L'École-Travail de Freinet : métaphore d'une cité idéale - article ; n°1 ; vol.61, pg 137-148

Marie-Hélène Vourzay

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Mots - Année 1999 - Volume 61 - Numéro 1 - Pages 137-148
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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• Publié par: MOTS
• Publié le: 01 janvier 1999
• Nombre de lectures: 66
• Langue: Français

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Marie-Hélène Vourzay
L'École-Travail de Freinet : métaphore d'une cité idéale
In: Mots, décembre 1999, N°61. pp. 137-148.
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Vourzay Marie-Hélène. L'École-Travail de Freinet : métaphore d'une cité idéale. In: Mots, décembre 1999, N°61. pp. 137-148.
doi : 10.3406/mots.1999.2573
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mots_0243-6450_1999_num_61_1_2573VOURZAY0 Marie-Hélène
L'École-Travail de Freinet :
métaphore d'une cité idéale
En juin 1924, quelque quatre ans après ses débuts d'instituteur
à Bar sur Loup, Célestin Freinet (1896-1966) publie dans Clarté,
« revue de culture prolétarienne » alors dirigée par Henri Barbusse,
un article, parmi toute une série consacrée au même sujet : « Vers
l'école du prolétariat: la dernière étape de l'école capitaliste»1.
Il y dénonce « l'école bourgeoise » et son « capitalisme de
culture », et annonce l'avènement, avec celui de « l'ordre nouveau »,
de « l'école prolétarienne » qu'il met en perspective avec les
tentatives des « grands pédagogues inspirés de Rousseau » : Pesta-
lozzi et Frôbel. À ces pères de l'éducation nouvelle, il ajoute
l'initiateur de « l'école active », Adolphe Ferrière, après avoir rendu
hommage à « tous les humbles artisans de l'école du travail
allemande » 2.
La généalogie ici établie est bien celle de Yécole active. Or
l'école prolétarienne ne se confond pas avec l'école active, elle
entend s'en distinguer. Elle en emprunte bien des principes — celui
de la priorité à Vactivité de l'enfant, notamment son activité
créatrice, véritable recherche guidée par le besoin, Y intérêt, celui
° GRIC 2, université Lumière Lyon 2, 5 avenue Pierre Mendès France, 69676
Bron Cedex.
1. Les articles intitulés «Vers l'école du prolétariat» sont parus dans Clarté, 42
(1er septembre 1923), 47 (15 novembre 1923), 60 (1er juin 1924), 73 (1er avril
1925) Nous nous référons à l'article de 1924, réédité dans Pédagogie : éducation
ou mise en condition ?, Pans, Petite Collection Maspéro, 1971, p 138-143.
2. Il s'agit vraisemblablement de Kerschensteiner (1854-1932) et de son Arbeit-
schule où est mise en place une pédagogie de groupe Cette école du travail
allemande n'est pas à confondre avec les écoles de Hambourg, que Freinet visite en
1923, qui pratiquent une version radicale toute particulière de l'éducation nouvelle :
une anti-pédagogie Cf J. R. Schmid, Le maître -camarade et la pédagogie libertaire,
Pans, François Maspéro, 1971.
137 du travail en groupe — , mais « prolétarienne », l'école que Freinet
envisage idéalement dans les années 1920 (au-delà de ce qu'il a
concrètement mis en pratique dans son école de Bar sur Loup),
présupposerait un état politique où la révolution socialiste aurait
fait son œuvre.
« L'éducation que nous voudrions donner, telle qu'elle est définie
d'ailleurs par nos meilleurs pédagogues, présuppose la réalisation de
certaines conditions matérielles et sociales sans lesquelles notre effort
sera voué à l'impuissance»1.
Pourtant Freinet édifie son école, par l'action, la pratique, et
surtout par le dire, le verbe, d'une abondance remarquable chez
quelqu'un qui a toujours prétendu se méfier des mots.
Si le discours de Freinet sur l'école, pour être valide, « efficient »,
est tenu d'articuler des compromis avec un ordre politique, social,
déjà là — compromis qui soient susceptibles de transformer cet
ordre — , il est aussi inscrit dans la dimension de l'utopie en ce
qu'il revendique la rupture avec l'ordre existant, ordre institutionnel
qui figure l'ordre politique, en visant un modèle de cité pas encore
là. Et, dans cette dimension, paradoxalement, parait se diluer le
rapport au politique.
De l'École du Travail à Г École-Travail
Dans les années 1920, Freinet annonce l'avènement de l'école
prolétarienne. Son modèle de référence est vraisemblablement
soviétique dont il a visité, à Moscou et à Saratov, durant l'été
1925 2 des réalisations qui sont des moutures de l'école du travail
selon Blonskij (1884-1941) et Makarenko (1888-1939). Y sont
appliqués, dans la perspective de la collectivité socialiste, des
principes de l'organisation responsable du travail (formations de
commissions, de comités, d'assemblée générales). Y seraient aussi
appliqués les principes énoncés par Marx de « la réunion de
1 Élise Freinet, Naissance d'une pédagogie populaire (méthodes Freinet), Paris,
François Maspéro, 1969, p 82 (souligné dans le texte) Élise cite un texte de Célestin
paru dans un numéro de novembre 1928 de L'enseignement public
2 Le récit du voyage a été publié dans la revue de Maurice Wullens : Célestin
Freinet, « Un mois avec les enfants russes », Les humbles, Édition de la Revue
littéraire des primaires, 5e et 6e cahiers de la 12e séné, mai-juin 1927.
138 l'éducation et de la production matérielle », de « l'éducation poly
technique » ou « intégrale » pour la formation de l'homme « vrai »,
de l'homme « communiste » dans la société sans classe. Autrement
dit, l'école est ouverte à ses différents degrés sur la communauté
familiale, puis sur le champ, puis sur l'usine où elle finit par
disparaitre ; l'enfant, puis l'adolescent sont formés à plusieurs métiers
et leur travail est effectivement productif en ce qu'il a une valeur
économique.
Freinet a occasionnellement dénommé son école prolétarienne
Y école du travail, dans les textes des années 1920 notamment. Ce
serait Y école à même la vie, parfaite :
« Si l'école était parfaite, elle irait triomphalement à la vie et se
réaliserait au sein même de cette vie. Elle s'épanouirait à même le
travail et la vie du berger, du cultivateur, de l'artisan, de l'ouvrier, à
même les conditions changeantes de la nature, réduisant l'activité dans
les ateliers de l'école à la portion de travail qui ne pourrait être réalisé
pratiquement dans la vie»1.
Mais en attendant la fin de l'école (programmée en même temps
que la fin de la société de classes), la stratégie de Freinet consiste
à organiser, à dire comment organiser de « façon efficiente », grâce
au « matérialisme scolaire » (qui s'oppose au « verbalisme » de
l'école républicaine), l'école comme lieu d'éducation et de réédu
cation à la vie, « laboratoire vivant » propre à faciliter le processus
du « tâtonnement expérimental » — invoqué, précise Freinet, par
« Teilhard de Chardin lui-même pour expliquer la lente évolution
du monde vers cette noosphère qui serait l'aboutissement du progrès
cosmique » 2.
Cette « école de vie », Freinet l'a notamment décrite dans un
texte paru pour la première fois en 1946 (juste avant que Freinet
décide de ne pas renouveler son adhésion au PC, prise en 1926) :
U Éducation du Travail3.
Il s'agit d'un texte de genre délibérément « anti-scientifique », qui
s'apparente à une fiction : sorte de roman ou de conte pédagogique
qui met en scène le personnage, au nom ď evangeliste, de Mathieu,
paysan sage, « paysan-poète », rebouteux à ses heures, lecteur des
1. Célestin Freinet, Pour l'école du peuple, Pans, François Maspéro, 1969, p. 85.
2Essai de psychologie sensible, tome 1, Acquisition des
techniques de vie constructives, Neuchâtel/Pans, Delachaux et Niestlé, 1966, préface.
3 L'édition consultée à laquelle renvoient les pages entre parenthèses est la 4e :
Célestin Freinet, L'Éducation du Travail, Neuchâtel/Pans, Delachaux et Niestlé, 1967.
139 certes, de la Bible, des paroles de Confucius et de Éva