opposée du spectre qui va de la pudeur à l’impudeur, ont exactement la même réaction: elles le ligotent ou le font ligoter. Chastes ou impudiques, les femmes sont donc vues comme des araignées qui enserrent et emprisonnent le corps masculin dans les fils de leur toile… Lorsque le rideau tombe, le mariage célébré au premier acte n’a toujours pas été consommé, comme s’il fallait indéfiniment surseoir à ce moment (redouté ?). Il semble que Zabulon soit l’époux, ou un ancien amant, ou concubin, de Sulpitia, puisque celle-ci lui demande s’il reviendra «jamais coucher à la maison» (IV, 4) ; pour seule excuse, il lui répond qu’il a « encore trop de boulot », prétexte trop facile pour être bien sincère. Rutillio lui-même, ce grand baiseur devant l’Éternel, ce fin
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connaisseur des séductions féminines, dit ne pas apprécier que les femmes « prennent le mors aux dents », et il les compare à des scorpions (V, 5). Une lecture psychanalytique de la pièce pourrait peut-être révéler une angoisse profonde devant le corps féminin, et les abîmes de désir qu’il recèleou que les auteurs redoutent qu’il ne recèle.  Quoiqu’il en soit, la pièce nous montre quelques femmes qui semblent effectivement jouir d’une liberté sexuelle « anachronique »et sans limites. Il y a Sulpitia, tenancière d’un bordel pour femmes, qui n’hésite pas à goûter à la marchandise ;il y a les deux clientes de Sulpitia (et toutes celles qu’on ne voit pas, mais dont on entend parler) ; et il y a Hippolyta.  ConcernantSulpitia et ses clientes, il semble bien s’agir en réalité d’un non-sujet : il paraît fort douteux qu’un établissement du type que décrit la pièce ait existé, en 1620, à Lisbonne ou dans quelque autre métropole européenne que ce soit. Nous sommes ici en pleine fiction (en plein fantasme ?), et l’apparente liberté sexuelle de ces femmes ne sert qu’à illustrer le renversement des rôles dont il était question plus 5 haut .  Quantà Hippolyta, elle «vit sa vie», apparemment sans être inquiétée ni par l’Église, ni par la bourgeoisie, ni par l’aristocratie, ni par ses domestiques qui ne voient dans ses « tocades » que l’occasion de profiter des reliefs d’un bon repas (III,2). Mais à quel prix a-t-elle acquis cette liberté sexuelle féminine qui, aujourd’hui (en Occident du moins), nous semble aller de soi ? Pour le coup, le texte de la pièce semblerait assez réaliste. Énumérons toutes les conditions 5 Soit dit en passant, si les auteurs s’apitoient copieusement sur le funeste sort du gigolo Rutillio contraint à « l’abattage », ils ne semblent guère exprimer de compassion envers ses collègues féminines, qui, elles, existaient bel et bien. À cet égard, une comparaison avec les scènes de lupanar dePericles, Prince of Tyre,de Shakespeare, est édifiante.
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requises, selon Fletcher et Massinger, pour pouvoir jouir en toute tranquillité de cette liberté. Il faut : a) être orpheline, b) être la sœur d’un homme de pouvoir, c) bien s’entendre avec son frère, d) quitter son pays natal et s’installer à l’étranger, e) disposer d’une colossale fortune personnelle, etf) consacrer une partie non négligeable de cette fortune à financer la politique coloniale de sa nouvelle patrie. À ce prix, et à ce prix seulement, on peut avoir tous les amants que l’on veut (à condition qu’ils soient d’accord, bien sûr, ce qui n’est pas le cas d’Arnoldo), sans avoir à craindre d’encourir l’opprobre. Autant dire qu’il ne devait pas y avoir pléthore d’Hippolyta dans les années 1620…  Faut-ilmettre sur le compte d’une sympathie envers la cause des femmes le fait que les deux auteurs n’aient pas hésité à faire prononcer à Guiomar une superbe tirade, quasi féministe avant la lettre (V,5), qui accuse durement les hommes de ne considérer les femmes, si vertueuses soient-elles et quelques bonnes actions qu’elles accomplissent, que sous l’angle de la concupiscence ? Forte de ce discours contre la femme-objet, Guiomar se montrera libre d’exprimer ouvertement son attirance pour Rutillio, et de prendre l’initiative de lui donner un baiser, en signe d’accordaillesaudace inouïe.  Alors,la pièce est-elle misogyne, ou féministe? Ne nous hâtons pas de conclure. Examinons en détail le rôle de Zenocia. Au premier acte, elle tient tête à son père, avec une véhémence propre à faire vaciller sur leurs bases toutes les structures patriarcales. Mais au cinquième acte, celui où elle devient enfin à part entière l’épouse d’Arnoldo, que dit-elle ? Rien, ou presque. Au cinquième acte, elle n’a plus que deux malheureuses répliques: l’une où elle réitère sa soumission envers son époux et exhorte celui-ci à lui survivre, l’autre où elle fait l’éloge de la femme qui s’est pourtant montrée sa tortionnaire peu de temps auparavant. Elle qui avait le verbe si haut, elle est devenue muette et soumise. Certes, à la scène
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4, elle est à l’agonie, ce qui ne constitue guère une situation propice aux épanchements et à la verbalisation ; mais Arnoldo aussi est présenté comme agonisant, et cela ne l’empêche pas de tenir le crachoir pendant une bonne partie de la scène. À la scène 5, Zenocia a recouvré la santé ; mais elle n’est pas plus diserte pour autant, alors qu’Arnoldo, encore lui, ne se prive pas de prendre la parole, et se paye même le luxe d’énoncer la morale de la pièce. En d’autres termes : Zenocia est autorisée, voire encouragée, à se montrer fille rebelle, mais une fois épouse elle n’a plus qu’à se taire; elle se met ― on la met ― en retrait. Elle s’efface. Elle est effacée. Le silence final de Zenocia en dit plus long sur la condition féminine que la substitution d’un arc à une lance, et d’une croisière à trois à une expédition en solitaire. Ce mutisme est bien plus effrayant, en creux, bien plus glaçant, que toutes les mauvaises plaisanteries misogynes dont est parsemé le texte, et que leur outrance même rend relativement inoffensives. Écriture dramatique, écriture spectaculaire  Commel’affirme le premier prologue, l’intrigue de The Custom of the country estdense et ne tolère guère de distraction de la part du lecteur comme de la partdu spectateur, s’ils ne veulent pas perdre le fil. Le rythme des rebondissements est si rapide qu’on se sent entraîné dans un tourbillon. Ce caractère frénétique de l’action s’avère peut-être bien commode pour camoufler les quelques faiblesses de la construction dramatique. Les deux auteurs ont besoin que Guiomar ignore le plus longtemps possible la nouvelle de la « résurrection »de son fils. Oncle et neveu décident donc, chacun de son côté, de maintenir délibérément Guiomar dans cette ignorance. On peut penser tout que l’on veut de la goujaterie égotiste de ce fils qui entend mettre sa mère à
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l’épreuve et veut s’assurer qu’elle porte bien son deuil: du moins dispose-t-il d’un prétexte plausible, s’il est moralement condamnable, pour lui cacher son retour à la vie. Mais Manuel, pourquoi ne dit-il rien à sa sœur? À quoi rime une cruauté aussi absurde? Au médecin qui lui apportela nouvelle de la guérison de Duarte, et à qui il demande de garder le secret, il ne fournit qu’une vague explication embarrassée, où il n’est guère question que de «certain dessein qu’il a en tête» (III,5) lequel ?Il ne l’exposera jamais, et l’on serait bien en peine d’en deviner la nature.  Demême, dans la scène de dénouement, Guiomar affirme-t-elle être le seul témoin en mesure de reconnaître en Rutillio l’assassin de Duarte. C’est oublier que le page de ce dernier a assisté au duel, et que c’est lui qui a indiqué aux gendarmes que Rutillio avait trouvé refuge dans la propre demeure de Guiomar. Qu’est-il advenu de ce page entre l’acte II et l’acte V? A-t-il été remercié, faute de maître à servir ? Ou s’agit-il, de la part de Guiomar, d’un «acte manqué réussi », qui lui laisse toute latitude pour épouser ce Rutillio qui l’attire tant ?  Maisil ne s’agit là que d’infimes détails de construction, qui passent sans doute inaperçus dans le feu de l’action scénique. Jusqu’à une date assez récente, ce que la critique littéraire a essentiellement retenu de ce texte, c’est sa grivoiserie, son «obscénité ».Le dramaturge John Dryden (1631-1700), soucieux de soigner sa propre réputation, a décrété que cette pièce à elle seule était plus obscène que toutes celles qui avaient été écrites depuis. Quant au diariste et grand amateur de spectacles Samuel Pepys (1633-1703), dont le nom se prononce Pipps (les Anglais eux-mêmes se demandent pourquoi), il porte le sévère jugement que voici: « La pire de toutes les pièces que j’aie jamais vues, n’ayant ni intrigue, ni langage, ni quoi que ce soit d’acceptable.» Encore en 1914, les éditeurs des œuvres complètes de Cervantès font remarquer que « John Fletcher, dans sa farce
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grossièreThe Custom of the country, autilisé deux ou trois épisodes dePersiles[…], y ajoutant de son cru tout ce qui ne mérite nullement d’être retenu par l’histoire de la littérature » (Cervantès, 1914, p. XLIII). Ce qui n’avait pas empêché, l’année précédente, la romancière états-unienne Edith Wharton (1862-1937) d’emprunter à Fletcher et Massinger le titre de leur «farce grossière» pour l’un de ses romans. Il faut attendre la révolution sexuelle et les articles d’Alejandro Ramírez (1970) et de Weller et Colahan (1985) pour assister à une « réhabilitation » de ce texte que notre époque, peut-être, est la seule, depuis celle de sa création, à pouvoir apprécier.  Maisest-ce à la critique littéraire de juger de cette pièce ? Fletcher et Massinger écrivaient pour la scène, et ne se sont pas plus souciés que Shakespeare de se faire publier de leur vivant. Cela a déjà été dit plus haut, mais rappelons-le : la plus ancienne édition connue de la pièce date de vingt-deux après la mort de Fletcher, de sept ans après cellede Massinger. Le mode de diffusion privilégié de ce texte n’est pas l’encre et le papier, mais bien la scène. L’œuvre est clairement conçue pour être vue plutôt que lue. Et si on l’analyse du point de vue performatif ou «spectaculaire » plutôt que littéraire et dramatique, elle acquiert aussitôt une tout autre valeur.  C’estune pièce qui joue sur l’espace. Elle exploite à fond les différents niveaux de la scène du théâtredes Blackfriars, où elle fut créée. Il peut y avoir jusqu’à trois actions simultanées sur trois plans distincts, comme dans la scène 3 de l’acte IV, où Arnoldo et Zenocia sont tout à la joie de leurs retrouvailles, tandis qu’Hippolyta et Zabulon se tiennent sur une galerie supérieure d’où ils observent sans être vus, et que Léopold, dissimulé sous la scène, peut voir tous les précédents sans être aperçu d’aucun d’entre eux. Ailleurs (V, 4), deux personnages entrent en même temps, sans doute de deux côtés différents, et viennent s’adresser à deux personnages distincts qui se trouvaient déjà en scène: nous
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entendons le début de la conversation du premier duo, que nous délaissons ensuite pour saisir des bribes du second dialogue en cours de route.  C’estune pièce qui joue sur les costumes et les déguisements. Tous les personnages principaux en changent au moins une fois au cours de l’action. Le contraste est extrême entre l’Hippolyta, si envoûtante et capiteuse, si glamour, si sexy, de la scène 2 de l’acte III, et l’Hippolyta furieuse de la scène 5 du même acte, qui se ridiculise à errer par les rues de Lisbonne sans avoir fini sa toilette ni sa coiffure. Contraste extrême, également, entre le Rutillio de la scène 4 de l’acte IV, qui porte le même humble bonnet de nuit que ses trois ex-collègues travailleurs du sexe, et celui de la scène 5 de l’acte V, qui s’est « refait une beauté » et porte un costume qui met en valeur les détails les plus remarquables de son anatomie (on veut parler de sa musculature, bien sûr). Clodio et Tcharino apparaissent déguisés (III,5), bien que cela ne serve strictement à rien. Pour prononcer ses sortilèges, Sulpitia endosse une robe de magicienne (V, 2).  C’estune pièce qui joue sur la dynamique des acteurs. Bien que fort pauvre en didascalies, comme il était de coutume à l’époque, elle abonde en répliques qui appellent un geste, une attitude, un mouvement, un jeu d’acteur particulier. Un simple domestique entre-t-il en scène, qu’on lui demande aussitôt : « Eh bien, que signifie cette irruption ? » (IV, 3) : on peut imaginer que l’entrée ne s’est pas faite sans fracas. La sage et pieuse Guiomar est partagée entre le désir d’épargner le bel assassin de son fils et celui de venger ce dernier (V, 5) : son discours se désintègre littéralement, et fait appel à tout le talent de l’actrice (ou, à l’époque, de l’acteur) pour tirer le meilleur parti d’un tel enchevêtrement de phrases tronquées et contradictoires. À lire la description que donne Léopold du spadassin ou sicaire qu’il compte engager (IV, 2), il est clair que la seule entrée en scène de ce dernier a déjà déclenché le fou-rire des spectateurs. Même les plus petits rôles, les
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silhouettes les plus épisodiques, sont toujours chargés d’intentions bien dessinées, ont toujours un morceau à défendre, ne fût-ce qu’une seule réplique. C’est une pièce écrite pour les acteurs, en plus d’être une pièce écrite pour un metteur en scène qui a le sens de l’espace et du rythme. La présente traduction  Lessituations ont beau être, fatalement, datées,les réactions des personnages, elles, sont étonnamment modernes. Partant, la tentation est extrêmement forte de « tirer » ce texte à nous, et de l’arranger plutôt que de le traduire. Traduire est toujours un dilemme: faut-il vampiriser, ou se laisser vampiriser ? On pourrait très facilement donner de cette pièce une adaptation dans une langue délibérément contemporaine qui multiplierait les anachronismes et les clins d’œil à l’épistémè actuelle du rapport de l’individu occidental à sa sexualité, et de la société occidentale aux sexualités des individus qui la composent. En tout état de cause, il serait vain de chercher à produire un pastiche, en traduisant ce texte comme eût pu le faire un traducteur français des années 1620  dureste, il est vraisemblable qu’aucun auteur ou traducteur français des années 1620 ne se fût risqué à traduire un texte pareil (encore que la littérature grivoise n’ait pas été e totalement inconnue dans la France du XVIIsiècle, pour ne citer que l’exemple, certes plus tardif, desContesLa de Fontaine). L’activité de traduction porte toujours en elle une profonde ambiguïté ontologique: elle est faite pour son propre temps, mais on attend d’elle également qu’elle rende compte d’un éloignement géographique, chronologique, ou culturel (ou tout cela à la fois). On attend d’elle qu’elle reflète quelque chose de la patine acquise par l’original, tout en demeurant parfaitement accessible à ses propres
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contemporains. J’ai donc choisi de me tenir dans une sorte d’entre-deux, en optant pour une langue qui, dans l’ensemble, sonne relativement «classique »à nos oreilles, sans m’interdire, à l’occasion, au gré des scènes, des personnages et des situations, une tournure populaire ou un anachronisme délibéré qui me paraissaient plus aptes à témoigner de la truculence du texte anglais. De tous les personnages, ce sont évidemment Rutillio et Hippolyta ceux qui nous sont le plus « contemporains »,et leur langue, qui déjà dans l’original tranche nettement sur celle de leurs compagnons, porte en elle plus de « contemporanéité » dans la traduction aussi.  Onme reprochera donc peut-être d’avoir eu recoursà des expressions telles que «braquer les projecteurs» ou « appuyersur le bouton rembobiner » àmoins, peut-être, qu’on ne me reproche, au contraire, de ne pas m’être engagé plus résolument encore dans cette voie-là, et d’être resté trop sage et trop timide.  Letexte qui a servi de base à cette traduction est celui de l’édition de 1999, publiée par Globe Education (le programme éducatif du New Globe Theatre de Londres) et Nick Hern Books dans la collectionGlobe Quartos,et établie par Nick de Somogyi. Cette édition s’appuie elle-même sur 6 l’exemplaire C.39.K.3 de la British Libraryde l’édition de 1647 des œuvres de Beaumont et Fletcher, ainsi que sur l’édition de 1992 par les soins de Cyrus Hoy, dans le volume 8 desDramatic works in the Beaumont and Fletcher canon,sous la supervision de Fredson Bowers. J’ai adopté les corrections textuelles proposées par Nick de Somogyi (et ses prédécesseurs) ;en revanche, je n’ai pas systématiquement reproduit les didascalies que celui-ci a ajoutées au texte de 1647, et qui sont souvent redondantes par rapport aux
6 Dans les impressions de cette époque, le texte peut parfois varier légèrement d’un exemplaire à l’autre, la mention de la cote précise de l’exemplaire utilisé n’est donc pas un luxe oiseux et ridicule.
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