La présence du proudhonisme dans les sociologies contemporaines - article ; n°1 ; vol.10, pg 94-110
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Mil neuf cent - Année 1992 - Volume 10 - Numéro 1 - Pages 94-110
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 24
Langue Français
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Extrait

Pierre Ansart
La présence du proudhonisme dans les sociologies
contemporaines
In: Mil neuf cent, N°10, 1992. pp. 94-110.
Citer ce document / Cite this document :
Ansart Pierre. La présence du proudhonisme dans les sociologies contemporaines. In: Mil neuf cent, N°10, 1992. pp. 94-110.
doi : 10.3406/mcm.1992.1061
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_1146-1225_1992_num_10_1_1061La présence du proudhonisme
dans les sociologies contemporaines
PIERRE ANSART
II serait certainement fallacieux d'imaginer la prolongation
d'une «influence» directe de l'œuvre de Proudhon dans les
sciences sociales d'aujourd'hui. Un ensemble théorique aussi
contesté, rejeté des études académiques, n'a pu, à travers quel
que 130 ans, constituer un legs fidèlement transmis et répété.
Les sciences sociales, et particulièrement la sociologie, se
sont, au contraire, reformulées à travers des ruptures qui étaient
simultanément des rejets apparents de la problématique prou-
dhonienne. La rupture de Durkheim, qui a été si importante pour
l'histoire des sociologies dans toute la première moitié du
XXe siècle, s'est opérée contre les philosophies sociales et leurs
ambitions excessives. Les critique sévères de Durkheim à l'égard
d'Auguste Comte ou de Herbert Spencer atteignaient aussi, par
allusion, les philosophies de l'histoire et les philosophies sociales
dont Proudhon pouvait être suspecté. D'autre part, la rupture
concernant les méthodes de recherche qui s'est produite à la fin
du XIXe siècle, en appelant aux recherches circonscrites et frag
mentées, détournait des audaces intellectuelles désormais reje
tées dans le domaine des idées politiques. Enfin, la forte diffu
sion du marxisme a opéré une puissante pression pour combattre
les thèses proudhoniennes.
Aussi bien, les sociologues français contemporains n'ont
guère été amenés à compter Proudhon parmi leurs maîtres à
penser, malgré les efforts de Célestin Bougie puis de Georges
Gurvitch. Parmi les auteurs du XIXe et du début du XXe siècle,
ce sont surtout les œuvres de Marx, de Weber et de Durkheim
qui ont rempli ce rôle. Proudhon a été largement absent de la
94 formation des sociologues au même titre que Tocqueville ou Le
Play et pour des raisons diamétralement opposées.
Or, nous apercevons, dans les sociologies contemporaines,
un singulier paradoxe. Si l'œuvre de Proudhon est peu pré
sente, au niveau des références explicites, il est frappant de voir
surgir des thèmes, des questions et aussi des réponses qui ont
les caractères d'une répétition de thèmes et de questions formul
és dans les écrits de Proudhon. Mais ces reprises ne sont aucu
nement identiques dans les différentes sociologies actuelles, comme
si, implicitement, se poursuivaient des débats, des approbations
et des rejets, concernant les thèses de l'anarchiste bisontin.
Deux questions se posent donc à nous et que nous voudrions
traiter successivement. Tout d'abord, quelles sociologies retrou
vent des ou des objets d'étude abordés par Proudhon
ou certaines de ses thèses? Cette interrogation nous conduira à
examiner en ce sens quatre paradigmes contemporains : le struc
turalisme génétique, la sociologie dynamique, l'approche straté
gique et l'individualisme méthodologique1. Nous serons amenés
à souligner combien ces différents paradigmes s'opposent dans
ces relations que nous pouvons reconstituer avec l'œuvre prou-
dhonienne.
La réponse à la seconde question sera beaucoup plus diffi
cile. Dans la mesure où nous aurons mis en évidence la présence
de thèmes proudhoniens dans certains des travaux sociologiques
contemporains, comment pourra-t-on expliquer ces persistances ou
ces « retours » ? Comment peut-on la présence de l'ou
blié? Sans doute ne pourrons-nous proposer, sur ce sujet, que
des hypothèses.
Le structuralisme génétique
Sans chercher à établir ici une liste exhaustive des points de
rapprochement et d'éloignement entre les travaux de Pierre Bour-
dieu et les écrits de Proudhon, il faut bien souligner que les ana
lyses de Bourdieu — et c'est un point qui va les distinguer des
1. Nous avons proposé cette classification, nécessairement sim
plifiante, dans un ouvrage consacré aux sociologies françaises des
années 1980-1990 : Pierre Ansart, Les contemporaines,
Paris, Editions du Seuil, 1990.
95 trois autres écoles que nous évoquerons — conduisent à mettre
en relief, comme chez Proudhon, la division sociale en classes
sociales. Les enquêtes concernant les pratiques culturelles2, les
inégalités dans le système éducatif3 ou les stratégies de distinc
tion4, convergent pour explorer dans toutes leurs conséquences
les effets, sur les comportements et les représentations, de cette
division de la société en classes et de l'appartenance des individus
à l'une de ces classes.
De plus, quelle que soit la distance entre les conceptions des
classes chez ces auteurs, on doit souligner que le schéma ter
naire de Proudhon, distinguant la classe bourgeoise, la classe
moyenne et les classes ouvrières5, se retrouve au terme des
enquêtes de Pierre Bourdieu qui conduisent à distinguer la
grande bourgeoisie, la petite bourgeoisie et les classes populair
es6.
Ce rapprochement, par-delà les différences et divergences,
est gros de conséquences et inscrit Proudhon et P. Bourdieu
dans une certaine tradition sociologique dont l'originalité est
soulignée par les débats qui l'entourent fortement aujourd'hui.
Dans cette tradition que l'on peut qualifier de «classiste», en
ce sens qu'elle souligne l'existence des classes en tant que réal
ités sociales, il est aussi supposé qu'une certaine connaissance
de la totalité sociale est accessible et qu'une « science » peut
être constituée sur cette réalité. Cette intuition fondamentale tra
verse l'œuvre de Proudhon, qui ne doute pas que l'on puisse
accéder à ce savoir, comme celle de P. Bourdieu qui reprend
cette prémisse. Et cette totalité est connaissable à travers ses divi
sions essentielles, à travers la « guerre » qui oppose les propriét
aires et les non-propriétaires7, ou, à travers les luttes de dis-
2. Pierre Bourdieu et A. Darbel, L'amour de l'art, Paris, Edi
tions de Minuit, 1966.
3.et J.-C. Passeron, La reproduction, Paris,
Ed. de 1970.
4. P. Bourdieu, La distinction, critique sociale du jugement,
Paris, Ed. de Minuit, 1979.
5. Ce schéma ternaire est repris constamment depuis le Pre
mier Mémoire (1840) jusqu'à La capacité politique des classes
ouvrières (1865) .
6. Cf., par exemple, P. Bourdieu, Boltanski, Castel, Chambo-
redon, Un art moyen, Paris, Ed. de Minuit, 1965.
7. Pierre-Joseph Proudhon, Système des contradictions écono
miques (1846), Paris, Marcel Rivière, 1923.
96 tinction qui opposent les diverses classes sociales8. A grands
traits, on peut dire que la sociologie de Pierre Bourdieu et de
ses collaborateurs s'inscrit dans cette grande tradition classiste
inaugurée par Saint-Simon, Proudhon et Marx, qui conçoit la
société comme un système de classes antagonistes et comme une
totalité connaissable à travers cette grille d'interprétation.
Dans cette ample tradition, les travaux de P. Bourdieu s'écar
tent fortement de l'économisme marxien en ce sens qu'ils s'a
ttardent peu sur les caractères économiques des différentes classes
et concentrent les recherches sur la culture propre à chaque
classe, sur les représentations et les conduites symboliques,
accordant ainsi la plus grande importance aux rapports de sens
et aux dominations symboliques.
P. Bourdieu retrouve ainsi un mouvement de pensée proche
de celui de Proudhon en ce qui concerne la conception même
des classes sociales. En effet, tout en maintenant une définition
économiste des classes en termes d'opposition entre propriétai
res et non-propriétaires, Proudhon ajoutait que chaque classe
renouvelait sa culture propre, ses mœurs, ses valeurs et aussi
ses idéologies9. Le concept ď habitus proposé par P. Bourdieu
pour désigner les modèles de perception et de pratique, transmis
au sujet, intériorisés, et sources des reproductions par les agents
des différentes classes n'est, certes pas, un terme pr

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