Choix du taux d'actualisation social et environnement - article ; n°3 ; vol.8, pg 111-147

Jacques Benhaim

Description

Revue française d'économie - Année 1993 - Volume 8 - Numéro 3 - Pages 111-147
Certains économistes de l'environnement ont formulé des critiques sur l'utilisation d'un taux d'actualisation social positif dans les choix de projet pour lesquels l'environnement apparaît comme une composante importante. Les fondements de l'opération d'actualisation indiquent qu'un taux d'actualisation nul ou négatif peut se concevoir dans certaines circonstances. Nous montrons notamment que l'existence de plusieurs taux d'actualisation est possible, selon la nature des projets envisagés, voire pour un même projet, ce qui répond à certaines objections adressées à la proposition d'un taux d'actualisation faible ou nul. Par ailleurs, étant donné qu'il est difficile de déterminer un équivalent monétaire pour les biens d'environnement, la procédure d'actualisation appliquée à ce type de biens nous paraît peu pertinente. Néanmoins, du fait que le choix du taux d'actualisation social soit davantage soumis à des critères politiques ou subjectifs qu'économiques, une pluralité de taux impliquerait de nombreuses difficultés d'ordre pratique. C'est pourquoi il conviendrait mieux de recourir à des moyens alternatifs ayant les mêmes effets qu'une baisse du taux lorsque des fonctions environnementales sont en cause.
Some environmental economists have criticized the use of a positive social discount rate for projects choice concerning the environment. The foundations of the discounting procedures allow this rate to be none or negative depending on the circumstances in which the decision is taken. We show that it's possible to assume the existence of several discount rates depending on the nature of the project, indeed for the same project, what can answer to some objections against the proposal of a lower or a negative discount rate. From another part, as it's difficult to determine a monetary equivalent for the environmental goods, the discounting procedure applied to this kind of goods does not seem really pertinent. Nevertheless, because the choice of the social discount rate is more subject to subjective and political criteria than to economic one, a plurality of rates implies many difficulties of practical order. That's why it would be better to search alternative ways which have the same impacts than a decrease of the discount rate when environmental functions are concerned.
37 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: REVUE_FRANCAISE_D-ECONOMIE
• Publié le: 01 janvier 1993
• Nombre de lectures: 15
• Langue: Français
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Extrait

Jacques Benhaim
Choix du taux d'actualisation social et environnement
In: Revue française d'économie. Volume 8 N°3, 1993. pp. 111-147.
Citer ce document / Cite this document :
Benhaim Jacques. Choix du taux d'actualisation social et environnement. In: Revue française d'économie. Volume 8 N°3, 1993.
pp. 111-147.
doi : 10.3406/rfeco.1993.936
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfeco_0769-0479_1993_num_8_3_936Résumé
Certains économistes de l'environnement ont formulé des critiques sur l'utilisation d'un taux
d'actualisation social positif dans les choix de projet pour lesquels l'environnement apparaît comme une
composante importante. Les fondements de l'opération d'actualisation indiquent qu'un taux nul ou négatif peut se concevoir dans certaines circonstances. Nous montrons
notamment que l'existence de plusieurs taux d'actualisation est possible, selon la nature des projets
envisagés, voire pour un même projet, ce qui répond à certaines objections adressées à la proposition
d'un taux d'actualisation faible ou nul. Par ailleurs, étant donné qu'il est difficile de déterminer un
équivalent monétaire pour les biens d'environnement, la procédure d'actualisation appliquée à ce type
de biens nous paraît peu pertinente. Néanmoins, du fait que le choix du taux d'actualisation social soit
davantage soumis à des critères politiques ou subjectifs qu'économiques, une pluralité de taux
impliquerait de nombreuses difficultés d'ordre pratique. C'est pourquoi il conviendrait mieux de recourir
à des moyens alternatifs ayant les mêmes effets qu'une baisse du taux lorsque des fonctions
environnementales sont en cause.
Abstract
Some environmental economists have criticized the use of a positive social discount rate for projects
choice concerning the environment. The foundations of the discounting procedures allow this rate to be
none or negative depending on the circumstances in which the decision is taken. We show that it's
possible to assume the existence of several discount rates depending on the nature of the project,
indeed for the same project, what can answer to some objections against the proposal of a lower or a
negative discount rate. From another part, as it's difficult to determine a monetary equivalent for the
environmental goods, the discounting procedure applied to this kind of goods does not seem really
pertinent. Nevertheless, because the choice of the social discount rate is more subject to subjective and
political criteria than to economic one, a plurality of rates implies many difficulties of practical order.
That's why it would be better to search alternative ways which have the same impacts than a decrease
of the discount rate when environmental functions are concerned.Jacques
шшшшшшшшЕШШЕшт BENHAIM
Choix du taux
d'actualisation social
et environnement
orsque les conséquences d'une
décision restent limitées à une période déterminée, il est
possible d'ignorer l'horizon temporel. Le décideur est en
mesure d'évaluer correctement ses objectifs et ses
contraintes. Dans ce cas, le recours au calcul économique
élémentaire suffît à l'établissement d'un choix.
En revanche, à partir du moment où il existe un
enchaînement temporel des décisions, c'est-à-dire où le 112 Jacques Benhaim
présent est conditionné par le passé et qu'il détermine le
futur, le décideur se trouve confronté à un problème de
choix intertemporel. Celui-ci doit alors disposer d'un
outil permettant d'effectuer des comparaisons inter
périodes. Plus exactement, comme l'écrivait Fisher, «le
problème fondamental d'estimation du temps que la
nature vous pose consiste toujours à ramener l'avenir au
présent» (Fisher [1933]).
Dans les nombreux champs couverts par la
science économique, et plus particulièrement dans celui
qui nous intéresse — l'environnement — , le décideur
rencontre ce problème fondamental. Pour tenter d'y
remédier, il est d'usage de faire appel à une procédure
d'actualisation, qui permet d'orienter la décision que ce
soit au niveau de l'entreprise et du consommateur ou au
niveau de la puissance publique. La phase la plus délicate
dans cette procédure consiste dans la détermination du
taux d'actualisation, élément primordial de la prise de
décision.
Cette phase est d'autant plus délicate lorsque les
décisions impliquent des conséquences sur notre environ
nement naturel. Une grande partie des décisions liées aux
activités humaines impliquent des externalités environ
nementales qui peuvent se manifester sur une durée qui
échappe à la période usuellement considérée par l'analyse
économique, il est alors nécessaire pour la prise de
décision de disposer de méthodes de valorisation des
externalités, ce qui implique l'usage d'un taux d'actua
lisation dont la caractéristique essentielle est de privilé
gier le présent au détriment du futur.
Avant de nous préoccuper de cette question, il
nous faut au préalable nous interroger sur les raisons de
l'existence d'un taux d'actualisation. Or, la question des Jacques Benhaim 113
fondements du taux d'actualisation ne peut être dissociée
de celle des fondements du taux d'intérêt, puisqu 'ainsi
que le note P. Massé dans Le choix des investissements :
« D 'une manière générale, les prix ont un double rôle dans
la vie économique. En tant que termes de marchés
conclus entre des entités différentes, ils influencent la
répartition des revenus. En tant qu'éléments de calcul,
utilisés par une entité unique pour la comparaison de
différentes variantes d'un choix, ils servent à former des
décisions. Paramètre de prix essentiel mais paramètre de
prix comme les autres, le taux d'actualisation n'échappe
pas à cette dualité (...) un emprunteur et un prêteur
conviennent d'un taux d'intérêt, un "formateur de
décisions" adopte un taux d'actualisation» (Massé
[1959]).
Une majorité d'économistes souscrit à l'idée d'un
taux d'actualisation dont le signe ne peut être que positif.
Il n'est donc pas inutile de recourir à l'histoire de la
pensée économique pour rechercher les raisons de cette
positivitě, ce qui montrera que nos prédécesseurs avaient
déjà perçu un certain nombre de problèmes indépendam
ment des préoccupations environnementales.
Nous rappellerons donc quels sont les fondements
des taux d'actualisation privés en montrant que l'exis
tence d'un taux positif n'est pas une chose
qui va de soi comme on pourrait le penser au premier
abord.
Dans les années soixante, une importante littéra
ture a été consacrée à la détermination du taux d'actual
isation social. L'objet de cette littérature n'était pas de
définir un niveau de ce taux compatible avec le respect
des équilibres naturels bien que certains textes fassent
référence à l'investissement public dans le domaine de 114 Jacques Benhaim
l'eau. La principale question à laquelle les auteurs —
ayant participé à cette controverse — essayaient
d'apporter une réponse était de savoir si on devait utiliser
un taux d'actualisation plus faible dans le secteur public
que dans le secteur privé ou non. Cette interrogation est
significative de la conception d'un taux d'actualisation
unique pour chaque économie nationale qui prévalait à
l'époque.
Lorsque les ressources environnementales consti
tuent l'objet de l'actualisation, certains économistes
(Daly [1992], Passet [1979], Norgaard et Howarth [1991]
pour n'en citer que quelques-uns), proposent d'utiliser un
taux d'actualisation nul, autrement dit de ne pas avanta
ger une période par rapport à une autre, voire un taux négatif. Si l'on demeure enfermé dans le
postulat d'un taux d'actualisation unique, il apparaît
immédiatement que de tels arguments comportent les
germes des critiques qui peuvent leur être adressées. Il
nous a donc paru intéressant de montrer que certaines
analyses, même si elles ne se démarquent pas de ce
postulat, aboutissent sur le plan formel à une différencia
tion du taux d'actualisation social.
Une fois