Du misérabilisme intellectuel du besoin  de se renier... et de ...
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Du misérabilisme intellectuel du besoin de se renier... et de ...

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Langue Français

Extrait

Du misérabilisme intellectuel
du besoin
de se
renier...
et de
quelques "chefs-d'oeuvre"
par François Hertel
I
Le misérabilisme est né chez nous avec
Au pied de
la Pente douce
de M. Lemelin et avec
Bonheur d'occasion
de Madame Gabrielle Roy. Le premier, avec un certain
talent, et la seconde, avec un talent certain, ont mis sur
notre orbite littéraire ce dangereux satellite. Le miséra-
bilisme, en effet, est plus inquiétant et plus redoutable
que le populisme. Ce dernier est toujours plus ou moins
engagé et sa puissance de corrosion est limitée.
Le misérabilisme peint, avec un souci d'objectivité
relatif,
un milieu donné. Comme il peint un milieu pouil-
leux, par définition, tous les pouilleux de ce milieu se
reconnaissent et s'aiment. Le succès des ouvrages de ces
auteurs fut hors de proportion avec leur valeur intrinsè-
que.
Il s'inscrivit dans un contexte de ghetto où on s'ai-
me bien, même et surtout quand ça pue. Je criai
casse-
cou
à ces livres, dès leur apparition. Connaissant mes
concitoyens comme je les connais, je savais que leur nar-
cissisme essentiellement masochiste s'y complairait à tel
point qu'ils en viendraient à ne plus s'intéresser qu'à
l'aspect le plus inintéressant d'eux-mêmes. Ils avaient
déjà des poux
;
désormais ils se découvriraient, avec une
joie sauvage, des morpions.
Une courte réaction suivit, avec les ouvrages d'Eugè-
ne Cloutier et d'André Langevin en particulier, dans les-
quels on tenta de revenir à des thèmes et à des modes
d'écrire plus universels. Plus tard Bessette réussit, au
moins deux fois, à traiter avec art de tels thèmes.
DU MISÉRABILISME INTELLECTUEL
8 2 9
Puis,
surgit la vogue "joualisante", qui nous plongea
au coeur d'un misérabilisme qui alla jusqu'à la corrup-
tion du langage. De cette époque révolue, demeurent deux
ouvrages d'une certaine qualité
:
Le cassé
de Renaud,
Le
cabochon
de Major. Par bonheur, ces deux jeunes écri-
vains de talent ont définitivement renoncé au "jouai",
à "ses oeuvres et à ses pompes". Par malheur, le "jouai"
s'épanouit maintenant dans la plupart de nos abomina-
bles journaux. Du "jouai", nous en vînmes au misérabi-
lisme de situation, plus encore que d'écriture, en particu-
lier avec la "géniale" Marie-Claire Biais. Nous voici au
fond de l'abîme; la grande "noirceur" est arrivée. Com-
ment veut-on qu'une jeunesse qui lit de tels ouvrages, où
jamais une pointe de gaieté ou d'humour ne fuse, soit
une jeunesse optimiste? Un bloc erratique de jeunes
vieillards se dresse maintenant devant tout interlocuteur
qui a la mauvaise grâce d'être en bonne santé physique
et morale.
"Un grand écrivain ne se conçoit pas sans humour"
disait un jour Georges Duhamel. On me "criera" — do-
rénavant, ici, on ne parle plus, on crie — que Georges
Duhamel est mort. Je crois toutefois que Salavin est plus
vivant que les personnages de la
Pente douce
et de
La
belle Bête.
Que les tristes aillent se pendre "au plus sacrant"
(Vous voyez bien que je connais le "jouai", moi aussi) et
qu'on n'en parle plus
!
Nous nous vantons d'être un peuple jeune. A côté de
certains étudiants de nos facultés maudites (Sciences so-
ciales,
— Quelle blague! — lettres, histoire politisée) le
prophète Jérémie lui-même fut un rigolo. Qui nous ren-
dra la joyeuseté de Louis Fréchette, dans les
Originaux
et détraqués,
la verve souriante et l'humour noir d'Albert
Laberge, le sourire de Panneton et Francoeur, l'allégres-
se dans la polémique de Jules Fournier et d'Olivar Asse-
lin?
Revenant d'un pays où la jeunesse "rigole", je com-
mence à en avoir plein le dos d'une adolescence bouton-
neuse qui se penche avec amour sur sa furonculose.
830
ACTION NATIONALE
Qu'on s'amuse, nom d'un chien ! La vie est courte.
Profitons-en pour nous payer une longue pinte de bon
sang!
II
Mais non, on ne veut plus rire, on ne veut plus s'amu-
ser. Tenez-vous bien
:
on veut souffrir. C'est pourquoi, à
l'heure présente, dans notre pays de délectation morose,
on ne veut plus même s'appeler canadien-français. Ce se-
rait faire allusion à un pays où, en pleine santé morale,
on persiste à s'amuser. Au Québec d'une certaine fausse
jeunesse on veut être tout ce qu'on voudra, mais surtout
ne pas être Français. La jalousie de parent pauvre, qui
sévissait déjà, il y a une trentaine d'années, est devenue
de l'hostilité déclarée.
Le nombre d'âneries que j'ai entendues, depuis mon
retour, en ce qui a trait à la France est incalculable
:
"Paris est une ville sale." Par malheur, c'est peut-être la
plus propre de toutes les grandes villes du monde —
"La France — comparée au QUEBEC, bien entendu,
est un pays pauvre." Or c'est le pays le plus riche du
monde. "Les Français ne sont pas polis." Ici sans être
d'accord je serais porté à leur dire de ne plus l'être. Pour
moi,
— qui me sens au moins aussi Français que Cana-
dien — je considère qu'ils devraient cesser de tolérer les
insulteurs.
Notez que ce que je viens d'écrire sera jugé com-
me un acte de Haute Trahison. Déclarer, au Québec qu'on
aime la France, c'est trahir. Gagner sa vie dans l'Onta-
rio,
c'est trahir. (C'est aussi aimer l'argent. J'oubliais
qu'au Québec on n'aime pas l'argent). Considérer la rei-
ne d'Angleterre comme une femme charmante et d'une
exquise éducation, c'est trahir.
Admettre que Lester Pearson ou Frank Scott sont de
grands civilisés, c'est trahir. Mais être d'origine
fran-
çaise
— je m'en excuse auprès de vous, mes chers conci-
toyens, excusez mon manque de tact, — être dis-je d'ori-
DU MISÉRABILISME INTELLECTUEL
8 3 1
gine
française
et dénigrer tout ce qui est français, ça, ce
n'est pas trahir. Quelles sont belles les fesses de notre
Province
!
Provinciaux plus encroûtés, plus vaniteux et plus
miteux que certains jeunes vieillards québécois actuels,
— je ne parle évidemment que des chefs du misérabilis-
me en marche — ça n'existe nulle part au monde. On ne
sait rien ni de l'Australie, ni de la Nouvelle-Zélande, et on
voudrait que tous les Français connaissent l'Histoire du
Canada. Et quelle histoire du Canada? Celle qui com-
mence avec la crise de 1929
;
mais ceci est déjà du passé,
par conséquent sans intérêt. La véritable histoire du Ca-
nada commence dorénavant le jour de la mort de Mau-
rice Duplessis. Or il se trouve — ô dérision
!
— que Du-
plessis fut le premier de tous les hommes d'Etat cana-
diens-français — oh
!
pardon
!
— à prôner l'Autonomie ;
qui mène nécessairement à l'Indépendance.
Autrefois, on enseignait l'histoire du régime fran-
çais avec un grand attendrissement et quelque naïveté.
Dorénavant, il n'y a pas eu de régime français au Cana-
da. "C'est de la mythologie", dit-on.
On ne finit pas de nous parler de
Y abandon
de la
France en 1759; alors qu'il
s'agit
d'une
défaite
imposée
par l'absence d'une flotte capable de rivaliser avec la
Navy
de l'époque. Les boutades de Voltaire et autres ne
sont venues qu'après... On nous dit aussi que toute la no-
blesse et la bourgeoisie françaises, à partir de 1760, sont
rentrées
en France, alors qu'elles ont été
rapatriées
d'of-
fice
par les vainqueurs.
Cette manière de renier un passé français qui est
notre seule raison d'être
autres
que les
autres,
en Améri-
que du nord, est une maladresse, qui nous coupe de nos
racines, une vilenie qui provient des complexes d'un cer-
tain nombre de nos pseudo-intellectuels, qui, n'étant mê-
me pas acceptés ici, ne sauraient encore moins l'être en
France. Que j'en ai connus de ces "retours d'Europe"
miteux, qui n'auraient jamais dû dépasser dans leurs pé-
riples l'Ile d'Anticosti!
832
ACTION NATIONALE
Je ne sache pas une âme plus confuse, plus obscure
que l'âme québécoise actuelle. Je parle toujours de celle
qui est en gésine dans une certaine jeunesse. Dieu merci,
il en existe une autre. (L'âme de la bourgeoisie actuel-
lement régnante est par contre par trop sereine et d'une
sérénité malsaine). Et quelle pensée! Ce salmigondis, mal
digéré par de jeunes esprits, de Freud, de Camus, de Sar-
tre et des
commentateurs
de Marx constitue le plus stu-
péfiant phénomène de misérabilisme spirituel, dans l'es-
prit et dans la bouche qu'il m'a été donné d'approcher.
J'ai dit dans la
bouche;
en effet, plus question de
bien parler, de s'exprimer quoi
!
Nous sommes un peu-
ple jeune. Donc vagissons
!
Mais ce qu'il y a de plus grave, de très grave, c'est
l'illusion d'être en train de créer une élite sensationnelle
alors qu'on vide les cerveaux de la véritable culture, cel-
le qui s'apprend dans les classiques.
On se moque d'une élite
qualitative,
— dont on dé-
clare d'ailleurs qu'elle n'a jamais existé, — au profit de
l'élite nouvelle
:
celle de la
quantité.
Ayant renoncé aux
humanités classiques nous sombrons sous le poids des
primaires dits "supérieurs".
Ce qui a été mal assimilé chez nous, c'est le proléta-
riat. Au temps où les élites se recrutaient dans les saines
masses paysannes, où il v avait de la dignité, un aspect
seigneurial parfois, on s'acheminait, lentement mais sû-
rement, vers de saines réalisations culturelles.
La seconde génération de déracinés de la terre, éta-
blie dans une ville tentaculaire, suprêmement dure, com-
me l'est Montréal, est une génération de pressés, d'inas-
souvis, de revendicateurs à tout prix. Puis, comme Bor-
duas jadis, on est passé sans transition des mercredis de
Saint-Antoine à l'athéisme militant. Il y a là une imma-
turité du pire acabit.
DU MISÉRABILISME INTELLECTUEL
833
III
L'Avalée des Avalés,
Réjean Ducharme
Une saison dans la vie d'Emmanuel,
Marie-Claire
Biais
Prochain Episode,
Hubert Aquin
L'Incubation,
Gérard Bessette
Ici,
il s'agira de comparer trois débutants à un écri-
vain de classe. Les trois débutants, ce sont les "mioches"
de génie (!) dont on nous casse les oreilles et les pieds
depuis quelques mois. Quant à l'oeuvre de valeur — dont
on ne parle plus —
L'Incubation
de Bessette, j'en dirai
un mot bien senti.
Qu'est-ce que
L'Avalée des Avalés?
Bien avisé qui
pourrait me le dire. Il
s'agit
des divagations surréalistes
d'un Lautréamont au petit pied. Cette sorte d'Antoine
qu'est Ducharme nous offre ses "élucubrations". On y lit
des choses comme ceci: "Les rats éclosent (sic) en même
temps et en aussi grande quantité que les pissenlits".
Mon Dieu, que c'est beau! "Nous mangeons tranquille-
ment, sans dire un mot, comme des vaches". Que c'est
poétique! N'oublions pas qu'il
s'agit
des mémoires d'une
petite fille méchante. En souvenir de Le Clézio, je sup-
pose,
il y a une fort belle étude sur les rats. Qui dira assez
la poésie du rat?
Il demeure que Ducharme a du talent, qu'il est doué
pour écrire. Hélas! Il ne sait pas choisir. Il a adopté
cette technique dite du nouveau roman, (mais qui est de
l'anti-roman) celle d'écrire tout ce qui vient à l'esprit,
sans choix.
*
Je me suis déjà expliqué sur le cas de Marie-Claire
Biais.
Elle aussi a du talent. Hélas! Elle aussi ne sait pas
encore son métier. L'apprendra-t-elle jamais? Si on ne
cesse de l'encenser sans discernement, je crains qu'elle ne
parvienne point à maturité.
834
ACTION NATIONALE
Sa
Saison
est loin d'avoir les qualités infernales de
celle de Raimbaud. Pas de beaux péchés, rien que des pec-
cadilles. C'est une sorte de purgatoire, où l'on joue à
"touche-pipi' à longueur de pages. On commence bonne
soeur, on finit putain. Et allez donc! Si c'était structuré
comme
La Religieuse
de Diderot on applaudirait; mais
c'est jeté en vrac, au gré de la délectation morose de la
jeune personne. N'empêche que si cette jeune fille se met
au travail, elle a un don réel, un authentique sens d'une
sorte de poésie sauvage et noire.
y^
*
*
Avec Aquin, on tombe dans une sorte de mystérieu-
/ se aventure approximative, écrite précisément dans un
style approximatif. Ce qu'on doit se tordre le cerveau
pour arriver à de telles nuances d'inexpression, d'inex-
actitude du langage et de la trame. Quand Aquin écrivait
en prose, à l'époque du moins où il n'avait pas enco-
re sauvé la
Patrie
— il était, ma fois, à peu près lisible.
Certes, je ne comprenais pas toujours ce qu'il voulait
sans doute exprimer, mais je le soupçonnais d'intelligen-
ce.
J'avoue que depuis
Prochain épisode
je n'en suis plus
tout à fait sûr. Ducharme est
naïf,
Biais est cynique,
Aquin est précieux. Il décrit ses non-sens inexistentiels
dans un style qui se veut élégant. Quel charabias
!
*
"Rien de tout ce que vous écrivez ici n'est valable",
me dira-t-on. "On voit que vous n'aimez pas le nouveau
roman." Je ne l'aime guère, en effet, à la Robbe-Grillet,
à la Marguerite Duras
;
mais je l'adore à la Monique Wit-
tig.
Si nos jeunes auteurs savaient décrire les adolescents
et les adolescentes comme celle-là, j'en serais ravi. Puis,
il y a, ici, Bessette.
L'Incubation
est un nouveau roman,
avec tout ce que cela peut comporter d'affligeant au pre-
mier aspect; mais quel équilibre, quel style!
L'écriture de cette divagation alcoolico-littéraire pos-
sède une puissance d'évocation onirique, qui crée une
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8 3 5
atmosphère, transporte dans un monde, irréel soit, mais
combien étrange et vivant.
Cet
anti-roman
devient attachant et réiste à la lec-
ture et à l'analyse; en particulier parce qu'il est sous-
tendu d'humour noir et d'une implacable satire de toutes
les formes de misérabilisme. Bessette est un écrivain, les
autres sont des apprentis sorciers.
*
Je viens, une fois de plus, de vider mon sac. On ne
m'en saura aucun gré; mais j'aurai soulagé ma conscien-
ce.
Il faut que nous sortions au plus tôt du
misérabilisme
pour revenir à la traditionnelle gaieté de nos ancêtres.
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