Écrire sa guerre. Analyse d un carnet de guerre - article ; n°3 ; vol.7, pg 249-280
33 pages
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Écrire sa guerre. Analyse d'un carnet de guerre - article ; n°3 ; vol.7, pg 249-280

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Description

Histoire & Mesure - Année 1992 - Volume 7 - Numéro 3 - Pages 249-280
Writing the war. A war diary analysis During the war of 1914-1918, writing had a nearly existential function in the life of every one, thus allowed to keep an identity and integrate the war into his own personnel world. We tried to pick up the trails of writing conditions and the way they changed in the war diary of an ordinary soldier, the gunner Jules Talmon, by using the material-data given by the text and by reconstituting the way it had been written. Until the autumn of 1915, the writing and identification tools which Jules Talmon had in his hands seem to allow him to integrate himself easily in the war process, but, after that period, the lengthening of the fights made the tools inadequate and induces him to reconstruct new ones in his diary.
Au cours de la guerre de 1914-1918, 1’écrit a joué un rôle quasiment existentiel dans la vie de chacun : il permettait de garder une identité et d’intégrer la guerre dans son univers personnel. Nous avons cherché les traces des conditions de l’écrit et de leurs transformations dans le journal de guerre d’un soldat « ordinaire », le canonnier Jules Talmon, en utilisant les données matérielles fournies par le texte et par la reconstitution de la façon dont il a été écrit. Jusqu’à l’automne 1915, les outils d’écriture et d’identification dont Jules Talmon dispose paraissent lui permettre de s’insérer aisément dans le processus de guerre, mais, après cette période, l’allongement de la durée des combats les rend désadaptés et le conduit à en reconstruire d’autres dans son Journal.
32 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 46
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Philippe Dautrey
Écrire sa guerre. Analyse d'un carnet de guerre
In: Histoire & Mesure, 1992 volume 7 - n°3-4. pp. 249-280.
Abstract
Philippe Dautrey. Writing the war. A war diary analysis.
During the war of 1914-1918, writing had an nearly existential function in the life of every one, thus allowed to keep an identity
and integrate the war into his own personnal world. We tried to pick up the trails of writing conditions and the way they changed in
the wardiary of an "ordinary" soldier, the gunner JulesTalmon, by using the material- data griven by the text and by reconstituting
the way it had been written.
Untill the autumn of 1915, the writing and identification tools wich Jules Talmon had in his hands seem to allow him to integrate
himself easily in the warprocess, but, after that period, the lengthening of the fights made the tools inadequate and induces him to
reconstruct new ones inhis diary.
Résumé
Philippe Dautrey. Ecrire sa guerre. Analyse d'un carnet de guerre.
Au cours de la guerre de 1914-1918, l'écrit a joué un rôle quasiment existentiel dans la vie de chacun : il permettait de garder
une identité et d'intégrer la guerre dans son univers personnel. Nous avons cherché les traces des conditions de l'écrit et de leurs
transformations dans le journal de guerre d'un soldat « ordinaire », le canonnier Jules Talmon, en utilisant les données
matérielles fournies par le texte et par la reconstitution de la façon dont il a été écrit. Jusqu'à l'automne 1915, les outils d'écriture
et d'identification dont Jules Talmon dispose paraissent lui permettre de s'insérer aisément dans le processus de guerre, mais,
après cette période, l'allongement de la durée des combats les rend désadaptés et le conduit à en reconstruire d'autres dans son
journal.
Citer ce document / Cite this document :
Dautrey Philippe. Écrire sa guerre. Analyse d'un carnet de guerre. In: Histoire & Mesure, 1992 volume 7 - n°3-4. pp. 249-280.
doi : 10.3406/hism.1992.1406
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hism_0982-1783_1992_num_7_3_1406Histoire & Mesure, 1992, VII-3/4, 249-280
Philippe DAUTREY
Ecrire sa guerre. Analyse d'un carnet de guerre
La guerre de 1914-1918 a été autant écrite que vécue (1). Aucun
autre conflit ne s'est accompagné aussi constamment de sa traduction
immédiate dans l'écriture et sous des formes aussi variées. Profitant d'un
long effort collectif de formation scolaire et intellectuelle (2), la plupart
de ceux qui étaient touchés de près ou de loin par la guerre, militaires ou
non, ont pu s'approprier ce qu'ils accomplissaient ou subissaient avec
leurs propres mots, concurremment aux voies plus traditionnelles de la
parole, de l'image ou de la sensation.
Cette situation exceptionnelle modifie le rôle de ces écrits. Ceux-ci
ont moins pour fonction de véhiculer un contenu que de donner une
identité à leurs auteurs et de leur permettre d'accorder la réalité guerrière
avec leur propre univers. Pour l'historien, ils constituent non seulement
des séries qui décrivent un milieu, mais aussi des systèmes dont le
fonctionnement a conditionné le fonctionnement d'ensemble de la
période.
L'étude qui suit envisage un carnet de guerre, celui de Jules
Talmon (3), sous ce dernier point de vue. Comparable à nombre
d'autres (4), ce carnet vaut moins par le lieu et la période qu'il concerne :
le front de l'Artois, en un point charnière, son centre, au moment des
trois grandes offensives qui y sont faites en 1915 pour tenter la
percée (5), que par la qualité sociale de son auteur, petit paysan mobilisé
comme canonnier, soucieux de se fondre dans une masse de soldats
semblables à lui, en tous cas tel qu'il paraît possible de faire abstraction
de sa personnalité pour voir en lui un cas-type de ceux qui ont composé
l'essentiel de l'armée en 1914 (6).
Nous avons voulu identifier les relations qui liaient ce soldat
ordinaire à son journal de guerre en décrivant celui-ci comme un objet
autonome et sans le mettre en relation avec d'autres journaux du même
genre. Nous avons utilisé les marques fournies par la forme du journal,
par le vocabulaire et la syntaxe en les quantifiant autant que possible (7).
Nous nous sommes référés au contenu sémantique des mots comme à un
objet simple dont la forme reflète exactement le contenu sans qu'un jeu
de langage tende à y ajouter du sens. Nous avons confronté ces éléments
à leur propre évolution car la guerre et l'écrit ont duré contrairement à
ce qui était prévu.
Après avoir tenté de décrire quel pouvait être le domaine du journal
à partir de l'évolution des thèmes de son vocabulaire et avoir ainsi
249 Histoire & Mesure
reconstitué sa fonction, nous avons essayé de retrouver par quels
moyens son contenu avait été exprimé et organisé, enfin nous avons
voulu savoir comment les principaux centres d'intérêt du journal se
structuraient et évoluaient. Nous avons donc cherché à établir la nature
d'un témoignage en reconstituant Г espace et la durée à l'intérieur
desquels l'auteur se sentait autorisé à s'identifier à lui et en recherchant
quels outils mentaux avaient servi et comment ils avaient fonctionné.
LE DOCUMENT
Jules Talmon
Celui qui a rédigé le journal, Jules Talmon, est né dans l'Indre à
Aizé, le 6 mars 1 886. Il est le troisième et dernier enfant d'une famille de
petits 1er octobre paysans. 1909 Au — moment , il a conscience de son service d'appartenir militaire à — un 9 milieu octobre pauvre 1907 au et
dynamique dont les conditions de vie s'améliorent (8). Alors qu'il
effectue des manœuvres en septembre 1908, il rédige pour sa mère qui
paraît douter du bien-fondé des pratiques militaires, une suite de
rédactions intitulée : « Histoire. Journal d'un soldat. », et lui explique :
«Voyez- vous, nous avons la vie trop douce en France. Si nous n'y
prenons pas garde, nous nous amolirons tout à fait. Vous rappelez-vous
ce que vous me disiez de votre père et de votre grand'père ? Ils menaient
une vie rude dans la petite maison que nous habitons aujourd'hui. La
petite maison est bien transformée à présent, elle a un toit d'ardoise au
lieu d'un toit de chaume. Jadis, on y marchait sur la terre nue, elle est
carrelée aujourd'hui. Jadis, on y dormait sur la paille, nous avons
aujourd'hui de bons lits. Jadis, il fallait porter au marché sur une hotte
pendue au dos ou dans un panier campé sur la hanche, les produits de
la ferme ; aujourd'hui, nous avons à l'écurie un âne solide et sous le
hangar une bonne charrette. Pourtant, nous sommes de pauvres
paysans, nous. »
A côté de l'influence d'une mère qui sait écrire et du milieu militaire
dont il paraît adopter les points de vue sans arrière-pensée lors de son
service en 1908 et lors de périodes en 191 1 et en 1914, l'école communale
lui a imprimé une marque durable (9). Il en a conservé le goût de
l'écriture, des habitudes de rigueur d'observation, tout un ensemble de
savoir-faire pratiques comme tenir des comptes, lire un journal ... et,
vraisemblablement, l'attention au progrès qu'il manifeste dans les
« devoirs » qu'il rédige pendant les manœuvres. Devant la religion, par
contre, on le sent méfiant. Il semble qu'il la soupçonne de constituer un
ordre de solidarité à part, concurrent de celui qui résulte des conditions
sociales, lorsqu'il note le 26 décembre 1915 que ceux qui assistent à la
messe avec le capitaine vont « se faire bien voir ». Il s'en moque aussi,
désignant saint Joseph comme « le patron des cocus ». Les lois de
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séparation sont proches et il est vraisemblable que ce nationaliste ait été
attaché à une République radicale (10).
Sa guerre paraît avoir été traversée par peu d'événements. Mobilisé
à Poitiers en août 1914 et affecté au 20e R.A.C. (11), il ne quitte ni ce
régiment ni le front de l'Artois avant 1917. Il est affecté ensuite au
258e R.A., qui est envoyé en renfort en Italie de la fin de 1917 au début
de 1918. Il revient sur le front français de la Somme en avril et participe
à la dernière campagne qui le conduit jusqu'en Belgique en novembre
1918.
Parti canonnier, il l'est resté. P

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