Coup d œil sur le développement de la linguistique - article ; n°2 ; vol.106, pg 369-380
13 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Coup d'œil sur le développement de la linguistique - article ; n°2 ; vol.106, pg 369-380

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
13 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres - Année 1962 - Volume 106 - Numéro 2 - Pages 369-380
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1962
Nombre de lectures 118
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Émile Benveniste
Coup d'œil sur le développement de la linguistique
In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 106e année, N. 2, 1962. pp. 369-
380.
Citer ce document / Cite this document :
Benveniste Émile. Coup d'œil sur le développement de la linguistique. In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres, 106e année, N. 2, 1962. pp. 369-380.
doi : 10.3406/crai.1962.11477
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1962_num_106_2_11477COUP D'ŒIL SUR LE DÉVELOPPEMENT
DE LA LINGUISTIQUE
PAR
M. EMILE BENVENISTE
MEMBRE DE L'ACADÉMIE
1<
II est survenu au cours de ces dernières années dans les études
portant sur le langage et les langues des changements considérables
et dont la portée dépasse même l'horizon pourtant très vaste de la
linguistique. Ces changements ne se comprennent pas d'emblée ;
ils se dérobent dans leur manifestation même ; à la longue ils ont
rendu beaucoup plus malaisé l'accès des travaux originaux, qui se
hérissent d'une terminologie de plus en plus technique. C'est un fait :
on éprouve grande difficulté à lire les études des linguistes, mais plus
encore à comprendre leurs préoccupations. A quoi tendent-ils, et
que font-ils de ce qui est le bien de tous les hommes et ne cesse
d'attirer leur curiosité : le langage ? On a l'impression que, pour
les linguistes d'aujourd'hui, les faits du langage sont transmués en
abstractions, deviennent les matériaux inhumains de constructions
algébriques ou servent d'arguments à d'arides discussions de
méthode ; que la linguistique s'éloigne des réalités du langage et
s'isole des autres sciences humaines. Or c'est tout l'opposé. On
constate en même temps que ces méthodes nouvelles de la linguis
tique prennent valeur d'exemple et même de modèle pour d'autres
disciplines, que les problèmes du langage intéressent maintenant
des spécialités très diverses et toujours plus nombreuses, et qu'un
courant de recherches entraîne les sciences de l'homme à travailler
dans le même esprit qui anime les linguistes.
1962 '25 370 COMPTES RENDUS DE i/ ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS
II peut donc être utile d'exposer aussi simplement qu'on peut le
faire dans ce sujet difficile comment et pourquoi la linguistique
s'est ainsi transformée, à partir de ses débuts.
Commençons par observer que la linguistique a»un double objet,
elle est science du langage et science des langues. Cette distinction,
qu'on ne fait pas toujours, est nécessaire : le langage, faculté
humaine, caractéristique universelle et immuable de l'homme, est
autre chose que les langues, toujours particulières et variables, en
lesquelles il se réalise. C'est des langues que s'occupe le linguiste,
et la linguistique est d'abord la théorie des langues. Mais dans la
perspective où nous nous plaçons ici, nous verrons que ces voies
différentes s'entrelacent souvent et finalement se confondent, car
les problèmes infiniment divers des langues ont ceci de commun
qu'à un certain degré de généralité ils mettent toujours en question
le langage.
Chacun sait que la linguistique occidentale prend naissance dans
la philosophie grecque. Tout proclame cette filiation. Notre termi
nologie linguistique est faite pour une large part de termes grecs
adoptés directement ou dans leur traduction latine. Mais l'intérêt
que les penseurs grecs ont pris très tôt au langage était exclusiv
ement philosophique. Ils raisonnaient sur sa condition originelle —
le langage est-il naturel ou conventionnel ? — bien plutôt qu'ils n'en
étudiaient le fonctionnement. Les catégories qu'ils ont instaurées
(nom, verbe, genre grammatical, etc.) reposent toujours sur des bases
logiques ou philosophiques.
Pendant des siècles, depuis les Présocratiques jusqu'aux Stoïciens
et aux Alexandrins, puis dans la renaissance aristotélicienne qui
prolonge la pensée grecque jusqu'à la fin du Moyen Age latin, la
langue est restée objet de spéculation, non d'observation. Personne
ne s'est alors soucié d'étudier et de décrire une langue pour elle-
même, ni de vérifier si les catégories fondées en grammaire grecque
ou latine avaient validité générale. Cette attitude n'a guère changé
jusqu'au xvme siècle.
Une phase nouvelle s'ouvre au début du xixe siècle avec la décou~
verte du sanskrit. On découvre du même coup qu'il existe une rela
tion de parenté entre les langues dites depuis indo-européennes.
La linguistique s'élabore dans les cadres de la grammaire comparée,
avec des méthodes qui deviennent de plus en plus rigoureuses à
mesure que des trouvailles ou des déchiffrements favorisent cette
science nouvelle de confirmations dans son principe et d'accroiss
ements dans son domaine. L'œuvre accomplie au cours d'un siècle
est ample et belle. La méthode éprouvée sur le domaine indo-euro
péen est devenue exemplaire. Rénovée aujourd'hui, elle connaît de
nouveaux succès. Mais il faut voir que jusqu'aux premières décennies coup d'œil sur le développement de la linguistique 371
de notre siècle, la linguistique consistait essentiellement en une
génétique des langues. Elle se fixait pour tâche d'étudier l'évolution
des formes linguistiques. Elle se posait comme science historique,
son objet étant partout et toujours une phase de l'histoire des
langues.
Cependant, au milieu de ces succès, quelques têtes s'inquiétaient :
quelle est la nature du fait linguistique ? quelle est la réalité de la
langue ? est-il vrai qu'elle ne consiste que dans le changement ?
mais comment tout en changeant reste-t-elle la même ? comment
alors fonctionne-t-elle et quelle est la relation des sons au sens ?
La linguistique historique ne donnait aucune réponse à ces quest
ions, n'ayant jamais eu à les poser. En même temps se préparaient
des difficultés d'un ordre tout différent, mais également redoutables.
Les linguistes commençaient à s'intéresser aux langues non écrites
et sans histoire, notamment aux langues indiennes d'Amérique,
et ils découvraient que les1 cadres traditionnels employés pour les
langues indo-européennes ne s'y appliquaient pas. On avait affaire
à des catégories absolument différentes qui, échappant à une descrip
tion historique, obligeaient à élaborer un nouvel appareil de défini
tions et une nouvelle méthode d'analyse.
Peu à peu, à travers maints débats théoriques et sous l'inspiration
du Cours de Linguistique générale de Ferdinand de Saussure (1916),
se précise une notion nouvelle de la langue. Les linguistes prennent
conscience de la tâche qui leur incombe : étudier et décrire par une
technique adéquate la réalité linguistique actuelle, ne mêler aucun
présupposé théorique ou historique à la description, qui devra être
synchronique, et analyser la langue dans ses éléments formels
propres.
La linguistique entre alors dans sa troisième phase, celle d'aujourd
'hui. Elle prend pour objet non la philosophie du langage ni l'évo
lution des formes linguistiques, mais d'abord la réalité intrinsèque
de la langue, et elle vise à se constituer comme science, formelle,
rigoureuse, systématique.
Dès lors sont remis en question tout à la fois la considération
historique et les cadres instaurés pour les langues indo-européennes.
Devenant descriptive, la linguistique accorde un intérêt égal à tous
les types de langues, écrites ou non écrites, et elle doit y adapter ses
méthodes. Il s'agit en effet de savoir en quoi consiste une langue
et comment elle fonctionne.
Quand les linguistes ont commencé, à l'instar de F. de Saussure,
à envisager la langue en elle-même et pour elle-même, ils ont reconnu
ce principe qui allait devenir le principe fondamental de la linguis
tique moderne, que la langue forme un système. Ceci vaut pour
toute langue, quelle que soit la culture où elle est en usage, à quelque 372 COMPTES RENDUS DE i/ ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS
état historique que nous la prenions. De la base au sommet, depuis
les sons jus

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents