Alteraction - article ; n°33 ; vol.7, pg 27-46
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Description

Réseaux - Année 1989 - Volume 7 - Numéro 33 - Pages 27-46
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 11
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Philippe Quéau
Alteraction
In: Réseaux, 1989, volume 7 n°33. pp. 27-46.
Citer ce document / Cite this document :
Quéau Philippe. Alteraction. In: Réseaux, 1989, volume 7 n°33. pp. 27-46.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reso_0751-7971_1989_num_7_33_1300ALTERACTION
Philippe QUÉAU Interagir altère, c'est-à-dire rend autre.
Les technologies et les langages se modifient en permanence.
Les sociétés aussi, comme les individus, ne cessent ďinteragir,
avec leur passé, avec leur futur. Les genèses (la phylo-l'onto-,
l'épi-) ne sont-elles pas autant de leçons interactives sur
l'interaction ? On sait depuis Bergson que le danger des
métaphores biologiques est d'évacuer trop rapidement, par la
magie d'une image, la question du mouvement dans l'ordre du
non-vivant.
Le mouvement c'est la vie, et réciproquement, disent les
philosophes, depuis Aristote et sa "Physique". L'interaction, qui
est un mouvement, donne l'apparence de la vie à la machine. Le
geste interactif transmet le mouvement vivant à la machine
morte, puis celle-ci "réagit", dit-on.
Il est bon, croyons-nous, d'approfondir la nature de cette boucle
"réactive". En effet, l'évolution actuelle des technologies
permet de prévoir une évolution radicale, fondamentale, du
concept même d'interaction. Les machines ne doivent plus
aujourd'hui être considérées comme tout-à-fait mortes, ne
devant leur "animation" qu'à leurs manipulateurs. Elles
conquièrent peu à peu un étrange territoire intermédiaire, un
"no man's land", entre vie et non-vie, entre automatisme et
autonomie. Ceci est principalement dû à l'usage de modèles
logico-mathématiques susceptibles de comportements de plus
en plus complexes, comme on va le voir.
Par exemple, la notion même d'espace, si évidente, si naturelle
qu'elle ait été jusqu'à présent à nos yeux, s'enrichit de
subtilités et de nuances inédites. Elle se dote d'une profondeur
nouvelle.
29 d'évoquer plus spécifiquement les catégories Avant
fonctionnelles et les "manières" d'interagir, nous voudrions
d'abord analyser l'évolution du cadre même de toute interaction.
En introduisant les "modèles" dans les machines, on promeut du
même coup une autre notion d'espace, celle ď "espace des
phases". Cet espace, abstrait, n'a rien à voir avec l'espace
euclidien dans lequel nous marchons, vivons, etc.. Il s'agit en
fait d'un être mathématique qui est en quelque sorte l'ensemble
de tous les états possibles (les "phases") du modèle. Il s'agit
d'une abstraction permettant d'associer à tout ensemble des
valeurs régissant le comportement du modèle, un "état" de
celui-ci, également appelé sa "phase".
L'espace des phases est, dans la plupart des cas, relativement
simple. Mais, cette belle simplicité est loin d'être toujours
acquise. L'espace des phases d'un automate cellulaire, par
exemple, peut être d'une complexité écrasante, à jamais hors de
portée de calcul. Ainsi, les automates de classe 4 (dans la
classification proposée par S. Wolfram) dont l'algorithme peut
être parfois décrit en une seule ligne, sont totalement
irréductibles à toute simulation exhaustive. Autrement dit, leur
"espace des phases" est d'une complexité sans commune mesure
avec ce que nous appelons d'ordinaire "l'espace".
Mais ne jouons-nous pas sur les mots ? Pourquoi mettre ainsi
en regard l'espace, celui de Galilée et de Newton, et "l'espace
des phases" des modèles logico-mathématiques ? La raison en
est simple : celui-là n'est qu'un sous-ensemble de celui-ci.
L'espace euclidien n'est plus aujourd'hui que l'un des espaces
possibles parmi beaucoup d'autres. Dans le cadre particulier de
l'évolution de la notion "d'interaction", il est nécessaire de bien
mesurer toutes les conséquences de cette généralisation du
concept "d'espace". L'espace des phases n'est pas un espace
"physique", c'est avant tout un espace symbolique, représentant
l'ensemble des données et des paramètres définissant l'état du
modèle.
30 Kant, l'espace est une forme a priori de notre entendement. Pour
C'est une forme transcendantale qui s'impose "naturellement" à
notre esprit. A partir du 19ème siècle, les geometries
non-euclidiennes de Lobatchevsky ou de Riemann commencèrent
à proposer des structures alternatives, des modèles différents
de l'espace. Simples jeux formels au départ, pures gratuités
mathématiques, ces modèles furent repris par les physiciens, à
commencer par Einstein, qui leur trouvèrent des applications
plus concrètes. Il n'y avait plus dès lors "l'espace", mais "des
espaces", dont les structures différaient considérablement.
Aujourd'hui, quand l'infographie permet de donner une image
sensible de modèles mathématiques hier encore réservés à une
communauté restreinte de spécialistes, il est intéressant
d'analyser l'évolution du concept d'espace dans la culture
contemporaine. Les techniques de simulation en temps réel,
d'interaction conversationnelle, de dialogue homme-machine,
permettent une évolution radicale des rapports possibles avec
l'espace, tant l'espace "réel" qui nous entoure, que les espaces
de "représentation"symbolique dont nous ne cessons jamais de
faire usage.
Les images de synthèse ont permis de rendre palpable et
concrète une notion relativement ancienne, celle de "modèle".
Ce mot qui vient d'un terme utilisé en architecture (modulus)
modernise en fait la notion aristotélicienne de "forme". Les
mathématiciens et les physiciens font un usage constant de
modèles, et sont habitués à cette gymnastique de l'esprit qui
consiste à construire des représentations du monde tout en
gardant une nécessaire distance critique vis-à-vis d'elles.-
Allant et venant sans cesse entre le monde "rêvé", celui du
modèle, et le monde "réel", celui de l'évaluation validante ou
réfutante, les faiseurs de modèles sont des sortes de
démiurges créant de véritables mondes symboliques, pouvant
être dotés d'une "vie propre".
31 métaphore de la "vie propre" des modèles mérite d'être La
analysée avec soin, et c'est ce que nous avons tenté de faire
dans un précédent ouvrage (1).
On retiendra principalement que les modèles ainsi créés
conservent toujours une opacité foncière aux yeux mêmes de
leurs créateurs. Un modèle une fois constitué n'est jamais
réductible à l'ensemble de ses éléments constitutifs. Il possède
des propriétés cachées, il peut se comporter de manière
éventuellement imprévisible. Il ne s'agit pas là, entendons-nous
bien, de conséquences qui seraient dues par exemple aux
artefacts, aux "bogues", ou à des erreurs de conception souvent
inévitables dans le cas de modèles très complexes. Il s'agit
d'une opacité irréductible, intrinsèque, inhérente au processus
même de la modélisation.
Pour paraphraser l'idée bachelardienne d'obstacle
épistémologique, on pourrait appeler cela "l'obstacle
paradigmatique", ou encore le coeur obscur du modèle. En effet,
un modèle, même très simple, réserve toujours une part
radicale d'inconnu. Il recèle un potentiel d'états dont il est
absolument impossible de prévoir toutes les conséquences.
Autrement dit, le créateur du modèle, même s'il pense pouvoir
le contrôler et le "valider" à l'intérieur d'un domaine défini des
valeurs des paramètres de "commande", est dans l'incapacité
matérielle de prévoir toutes les valeurs possibles des
paramètres "d'état". Ce qu'il est convenu d'appeler "l'espace des
phases" du modèle reste hors d'atteinte de toute prédiction
exhaustive. Les exemples donnés pour illustrer cette opacité

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