Sinaï : une nouvelle région pour le terrorisme - Frequent ...
17 pages
Français

Sinaï : une nouvelle région pour le terrorisme - Frequent ...

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
17 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Sinaï : une nouvelle région pour le terrorisme - Frequent ...

Informations

Publié par
Nombre de lectures 140
Langue Français

Extrait

 
        
         Sinaï : une nouvelle région pour le terrorisme ?  Conference on « Integrated Security » 29 th September-1 st October 2006
Amal Lamnaouer Associated Researcher C.E.D.E.J. Cairo, Egypt  aslamnaouer@hotmail.com  
SOMMAIRE     Introduction ......................................................................................................... 3    I. De la Haute-Egypte au Sinaï : dune revanche régionale à une autre ? ...................... 5   A. La Haute-Egypte et le terrorisme fondamentaliste des années soixante-dix aux années quatre-vingt dix ...................................................................................................... 5  B. Le renoncement à la violence des groupes terroristes traditionnels........................... 7   II. Le terrorisme en Egypte dans les années 2000 : le Sinaï, nouveau fief jihadiste....... 9   A. Taba, Nuweiba, Ras el Shatan : simultanéité des attentats : label ou sponsor Al Qaeda ? ............................................................................................................................... 9  B. Sharm el Sheikh : les attentats terroristes les plus meurtriers de lHistoire égyptienne. .......................................................................................................................................... 11   III. Le cercle vicieux de la terreur : le dilemme de luf et de la poule : répression policière/radicalisme exacerbé. ......................................................................................... 13   A. Le Sinaï, terreau fertile pour le développement du terrorisme : attentats de Dahab ... 13  B. Le terrorisme et la loi détat durgence : la remise en cause dune législation antiterroriste ?................................................................................................................... 15   Conclusion :.......................................................................................................17  
Introduction  
   En avril 2001, le Ministre de la Défense américain, M. Rumsfeld, demanda le retrait des forces militaires américaines de la Force Multinationale et des Observateurs dans le Sinaï 1 . Fin janvier 2002, le Pentagone annonce publiquement ses plans pour réduire le nombre de ses hommes passant de 865 à 26 2 . En août 2002, les Etats-Unis, lEgypte et Israël ont entamé des pourparlers sur la réduction de la participation militaire américaine dans la Force Multinationale de maintien de la paix 3 , ladministration Bush voulant ramener le nombre de ses soldats à 50. En août 2005, un véhicule de la MFO 4  fut la cible dun attentat dans le Sinaï. Deux Canadiens furent blessés 5 . Plus récemment, le 26 avril 2006, deux attentats suicides ont eu lieu, deux jours après les explosions à Dahab. Le premier attentat suicide se produisit à onze heures à proximité dun aéroport de la MFO, à El Gorah non loin de la bande de Gaza. Cette attaque visait un véhicule de la MFO. Une demi-heure plus tard, près de la ville dEl Arish, et à 30 kilomètres dEl Gorah, la seconde attaque toucha un véhicule appartenant aux forces de sécurité près dun poste de police. Il ny eut aucune victime en dehors de lauteur de lexplosion. Depuis les dernières élections présidentielles  septembre 2005  et législatives    novembre-décembre 2005 , lEgypte doit faire face à une situation politique sensible. Des manifestations sont organisées chaque semaine par des groupes politiques de lopposition tels les Frères musulmans qui demandent au gouvernement de mettre fin à létat durgence en vigueur depuis 1981 et dont la loi donne les pleins pouvoirs à lEtat. Cest dans ce contexte politique mouvementé que le gouvernement doit faire face à nouveau à une série d'attentats terroristes. Même si le phénomène n'est pas nouveau en Egypte, les récents attentats qui ont eu lieu à Taba (octobre 2004), Sharm el Sheikh (juillet 2005) et à Dahab (avril 2006) marquent une évolution. En effet, techniquement, les forces de sécurité nont plus à combattre un groupe dont lobjectif est précis. Mais ils doivent faire face à une nébuleuse terroriste. Géographiquement, le terrorisme ne se manifeste plus en Haute Egypte mais dans le Sinaï, région difficile à contrôler surtout depuis le retrait israélien de la bande de Gaza. De plus, la proximité de lArabie Saoudite et par conséquent du Yémen facilite la diffusion de réseaux terroristes internationaux. La question que nous devons nous poser ici est de savoir si la communauté internationale doit continuer à se désintéresser de la région du Sinaï sachant que les forces militaires égyptiennes ne peuvent ni légalement, ni opérationnellement assurer la sécurité de la région.  Historiquement, lEgypte, pays arabe le plus peuplé, est le centre névralgique du radicalisme islamiste sunnite. En effet, il est utile de rappeler que lEgypte a subi une vague dattentats terroristes intense particulièrement dans les années soixante-dix et ce en Haute-Egypte et au Caire. Cette série noire sest achevée avec les attentats terroristes de Louxor en                                                  1 Jane Perlez, « Rumsfeld Seeks to Withdraw American Troops From Sinai », in The New York Times , April 19, 2001. 2 Sipress, Alan and Thomas E. Ricks, « Pentagon Seeks Sinai Cuts » in The Washington Post , January 30, 2002. 3 « U.S. Seeks to Reduce Sinai Peace Role », in The Washington Post , August 3 rd , 2002. 4 Cette force rassemble des troupes donze pays. Elle représente plus de 3 000 soldats et civils. Etablie en 1982, après les accords de Camp David de 1979, sa mission consiste à maintenir la paix entre lEgypte et Israël. La MFO est divisée deux camps. Le premier est situé au Nord, dans la ville d'Al Gorah, près de la bande de Gaza. Le second, au Sud, au bord de la mer Rouge, dans la station balnéaire de Sharm el Sheikh. 5 ABDEL-AZIM Chérine, « Lépine du Sinaï », in Al Ahram Hebdo , le 30 août 2005.
 Amel Lamnaouer Sinaï : une nouvelle région pour le terrorisme ?  novembre 1997 lors desquels 58 touristes étrangers ont trouvé la mort, et depuis le pays fut plus ou moins épargné par la violence jihadiste 6 (Première partie).  Le tournant seffectua en septembre 2003 lorsque la police égyptienne arrêta 23 militants islamistes suspectés dêtre liés au réseau Al Qaeda et de préparer des attaques contre les forces américaines en Iraq. Ce groupe était constitué de 19 Egyptiens, dun Turc, dun Malaisien, dun Indonésien et de trois Bangladeshi, tous étudiants à lUniversité théologique dAl Azhar au Caire. Ce coup de filet des services de sécurité marqua le premier pas dans ce qui allait faire évoluer le terrorisme islamiste en Egypte. En effet, après sept années de répit dans les opérations terroristes conduites sur le sol égyptien, la nouvelle campagne jihadiste débuta avec les premiers attentats dans le Sinaï, le 7 octobre 2004, ayant eu pour cible des touristes israéliens et dont le bilan des victimes séleva à 34 morts et plus de 150 blessés (Deuxième partie).  Dans un contexte politique mouvementé, les autorités égyptiennes ont répondu dès les premiers attentats par la force en vertu des pleins pouvoirs qui leur sont conférées par létat durgence. Mais cette stratégie na pas atteint son objectif. La série dattentats terroristes dans le Sinaï continua à un tel point quil est pertinent de se poser la question de savoir si cette répression policière ne nourrit pas le radicalisme. Auquel cas, est-il judicieux de prolonger létat durgence dans un pays où les jeunes nont jamais connu autre chose (Troisième partie).  ___________________________   
                                                 6  Le pays a connu des affrontements violents entre membres des deux confessions religieuses égyptiennes : certains fondamentalistes islamistes se sont à plusieurs reprises attaqués aux communautés coptes dans le Delta ou en Haute Egypte.
 
4
I. De la Haute-Egypte au Sinaï : dune revanche régionale à une autre ?  Dans les années quatre-vingt dix, certains analystes de lislamisme radical tentaient dexpliquer le phénomène du terrorisme comme la conséquence d« une revanche régionale » 7 . En effet, à lépoque, la grande majorité des assassinats politiques  ou leur tentative  furent commis par des Sudistes ou Saidi. Pour prendre un exemple significatif, lassassin du Président Anour al-Sadate, le Lieutenant Khalid al-Islamboli, était natif de la ville de Minya 8 . De la même manière, le Sheikh Omar Abdul Rahman est certes originaire de la ville de Tanta mais il a vécu dans le Sud où son radicalisme fut influencé par les expériences dAssiut et du Fayoum 9 . Au Caire même, les activités de la Jamaat Islamiyya depuis 1981 ont eu tendance à se concentrer au Sud dans les quartiers de Ain Shams, Imbaba et al-Zawiya Al-Hanna 10 .   A. La Haute-Egypte et le terrorisme fondamentaliste des années soixante-dix aux années quatre-vingt dix  Limpact social et économique des politiques publiques des régimes de Nasser, Sadat et Mubarak dans le Sud du pays peut être un facteur explicatif du développement des mouvements islamistes 11 . En effet, à la différence du Nord, la région du Said na été conquise par aucun pouvoir colonial 12 . Même depuis la Révolution de 1952, le régime na jamais pénétré entièrement le Sud. Le gouvernement central a compté sur les notables locaux et sur leur traditionnelle autorité pour assurer lordre. De même, en matière de subventions, lEtat fut relativement absent par rapport au Nord 13 . La première des conséquences de ce laisser-faire fut la prédominance des us et coutumes locales sur la Loi civile.  Au sein des saidis , population de la Haute Egypte, des distinctions sociales sopèrent en fonction du rapport à la religion. En effet, le degré dattachement aux préceptes de lIslam fut un critère traditionnellement utilisé par les tribus dominantes pour juger de la supériorité dun groupe sur un autre. Ainsi, les Achrafs   descendants du Prophète Muhammad  et les Arabes 14  voient les Fallahins 15  comme acceptant lIslam seulement sous lemprise de la crainte dêtre réprimandés et traités comme inférieurs.                                                  7 Mamoun FANDY, « Egypts Islamic group: Regional revenge? », in The Middle East Journal , autumn 1994, Vol. 48, n°4, p.607 8  Cest le cas également des autres leaders du groupe a lorigine de lassassinat du Président Sadate : Nagih Ibrahim (Assiut), Assem Abdul Majid (Qena), Karam Zuhdi  l « émir du Sud »  et Usama Hafiz, tous les deux originaires de Minya. 9 Affrontements avec les forces de police. 10 A propos du caractère Saidi du Conseil consultatif de la Jamaat al Islamiyya, voir A. Chris ECCEL, « Alim and Mujahid in Egypt : Orthodoxy Versus Subculture, or Division of Labor ? », in The Muslim World , Vol. LXXVII, n°3-4, July-October 1988, pp.196-99. 1 1 Emmanuel SIVAN, « Radical Islam: Medieval Theology and Modern Politics », New Haven, Yale University Press, 1985. 12 Napoléon fut défait à al-Baroud près de Nera et les Anglais navaient établi aucun poste en Haute-Egypte. 13  Ainsi, linvestissement étatique dans le développement dAssiut représentait, dans les années quatre-vingt, 1/17 ème du montant national alors que la majorité de cette population tire de lagriculture sa principale source de revenus. Sans évoquer la vétusté des équipements agricoles. Richard H. ADAMS, « Development and Social Change in Rural Egypt », New York, Syracuse University Press, 1986, pp. 24-25. 14 "Arabes", dont le sens dans le Sud diffère de celui donné dans le Nord et fait référence ici aux membres des tribus dont les ancêtres sont issus de lArabie centrale.
 Amel Lamnaouer Sinaï : une nouvelle région pour le terrorisme ?  Après la Révolution de 1952 qui a mis fin à la monarchie, les réformes politiques de Nasser en matière dagriculture et déducation ont permis à de nombreux saidis  de sortir diplômés des Collèges dans les années soixante-dix. A lépoque cela pouvait conduire à changer les conditions de vie du diplômé et de sa famille. Originaires de la classe prolétaire, ils appartenaient désormais à la classe moyenne. Cette mobilité sociale bénéficia aux Ashrafs  et aux Arabes qui renforcèrent par-là leur supériorité tribale par un statut économique et intellectuel valorisé. Par contre, pour les Fellahins , cette mobilité entrait en contradiction avec leur statut inférieur. Mais grâce à l'instruction dont ils bénéficièrent, ils purent lire et interpréter par eux-mêmes le Coran et les Haddiths  faits et gestes du Prophète rapportés par ses compagnons . Surtout que les Fellahins étaient les seuls à devoir prouver leur islamité 16 . Face à un tel environnement hostile, les Fellahins aspiraient à réorganiser la structure sociale du Sud et de sa relation avec la périphérie 17 .  Mais, le statu quo politique après 1970 fut source de tension et a conduit à la montée de lislamisme dans le Sud. Les fils de Fellahins  ayant profité de léducation libre sous Nasser, se sont retrouvés sans emplois sous Sadate et Mubarak et ont émigré massivement dans les centres urbains, notamment au Caire poussés par le manque de projets de développement et de la pauvreté dans le Sud 18 . Cest dans ce contexte que le Sud trouva refuge dans lIslam et le régionalisme Saidi . La plupart des membres de la Jamaat al Islamiyya furent des Fellahins aspirant à changer ce discours dominant et à diffuser leur propre interprétation de lislam pour restructurer les règles gouvernant la société du Sud 19  . Créée dans les années soixante-dix sur les différents campus de lUniversité dAssiut  Sojah, Qena et Aswan  la Jamat al Islamiyya combattait les auteurs dinjustices à lintérieur même de lEgypte 20 . Elle fut initialement formée par et en réponse à un contexte régional. Le thème de la pauvreté et de linjustice dans le Sud fut le leitmotiv des discours du mouvement islamiste 21 .  Le mouvement de la Jamaat al-Islamiyya  a pris de lampleur grâce notamment au boom économique du pétrole dans la Péninsule arabique qui a entraîné un recrutement massif de main duvre provenant de pays arabes peuplés comme lEgypte. Les nombreux fellahins  qui se sont expatriés sont revenus au pays avec lintention dinvestir leurs économies dans lachat de terres appartenant à danciens propriétaires ayant rejoint les banlieues urbaines pour tirer profit de l infitah ouverture économique  de Sadate et ouvrir des bureaux spécialisés   dans lexport et limport.
                                                                                                                                                        15 Egyptiens non arabes, descendants des anciens Egyptiens tels les Coptes et les Nubiens. 16  En effet, les Ashrafs sont les descendants du Prophète, les Arabes ont converti lEgypte à lIslam et leurs descendants actuels ont les moyens financiers pour accomplir le Haj  pèlerinage onéreux  tout en construisant des mosquées. Pour leur part, les Fellahins  dont les moyens financiers restaient limités, fréquentaient les mosquées et prêchaient dans les « diwans » locaux. 17  La tradition du gouvernement en matière de contrôle de la Haute-Egypte a largement dépendu du rôle dintermédiaire joué par les kibar al-  â utrement dit des notables locaux fortunés nommés par les a y n , a universitaires : « classe moyenne rurale » ou « second stratum ». Leonard BINDER, « In a Moment of Enthusiasm: Political Power and the Second Stratum », Chicago, University of Chicago Press, 1978. 18 Deborah PUGH, « Upper Egypt », in The Christian Science Monitor , May 4 th , 1994, pp. 12-13. 19  Diaa RASHWAN, « Al-Saeed: Tajribba Shakhsiyya » (The South: A personnal account), in Al Majalla , n°694, June 5-10 th , 1993, p.38. 20 A la différence de lennemi originel des Frères musulmans incarné par le colonisateur occidental. 21 Stanley REED, « The Battle for Egypt », in Foreign Affairs , n°4, Sept-Oct. 1993, p. 102.
 
6
 Amel Lamnaouer Sinaï : une nouvelle région pour le terrorisme ?  Ces Fellahins  soudains enrichis ont permis la construction de nombreuses mosquées portant le nom du bienfaiteur jusquà lors inconnu. Leur argent finança également de nombreux services sociaux telles que les cliniques communautaires. Ces nouveaux-riches simprovisèrent recruteurs de nouvelle main duvre pour les pays du Golfe  un sponsor étant nécessaire pour lobtention dun visa de travail en Arabie Saoudite et au Koweït . Ce rôle dintermédiaire leur octroya un certain pouvoir et leur permettait de prendre en considération des critères personnels tels que la fréquentation assidue de la mosquée par le candidat. Aussi rejoindre les rangs de la Jamaat al-Islamiyya ne signifiait pas forcément adhérer à lidéologie du groupe mais représentait surtout laccès à largent aisément gagné.   La Jamaat al-Islamiyya ainsi que le groupe Al Jihad 22 ont été les deux mouvements terroristes importants que lEgypte a connu. Ils ont développé un projet politique et religieux distinct basé sur la jurisprudence islamique, les interprétations et les déclarations de théologiens influents tels que Ibn Taymiyya, Sayed Qutb, Omar Abdel Rahman qui percevait le régime au pouvoir comme étant infidèle et devant être de ce fait renversé. Ainsi, contrairement à la Jamaat al-Muslimeen appelée aussi Al Takfir wa al-Hijra , la Jamaat al-Islamiyya et Al Jihad nont pas considéré la société comme étant infidèle. Selon luvre islamiste célèbre de Muhammad Abd al-Salam Faraj : Al Farida al Ghaaba « le devoir occulté » les Musulmans doivent pratiquer le jihad  la guerre sainte  un devoir quils ont négligé pendant de trop nombreuses années. Aussi, les leaders de Al Jihad , ont-ils appelé à combattre les dirigeants politiques qui nappliquaient pas la loi divine. La Jamaat al-Islamiyya , de son côté, adopta une Charte intitulée « La Charte de lAction Islamique ». Mais le groupe fut moins rigide que Al Jihad , et attira par conséquent un grand nombre de militants tout en gagnant en influence dans la région de la Haute-Egypte. Les deux groupes ont réussi à recruter des milliers de membres qui aspiraient à la création dun vaste Etat islamique, à la libération de la Palestine et à la destruction des régimes impies par une révolution ou une opération militaire. Dans ce but, ils ont mené une guerre sanglante contre le régime égyptien dont le point culminant fut lassassinat du Président Anwar al Sadat. Cette lutte entre les forces de lEtat et les deux groupes se poursuivit dans les années quatre-vingt et quatre-vingt dix.    B. Le renoncement à la violence des groupes terroristes traditionnels   Le comportement violent de la Jamaat  a été expliqué par la dynamique de lhégémonie culturelle cairote ou « violence culturelle » 23 . Aussi les attentats perpétrés contre les touristes sur les sites de Louxor ne doivent-ils pas être analysés comme étant un geste islamiste qui voudrait détruire toute trace dun passé antéislamique mais plutôt comme la volonté de nuire aux revenus du tourisme et par là même porter atteinte à lEtat.  
                                                 22  Pour plus de précisions à propos du mouvement Al Jihad , lire Nemat GUENENA, « The Jihad, an Islamic alternative in Egypt », Cairo, AUC Press, 1986, 115 p. 23 Johan GALTUNG, « Cultural Violence », in Journal of Peace Research , 27, n°3, 1990, pp. 291-305.  
 
7
 Amel Lamnaouer Sinaï : une nouvelle région pour le terrorisme ?  Ayant subi la répression policière sévère suite aux attentats de Louxor, les leaders de la Jamaat  al-Islamiyya ont annoncé publiquement renoncer à la violence. Aussi, certains de ces repentants furent-ils libérés de prison 24 . Néanmoins, la disparition dorganisations de grande échelle, même les plus violentes, crée naturellement un vacuum devant être impérativement comblé par des forces sociales et politiques capables de récupérer et de guider les ex-militants et membres des groupes jihadistes. Au lieu de cela, si lEtat maintient la pression sécuritaire, cela conduit inévitablement à lémergence de nouveaux groupes terroristes, différents dans la forme et dans le fond de ceux quil a pu connaître.   Ainsi, en Egypte, depuis le 11 septembre 2001, aucun changement structurel nest apparu pour faire face aux défis de la globalisation de lIslam radical. Aussi pendant que les terroristes forment des cellules dormantes et utilisent lInternet comme outil de communication, les mesures de sécurité en Egypte restent-elles inchangées. Les responsables politiques pensaient quAl Qaeda navait pas dintérêt en Egypte et que les groupes locaux ne représentaient plus une menace. Mais avec loccupation américaine de lIrak et le retrait israélien de la Bande de Gaza, la donne évolue. En effet, les groupes radicaux y voient de nouvelles opportunités pour lorganisation dopérations terroristes, de recrutements et dentraînement. Depuis la Révolution de 1952, lIslam radical est considéré comme relevant du domaine de la sécurité plutôt que de dimensions sociales, économiques, religieuses et éducationnelles alors que les attentats suicides deviennent la méthode de choix. Quels effets des politiques sécuritaires sévères peuvent-elles avoir face à des kamikazes ?    _________________________  
                                                 24  De leur côté, des dissidents de Al Jihad , guidés par Ayman al-Zawahiri ont rejoint les rangs d al -Qaeda  en 1998 pour annoncer la naissance du Front Islamique Mondial pour combattre « les Juifs et les Croisés » dont les activités terroristes se déroulaient à létranger. Gilles KEPEL, « Jihad , Expansion et déclin de lislamisme », Gallimard, Paris, octobre 2001, 720 p.
 
8
II. Le terrorisme en Egypte dans les années 2000 : le Sinaï, nouveau fief jihadiste.  La station balnéaire de Taba, sur le golfe dAqaba, est la dernière partie du Sinaï rendue par Israël à lEgypte en vertu de leur accord de paix de 1979 25 . Cette station balnéaire, sur fond de montagnes du Sinaï, offre une vue sur Israël, la Jordanie et lArabie Saoudite. Les Israéliens avaient lhabitude de traverser le poste frontière dEilat qui les séparent de Taba pour profiter de la station balnéaire dont le rapport qualité-prix est plus intéressant que celui de sa voisine israélienne 26 . Les touristes juifs se sentaient en sécurité malgré le nombre limité des effectifs de police égyptienne conformément au traité de paix israélo-égyptien qui fait de la péninsule du Sinaï, une zone démilitarisée. Ainsi, le Sinaï et notamment sa côte orientale est, certes une région touristique qui alimente en devises fortes les caisses de lEtat égyptien, mais labsence de forces de police en a aussi fait le théâtre de toutes sortes de trafics clandestins. Des fusils dassaut de fabrication russe et américaine, des explosifs achetés dans la Corne de lAfrique, au Soudan, en Arabie Saoudite, y transitent avant dêtre acheminés par des tunnels creusés sous la frontière entre lEgypte et Gaza jusque dans les mains des combattants palestiniens. Les bédouins trafiquants de hashish et des prostitués originaires de lex-URSS traversent également la frontière sans trop de difficulté.    A. Taba, Nuweiba, Ras el Shatan : simultanéité des attentats : label ou sponsor Al Qaeda ?  Les attentats du 7 octobre 2004 qui ont fait 34 morts  dont onze Israéliens  et 159 blessés, ont été les premiers dune longue série commis dans le Sinaï Les trois attaques sont intervenues à vingt-cinq minutes dintervalle. Simultanéité qui nest pas sans rappeler fortement le mode daction dAl Qaeda devenu notoire depuis les attentats du 11 septembre 2001. La terreur fut semée à une date symbolique : en effet, le 6 octobre est la fête des Forces Armées et une journée nationale fériée marquant la victoire remportée sur Israël en 1973. Vers 22 heures, un véhicule piégé explosa devant lhôtel Hilton de Taba faisant sécrouler les dix étages du bâtiment. A 22 heures 30, deux autres explosions  lune à Ard el Amr et lautre à Ras el Shitan  se produisirent à Nuweiba. Ces attentats ont commis le plus de blessés dans lhistoire du terrorisme en Egypte. Les autorités égyptiennes acceptèrent lintervention des services sanitaires israéliens mais refusèrent toute coopération policière notamment en matière déchanges de renseignements.  Il faut noter que ces incidents ne sont pas liés aux attentats qui se sont produits dans la capitale égyptienne. En effet, le 7 avril 2005, une bombe explosa près du bazar de Khan el 2 Khalili, tuant 3 touristes et blessant 18 passants 7 . Le 30 avril, un suspect poursuivi par les forces de police sest jeté du pont et fit exploser dans le même geste une bombe au-dessus de la place Abd al-Momein Riyad, blessant 3 Egyptiens, un couple israélien, un Suédois et une Italienne. Peu de temps après cet incident, la sur du suspect et sa fiancé, une vingtaine
                                                 25 Taba, dont la superficie ne dépasse pas un kilomètre carré, fut restituée à lEgypte en 1988, après un verdict en sa faveur rendu par un comité darbitrage international. 26 Taba attire chaque année des milliers de touristes israéliens qui y trouvent notamment des casinos, interdits en Israël. 27 « Un attentat au Caire a causé la mort de trois personnes, dont une Française », in Le Monde du 7 avril 2005.
 Amel Lamnaouer Sinaï : une nouvelle région pour le terrorisme ?   dannées, ont ouvert le feu sur un bus touristique dans le quartier de Saida Aicha 28 . Ces attentats sont des actes isolés, perpétrés par les membres dune même famille, avec des moyens artisanaux, indiquant le degré damateurisme de ses auteurs 29 . Les motivations de ces auteurs tiennent à lenvironnement politique, économique et social du pays basé sur loppression et la répression. Ce sont des actes isolés, les investigations nayant démontré aucune connexion avec un groupe jihadiste. Le jeune motard à lorigine de lexplosion à Khan el Khalili, étudiant en école dingénieur, aurait semble-t-il trouvé sur Internet, les moyens de réaliser cet attentat. Cette opération damateur soulève la question du terrorisme isolé : un individu ayant un minimum dinformations peut commettre un attentat.  Dune autre manière, ce qui se passe actuellement dans le Sinaï doit éveiller lattention des analystes du terrorisme. En effet, dans les semaines qui ont suivi les attentats à Taba, Nuweiba et Ras al Shatan, un des leaders du mouvement « Al-Qaeda fi Jazirat al-Arabiyya » (Al Qaeda dans la Péninsule Arabique), Abu al-Abbas al-Aedhi, diffusa en ligne un document intitulé : « From Riyadh/East to Sinaï », proclamant un nouveau jihad  en Egypte parallèlement aux attaques perpétrées en Arabie Saoudite. Deux groupes ont revendiqué les attentats du Sinaï : les Brigades dAbdullah Azzam 30  et les Mujahideen dEgypte. Aucune de ces revendications na pu être confirmée et nont pas été prises au sérieux. Les responsables de la sécurité ont penché plutôt pour limplication dun groupe palestinien  à cause des affrontements israélo-palestiniens ayant précédé ces attentats  ou pour un acte dAl Qaeda du fait du nombre important de touristes israéliens et de la nationalité américaine du propriétaire de lhôtel. La motivation des terroristes aurait été de conduire lEgypte à entrer en conflit avec Israël.  Le 25 octobre 2004, le ministère de l'Intérieur égyptien annonça l'arrestation de cinq des neuf auteurs 31  présumés de ces attaques perpétrées, selon l'Egypte, en riposte aux opérations israéliennes dans la bande de Gaza. Les cinq hommes arrêtés sont tous de nationalité égyptienne 32 . Les investigations policières après les attentats de Taba ont donné lieu à une répression massive : 3 000 citoyens de la région dAl Arish  dans le Nord du Sinaï  ont été arrêtés, interrogés, torturés malgré les dénonciations des ONG en matière de protection des droits de lHomme.                                                      28 François BOSTNAVARON, « Nouvelles inquiétudes pour la florissante industrie touristique » in Le Monde  du 3 mai 2005. 29  La nouveauté introduite par ces attentats fut limplication de femmes dans des attentats suicides. Un aspect devant remettre en cause les a priori dans létude du terrorisme en Egypte : le profil-type du kamikaze ne doit pas être réduit à celui dun jeune homme, désespéré, non-éduqué. Dans le cas de ces attentats, il sagissait dune organisation familiale soutenue financièrement par un parent au Qatar. Voir Ahmed Ibrahim MAHMOUD, « Tafajirat Sina wa tahulat dhahira al rhab fi misr », in Karassat Astratijiya , Center for Political and Strategic Studies, n°167, septembre 2006. 30  Abdullah Azzam était un islamiste palestinien considéré comme étant lorganisateur originel des volontaires étrangers musulmans venus combattre linvasion soviétique en Afghanistan où il fut tué en 1989. Son fils déclara au quotidien saoudien « al-Riyadh » que le groupe qui porte son mon na rien à voir avec son père. www.alriyadh.com 31 Sur les quatre restants, deux sont morts dans les explosions et deux seraient en fuite. 32 « Arrestation de cinq des auteurs présumés des attentats du Sinaï », in Le Monde du 26 octobre 2004.  
 
10
 Amel Lamnaouer Sinaï : une nouvelle région pour le terrorisme ?  B. Sharm el Sheikh : les attentats terroristes les plus meurtriers de lHistoire égyptienne.  Le 23 juillet 2005, deux voitures et un attaché-case piégés ont explosé près dhôtels et de magasins à Sharm el Sheikh, tuant 88 personnes et en blessant plus de 200 33 . Ces attentats terroristes sont les plus meurtriers de lHistoire du pays. La date de la tragédie coïncida avec la commémoration de la Révolution menée par Nasser et les Officiers libres en 1952. La station balnéaire de Sharm el Sheikh est le lieu de rencontre des conférences pour la paix au Proche-Orient. Certains y voient un symbole du pouvoir égyptien 34 . Les victimes furent en majorité, égyptiennes. Lempreinte de ces attentats ne sont pas sans rappeler ceux de Taba. Les autorités ont pensé à des auteurs vivant dans la région du fait des contrôles de police stricts qui étaient mis en place depuis octobre 2004.  De nouveau, les Brigades dAbdullah Azzam ont revendiqué ces attaques suivis plus tard de deux autres groupes : les « Jihadistes dEgyptes » et « Al Tawhid wa al Jihad » 35 . La police égyptienne a passé les semaines qui ont suivi les attentats à Sharm el Sheikh, le 23 juillet 2005, à rechercher les suspects impliqués. Le 28 septembre, Moussa Salam Badran fut tué par les forces de police dans les montagnes du Sinaï à environ 60 km au Sud de El Arish, considérée comme le fief de plusieurs suspects 36 . Loffensive préparée par la police à lencontre des bédouins a conduit à des confrontations armées entre les deux parties. Malgré lannonce faite par le Ministre de lIntérieur Habib al-Adli dune réussite dans lanéantissement du groupe responsable des attentats dans le Sinaï 37   Taba et Sharm el Sheikh , un paquet dexplosif placé au bord dune route, blessa deux Canadiens dans leurs missions de maintien de la paix, dans le Nord du Sinaï, en août 2005 38 . Ce nouvel événement a conduit à un nouveau déploiement des forces de police usant de la force sans limite, dans le Sud de la ville dAl-Arish. Dans le cadre des investigations menées par la police, le 25 juillet 2005, à 60 kilomètres de la montagne dAl Halal, deux mines posées par des terroristes explosèrent au passage dun véhicule blindé de la police. Un général et un colonel furent tués et 13 policiers blessés 39 .    On est ici dans un contexte post 11 septembre, avec si ce nest limplication directe du réseau Al Qaeda, au moins une "labélisation" de ses méthodes terroristes avec lorganisation simultanée dattentats suicides visant à tuer le maximum de personnes tout en focalisant                                                  33  Trois attentats simultanés : une voiture piégée explosa à 1 heure 15 dans le vieux Sharm el Sheikh, , suivi dune voiture bélier  venant de la route de laéroport avec une grande charge dexplosif  qui explosa également dans lentrée de lhôtel Ghazala, à Naema Bay puis dun sac piégé qui lui explosa dans un parking. 34 Cécile HENNION, « A Charm el-Cheikh, les terroristes ont ciblé un symbole du pouvoir », in Le Monde , du 26 juillet 2005. 35  Dans la déclaration faite par le groupe Al Tawhid wa al Jihad , il est signalé que « ces attentats sont la poursuite de la guerre pour chasser les Juifs et les Chrétiens de la terre dislam. La guerre débuta par lattaque de laxe du démon sioniste et limmoralité dans le Sinaï, lieu dans lequel Moise parla à Dieu. ». Cette revendication parut sur Internet le 26 juillet 2005. Elle ne fut pas prise au sérieux car ce groupe était inconnu des services de sécurité. 36  www.alwafd.org  et Voir Ahmed Ibrahim MAHMOUD, « Les explosions du Sinaï et les transformations du phénomène terroriste en Egypte » (en arabe), in Karassat Astratijiya , Center for Political and Strategic Studies, n°167, septembre 2006. 37 Le ministère de l'Intérieur a annoncé, le 1er août 2005, avoir tué Mohammed Saleh Felifel, un Bédouin de la tribu de Sarkawa, âgé de 24 ans recherché depuis plusieurs mois pour sa responsabilité supposée dans l'attentat commis le 7 octobre 2004 à Ras el Shatan. Cécile HENNION, « LEgypte annonce avoir tué le suspect numéro un des attentats de Charm el-Cheikh », in Le Monde du 03 août 2005. 38  « Des militaires canadiens légèrement blessés par un dispositif explosif disposé en bordure dune route près dAl Gorah (Egypte) », Communiqué, Défense Nationale, le 15 août 2005, in www.forces.gc.ca 39 ABDEL-AZIM Chérine, « Lépine du Sinaï », in Al Ahram Hebdo , le 30 août 2005.
 
11
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents