La bande dessinée écrite - article ; n°75 ; vol.19, pg 43-53
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Description

Langages - Année 1984 - Volume 19 - Numéro 75 - Pages 43-53
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1984
Nombre de lectures 24
Langue Français

Extrait

Jean-Claude Lieber
La bande dessinée écrite
In: Langages, 19e année, n°75, 1984. pp. 43-53.
Citer ce document / Cite this document :
Lieber Jean-Claude. La bande dessinée écrite. In: Langages, 19e année, n°75, 1984. pp. 43-53.
doi : 10.3406/lgge.1984.1178
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1984_num_19_75_1178Jean-Claude LlEBER
Université de Tours
La bande dessinée écrite
Quand Roger Nimier, dans Nord, propose à Céline de faire de son ours invenda
ble une bande illustrée, il s'agit, bien entendu, d'une boutade. Nimier enregistre le
nouvel air du temps — on est dans les années soixante — qui va au plus pressé, au
plus porno, au plus rentable. Avant dix ans, la littérature sera complètement effacée,
ou reconvertie. C'est la BD qu'on enseignera dans les écoles — « Sorbonně communal
es normales » ; l'avenir est aux seuls comics » (Nord, in Pléiade, p. 508).
Un instant, Céline feint d'être ébranlé ; il se remémore les illustrés de sa jeunesse,
« les Belles Images 0 fr. 10 ». Il envisage sérieusement la question de l'adaptation.
N'est-il pas le maître de la caricature, de l'onomatopée, du coup de poing ? Il a le
style familier et accrocheur et pour la violence ou le sexe, il pourrait en remontrer à
quiconque. Mais comment condenser ? Plier l'invention aux rigueurs d'un scénario ?
Tisser sa dentelle sur du béton ? Faire moins noir ?
— « Mais bien attention Ferdinand !... trois... quatre images par chapitre...
trois lignes pour cinquante des vôtres habituelles... vous me comprenez ?
— Oh là là î... si je comprends : style étiquette... vous verrez ça, Roger !... si je
suis de l'avenir et de la jeunesse ! »
Mais la danse a changé. À Paris, l'éditeur invisible se cache dans son coffre ou dans
ses cabinets, pour lire les comics dans les journaux dérobés aux garçons de course.
Nimier entonne la trompette avec les autres pour célébrer les succès-maison ou s'élo
igne dans ses voitures de sport toujours plus rapides. Le comité de rédaction ignare se
livre à une véritable danse du scalp avant de jouer les manuscrits aux dés :
« après les bains de pieds, la réunion des flagellants » (p. 652).
Céline et sa secrétaire, éberlués, tiraillés, remerciés, se retrouvent sur le trottoir avec
leurs 2 500 pages de manuscrit sur le bras. Quel magnifique sujet de planche ! Pour
fustiger l'éditeur, son divorce avec le public et l'insuccès relatif de son livre (D'un
Château l'autre), Céline trouve la formule juste et les accents qui conviennent. Il a le
sens du gag, de la distribution des images et de la chute. Pas besoin d'illustrateur.
Le texte parle de lui-même et saute aux yeux. On remarquera toutefois que le thème
ici traité n'est pas le contenu du roman mais son cadre. Céline prend Nimier au
piège. Il illustre en quatre traits de plume sa proposition et la rapide enquête sur les
conditions de production du livre moderne. La littérature de masse s'accommode de
l'outrance et prend la charge pour le portrait.
La réflexion sur la bande dessinée peut provoquer chez l'écrivain d'amères médit
ations. L'Art régresse :
« C'est de cent ans avant JC qu'il faudrait être !... Tout ce que nous racontons
ennuie (...). Ce que veulent le populo et l'élite : du Cirque !... des mises à mort
43 dégoulinantes ! des vrais râles, tortures, tripes plein l'arène ! (...) du
Stalingrad ». {Nord, p. 304).
La littérature ne fait plus le poids. Aux yeux des contemporains, la bande dessinée
bénéficie d'un privilège favorable : rapidité, économie, transcription directe des
actions et des paroles. Le genre exclut les réflexions oiseuses et les tropes indiscrets.
On faisait autrefois le même procès à l'écriture au nom de la peinture :
« C'est la chose même que la peinture montre ; les expressions du musicien et du
poète' n'en sont que les hiéroglyphes » (Diderot, Lettre sur les sourds-muets 1).
La littérature a toujours pâti devant l'image. Combien de lecteurs sautent paysages et
portraits. Dans Jacques, Diderot en exigeait carrément la suppression. L'écrivain a
beau accumuler détails et précisions, de cent portraits tirés d'une description, remar
que encore Diderot, il n'en est pas un qui ressemblerait à un autre, encore moins à
son modèle. Impuissance congénitale de la représentation.
On sait comment quelques poètes ont tenté de remédier à ce défaut. Rendre le
visible lisible et réciproquement — tel est le paradoxe du calligramme auquel s'est
vouée toute une génération. Selon qu'on la considère sur le plan de la référence ou de
la ressemblance, du mot ou de la chose, la lettre est tantôt signe, tantôt ligne. Le ca
lligramme joue sur les deux tableaux. Michel Foucault a dénoncé ce jeu de dupes. On
ne peut à la fois dire et montrer. Dès que je commence à lire, l'oiseau s'envole et la
pluie sèche . La motivation est une impasse, comme toutes les tentatives mimologi-
ques. L'avenir du calligramme passe peut-être par une autre voie : l'aptitude de la
lettre à figurer sans violer les lois de la typographie ni sortir de l'espace de la paginat
ion. C'est ce que j'ai proposé ailleurs de nommer le calligramme virtuel ou
conceptuel 3. Le poème renonce au dessin. La lettre se donne à voir dans sa matérial
ité, l'écriture se prend pour miroir. Pas d'autre bataille ici que celle de la phrase. La
lettre devient l'être du discours.
La figuration est l'écueil de la littérature. La page blanche de Mallarmé comme
la page noire de Sterne dans Tristram Shandy signent la mort de l'écriture. Quand le
discours s'empâte ou se raréfie à l'excès, jusqu'à menacer de disparaître, le public a
raison de fuir, comme devant une toile vide ou surchargée. Vertiges de l'innommab
le. Rien de poignant comme les balbutiements de Beckett au seuil de la parole ou
les grandes fureurs d'Artaud contre les anneaux du langage discursif :
« Toute l'écriture est de la cochonnerie ».
Mais l'extrême ténuité ou la révolte contre l'esprit arrivent encore à se dire. L'écri
vain n'a pas renoncé aux mots.
Je voudrais essayer de repérer en littérature la tentation du figuratif, le moment
où l'écriture défaillante emprunte son modèle aux arts plastiques. Roland Barthes a
montré que le réaliste ne copiait pas le réel mais sa copie. La littérature du XIXe siècle
est un répertoire d'images conventionnelles où le chef d'œuvre garantit la représentat
ion du quotidien. Le réaliste est un parodiste 4. Entre la perception du réel et l'algè
bre du langage s'interposerait le code pictural. Le chromo est le lieu-commun de
1. D'après Todorov (Tzvetan), Théories du Symbolisme, Seuil 1977 (chap. 5 : Imitation et
motivation).
2. Foucault (Michel), Ceci n'est pas une pipe, Fata Morgana, 1973.
3. Liéber (Jean-Claude), « Usages du calligramme », Le Français aujourd'hui 51 (Sept.
1980). Exemples analysés : 14 Juillet de Ponge et Les Champs catalauniques de Michel Leiris.
4. Barthes (Roland), S/Z, Seuil-Points, 1976 (p. 61 et suiv.).
44 l'esprit ou, si l'on préfère, en termes neurologiques, l'image mentale est un graphe.
Le premier — et le dernier — recours de la communication quand les mots manq
uent, c'est le mime et le graffiti.
Mon premier exemple sera emprunté à Zaïde, un roman peu lu de Mme de la
Fayette (1671) qui devient ainsi le précurseur, pour ne pas dire l'inventeur, de la
bande dessinée écrite. Tout l'intérêt vient de l'intrigue qui force les héros à corre
spondre par le canal de l'image. Mon second exemple, plus canonique, est la descrip
tion et l'insertion d'une bande dessinée dans un roman de Claude Simon, la Bataille
de Pharsale (1969). Le troisième enfin, emprunté à Robert Pinget, montre la cons
truction d'un roman entier autour d'une image mentale en forme de mandala :
V Apocryphe (1980).
Trompé dans son amitié, son ambition, son amour, Consalve s'est retiré dans une
solitude, au bord de la mer où il secourt les naufragés. Mais la fortune lui joue un
tour en lui envoyant jusque dans sa retraite un nouveau sujet d'affliction — une belle
étrangère dont la barque s'e

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