Guerres de mémoire en France - article ; n°1 ; vol.42, pg 77-96
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Description

Vingtième Siècle. Revue d'histoire - Année 1994 - Volume 42 - Numéro 1 - Pages 77-96
Memory wars in France, Daniel Lindenberg.
The author proposes a transversal analysis of the periods which marked French national memory, from the Revolution to the Algerian war. He seeks to describe and explain the double movement of accumulation and selection characteristic of the link between French identity and the past.
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 47
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Daniel Lindenberg
Guerres de mémoire en France
In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°42, avril-juin 1994. pp. 77-96.
Abstract
Memory wars in France, Daniel Lindenberg.
The author proposes a transversal analysis of the periods which marked French national memory, from the Revolution to the
Algerian war. He seeks to describe and explain the double movement of accumulation and selection characteristic of the link
between French identity and the past.
Citer ce document / Cite this document :
Lindenberg Daniel. Guerres de mémoire en France. In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°42, avril-juin 1994. pp. 77-96.
doi : 10.3406/xxs.1994.3046
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1994_num_42_1_3046GUERRES DE MEMOIRE EN FRANCE
Daniel Lindenberg
»Toute mémoire collective a pour support un
groupe limité dans l'espace et dans le temps».
Maurice Halbwachs,
Les cadres sociaux de la mémoire
Issu d'une réflexion de synthèse qui sans faiblesse ses «assassins»3. Autrefois
ouvre des pistes et des hypothèses, le objet de la défiance des doctes - Maurice
texte de Daniel Lindenberg que nous Halbwachs4 faisant notable exception -,
publions ici propose un regard parti elle est aujourd'hui célébrée comme le
culier et un recul nécessaire vis-à-vis véritable idéal de toute enquête sur le
des questions de mémoire nationale. passé. Lorsque, ainsi, Pierre Vidal-Naquet
De la Révolution à la guerre d'Algérie fait le compte rendu du chef-d'œuvre de
en passant par 14-18 et Vichy, c'est à Yosef H. Yerushalmi, il apparaît comme
la fois l'analyse de chacun de ces le véritable porte-parole des aspirations
moments-mémoire et l'enchaînement nouvelles d'une époque: «Je serais tenté
d'excès et d'oublis de l'un à l'autre qui de dire que, soixante ans après Proust, il
constituent le puzzle d'une passion tant est grand temps d'intégrer la mémoire à
savante que publique. l'histoire. Cela ne signifie pas qu'il faille
renoncer à séparer le vrai du faux; cela
Une nouvelle étoile semble être en signifie simplement que l'homme ne
hausse constante au firmament des s'identifie pas à l'instant et que c'est
grandes valeurs civiques : la mémoire. comme être temporel et doué de mémoire
On sait qu'elle a ses «lieux», inventoriés qu'il doit désormais s'intégrer dans le dis
par nos meilleurs historiens, que la cours historique». Mais est-ce seulement
volonté ardente de la préserver est au à l'histoire-science que la mémoire «exige»
cœur du judaïsme l comme de la civilisa désormais d'être intégrée? N'envahit-elle
tion renaissante2 et qu'il faut combattre
1. Yosef H. Yerushalmi, Zakhor, Paris, La Découverte, 1984, 3. Pierre Vidal-Naquet, Les assassins de la mémoire, Paris,
165 p. La Découverte, 1987, 231 p.
2. Georges Huppert, L'idée de l'histoire parfaite, Paris, Flam 4. Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire,
marion, 1973, 224 p. Paris, Retz, 1976, et La mémoire collective, Paris, PUF, 1981, 232 p.
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plus généralement le discours quotidien, encore l'auteur du Philosophe et ses pauv
à l'heure où le cinéma et la télévision res: maxime qui pourrait figurer en exer
deviennent des véhicules privilégiés de la gue de bien des empoignades contempor
mémoire collective? Et cette référence à aines sur l'obligation de se souvenir ou
la va-t-elle de soi? Doit-elle être, le droit d'oublier... Et, de fait, on se doit
sans analyse, considérée comme un pro de constater que les luttes pour le monop
grès? Ou, au contraire, n'est-elle pas aussi ole de la mémoire légitime, des «bons
problématique? N'est-elle pas, notam mots», des vocables «politiquement corrects»
ment, porteuse de risques de déviation? et historiquement insoupçonnables ne
On peut estimer, en tout état de cause, datent pas d'hier. Qu'il suffise d'évoquer,
qu'il revient aux intellectuels qui veulent sans s'y attarder, les controverses classi
véritablement assumer leur fonction crit ques entre «romanistes», «germanistes» et
ique de mettre des garde-fous à l'usage «celtistes», la Franciade de Ronsard où
l'on découvre l'origine «troyenne» de la du passé, tant il est vrai que cet usage
est plastique par définition. Comme l'a dit monarchie française, ou encore le mythe
des « forêts de Germanie » qui, de Boulain- Bernard Lewis 1, le passé peut en effet être
«remémoré», «reconstruit», ou bien encore villiers à Augustin Thierry en passant par
«inventé». Et si certains pays s'accommo Montesquieu et Sieyès, a connu un destin
dent de ces ajustements2, la France, en étonnant. Il paraît clair en tout cas qu'il
revanche, semble se crisper sur les mémoir n'y a pas de grand mouvement en France
es affabulées. Pourquoi donc sommes- qui ne commence par la réappropriation
nous si dépendants de la mémoire, de ce du passé. Mais il ne s'agit pas là d'une
qu'on en dit ou des dérèglements qui y originalité française : chaque grande nation,
portent atteinte? Comment s'explique la chaque révolution de quelque ampleur
spécificité de la France dans ce domaine? s'imposent de la même manière.
Car, pour une part, l'intérêt que l'on Et, pourtant, notre relation à la mémoire
semble aujourd'hui susciter des polémipeut porter au passé, ou en tout cas au
discours sur le n'est pas propre à ques d'une particulière violence. On
la France : il tient à l'importance que revêt, pense bien sûr à Vichy et à la guerre
dans les sociétés modernes, la maîtrise des d'Algérie : ce ne sont pas les seuls événe
ments de notre 20e siècle à avoir donné mots. Hobbes, comme le fait remarquer
lieu à tant de réécritures et à tant de gomJacques Rancière3, n'avait-il pas estimé
mages. Notre premier souci doit donc qu'il fallait rechercher dans «des opinions,
être, sans doute, de décrire ces signes de des affaires de mots mal employés ou de
notre pathologie, pour tenter de s'en guérphrases indues ... les causes qui produi
ir. Mais peut-être faut-il auparavant chersent l'effondrement du corps politique
cher à en comprendre la source. C'est moderne»? «La maladie politique, c'est
alors vers la Révolution, ce moment fond'abord la maladie des mots», disait
dateur, vers laquelle il faut se tourner.
1. Bernard Lewis, History: remembered, recovered, invented,
Princeton, Princeton University Press, 1983. O MÉMOIRE ET RÉVOLUTION FRANÇAISE 2. Denis Lacorne, dans ■ Mémoire et amnésie : les fondateurs
de la République américaine. Montesquieu et le modèle poli
Concernant la manière dont nous tique romain », Revue française de science politique, 42 (3),
juin 1992, p. 363-374, explique ainsi comment les pères fon gérons notre relation à la mémoire, la dateurs de la République américaine se donnèrent, pour confort Révolution apparaît fondatrice pour trois er leur Révolution, une généalogie romaine puis
l'abandonnèrent, sans susciter de remous particuliers, dès raisons. D'abord, parce qu'elle est créa
qu'elle eut rendu les services que l'on attendait d'elle. trice d'une ambiguïté forte qui consiste à 3. Jacques Rancière, Les mots de l'histoire, Paris, Le Seuil,
1992, 213 p. vouloir nier le passé et sa valeur tout en
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se les donnant pour réfèrent suprême. De fut symboliquement écrasée, entre autres,
là naît une hésitation permanente entre par des soldats qui portaient l'oriflamme
une tentation d'oubli, de rejet de l'histoire ornée du Sacré-Cœur caractéristique de
et une volonté de se constituer soi-même la Vendée militaire. On le voit, la Révol
en moment fondateur. La France révolu ution n'a pas laissé à la France une
tionnaire est en effet à la fois le pays où, mémoire unique pour en perpétuer la
comme on vient de le voir, les mythes nostalgie: elle est aussi la cause imméd
fondateurs ont toujours joué un rôle déter iate d'une tradition contre-révolution
minant et celui où l'on a pu proclamer naire qui, tout comme elle, prétend parler
que «notre Histoire n&#

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