La presse satirique grecque d Istanbul au lendemain de la révolution jeune-turque : le journal Embros - article ; n°1 ; vol.77, pg 111-121
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La presse satirique grecque d'Istanbul au lendemain de la révolution jeune-turque : le journal Embros - article ; n°1 ; vol.77, pg 111-121

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Revue du monde musulman et de la Méditerranée - Année 1995 - Volume 77 - Numéro 1 - Pages 111-121
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1995
Nombre de lectures 25
Langue Français
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Extrait

Efthymia Canner
La presse satirique grecque d'Istanbul au lendemain de la
révolution jeune-turque : le journal Embros
In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, N°77-78, 1995. pp. 111-121.
Citer ce document / Cite this document :
Canner Efthymia. La presse satirique grecque d'Istanbul au lendemain de la révolution jeune-turque : le journal Embros. In:
Revue du monde musulman et de la Méditerranée, N°77-78, 1995. pp. 111-121.
doi : 10.3406/remmm.1995.1715
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0997-1327_1995_num_77_1_1715Canner Efthymia
La presse satirique grecque d'Istanbul
au lendemain de la révolution
jeune-turque : le journal Embros
souligne Dans son la fonctionnalité article intitulé sociale : « Le du problème rire et fait sociologique la distinction du entre rire », le E. « rire Dupréel d'ac
cueil » qui est « la manifestation d'une communion dans un groupe », et le « rire
d'exclusion », « la constatation chez quelqu'un — ou quelques-uns — d'une cer
taine disconvenance » (1928, 228-238). En même temps il joint ces deux aspects
en un "phénomène intégral" où le rire « se produit à l'occasion d'un fait qui marque
qu'un groupe se forme ou se reforme sur l'exclusion d'un individu ou de plusieurs
individus ». Le rire d'accueil, donc, accompagne, selon E. Dupréel, « le sentiment
du groupe que forment les rieurs à l'occasion de son opposition au personnage
ridicule ». Or, on attribue à l'humour un rôle classificatoire, voire éliminatoire :
on le reconnaît comme biais de formation des "catégories d'être", par l'opposi
tion entre eux.
Nous avons considéré le schéma ci-dessus comme pouvant guider une étude
du nationalisme à travers la presse satirique.
La nature même de la satire confère à la presse satirique une envergure élar
gie. Etant donné aussi bien le caractère conservateur de celle-ci émanant du
besoin d'un public, d'un groupe "constitué d'avance", qui rira de l'objet raillé1
la presse satirique peut servir à tester les paramètres par lesquels une communauté
REMMM 77-78, 1995/3-4 112 1 Efihymia Canner
lettrée2 s'autodéfinit, surtout dans des périodes transitoires pour sa conscience
d'appartenance.
Le journal satirique Embros voit le jour au lendemain de la révolution jeune
turque qui ressuscite le rêve de Tottomanisme", c'est-à-dire de l'union des Otto
mans, pour le dissiper bientôt, face à la réalité de la turcification.
Il nous a été impossible de trouver des renseignements précis sur Embros ni
sur son éditeur et rédacteur unique K. G. Makridis, dans les ouvrages portant
sur la vie culturelle de Constantinople. Nous avons donc dû nous contenter des
informations que ce dernier nous offre. En ce qui le concerne, il est sujet otto
man, fils d'une famille distinguée de la communauté lettrée stambouliote, elle-
même liée aux autres familles du même rang par des rapports de parenté, d'amit
ié, ou de parrainage {Embros, 27/12/1908; 13/12/1910).
Adhérant au système de valeurs gréco-orthodoxes (loyauté au Patriarcat œcu
ménique, admiration pour l'antiquité grecque, fidélité aux traditions de la famille
patriarcale), il se déclare contre tout ce qui les met en cause, ou simplement ce
qui en propose une alternative - depuis la mode européenne jusqu'au courant
"démoticisme" et jusqu'à l'émancipation féminine. Cette dernière est envide
sagée comme le signe d'un abominable relâchement des mœurs. Bref, dans le dis
cours de Makridis, on discerne les traits principaux de la mentalité du Grec
moyen de Constantinople de cette époque.
Au début de sa parution jusqu'en 1909, la circulation d' Embros était négligeable.
L'éditeur se plaint souvent des problèmes financiers du journal {Embros,
13/1/1909 ; 1 1/4/1909). La situation semble s'améliorer subitement à partir de
juin 1909, lorsque l'on apprend l'installation de correspondants en province et
à l'étranger {Embros, 13/6/1909). Dès lors, le succès d' Embros est ascensionnel.
Son tirage augmente, ce qui incite Makridis à publier en 1910, en collaboration
avec N. T. Papadimitriou, un calendrier satirique intitulé Satan tiré à 10000 exemp
laires. Cette réussite commerciale le conduit à faire reparaître le calendrier les
années suivantes. Il est remarquable qu'en 1913 le réseau des correspondants de
Y Embros et de Satan s'étend même jusqu'aux États-Unis {Embros, 20/9/1913).
Le journal a été pourtant par trois fois aux prises avec la censure : en 1909 - il
est défendu alors par le député grec Kosmidis -en 1912 et 1913. Finalement,
le fait qu'en 1920 tous les numéros $ Embros sont réédités en volumes, dont le
tirage a été très vite épuisé, montre le succès croissant du journal {Embros,
18/7/1920).
Malgré ce succès, Embros n'a pratiquement pas laissé de traces de son existence,
indice, peut-être, d'une mode éphémère. C'est exactement à ce titre qu'il nous
intéresse : « Les livres, les revues, les journaux qui voient le jour pour tomber bien
tôt dans l'oubli, constituent des témoins inappréciables de leur temps. Moins rési
stants à l'esprit de leur époque, ils en reflètent tels quels les soucis et les priorit
és. » (SkopeteaE., 1992, 85.)
Qui rit avec le journal satirique Embros} C'est en principe la communauté
grecque lettrée, car pour le reste des communautés de l'Empire ottoman existe La presse satirique grecque d'Istanbul. .. 1 113
"identifiables" par cette la barrière linguistique. On y trouve donc, des messages
communauté. L'éditeur Makridis ainsi que les nombreux caricaturistes se posent
en porte-parole de ce groupe. En somme, il s'agit d'un petit groupe qui appart
ient à une catégorie plus large, à laquelle il s'adresse en utilisant des symboles
communicables (E. Dupréel, 1928, 237).
De quoi rit-on dans Embrosï On rit de la situation politique et sociale, "ott
omane" et internationale : de la communauté grecque (donc de soi-même), du gou
vernement turc, de l'Occident (en tant que force d'intervention et modèle cul
turel), de la Grèce, des Balkans.
Les seuls protagonistes sont les Grecs ottomans et les Turcs, qui observent les
autres en exprimant leurs sentiments à leur égard. Ils sont représentés respect
ivement par Pantelis - prénom grec caractéristique - auquel bien-sûr Makridis
s'identifie, et Ali. Il y a entre eux un dialogue en vers qui constitue le leitmotiv
de ce journal. Mais ces deux héros qui analysent l'actualité politique liée à la Révo
lution jeune-turque ne jouissent pas d'un statut égalitaire. La supériorité d'Ali
est manifeste. Le franc-parler de Pantelis lui vaut, en guise de conséquence natur
elle, de recevoir des gifles de la part de son interlocuteur.
En quoi consiste la base de leur communication ? Millet, devlet, kanun : ce
sont les termes par lesquels ils participent à la réalité ottomane. Le millet (com
munauté, nation) constitue le code qui rend cette compréhension mutuelle
possible, le dénominateur commun d'une expérience de longue durée qui est
à son tour, la condition préalable de celle-ci. Ali, en tant que turc-musulman,
communique avec Pantelis qu'il reconnaît comme représentant le millet gréco-
orthodoxe. À côté d'eux, les millet juif et arménien apparaissent de temps en
temps dans leur dialogue.
Le devlet (État) constitue le cadre de leur existence, la garantie de leur bien-
être personnel. Par conséquent, sa sauvegarde est présentée comme le souci prin
cipal de nos deux héros. Le kanun (constitution) ne sert que de moyen pour y
aboutir. Kanun est ce qui libère tous les millet de l'autocratie du sultan Abdiil-
hamid, la source de leur réconciliation, le gardien de la liberté, de l'égalité et de
la fraternité éternelles dans le devlet. Ali et Pantelis le glorifient donc, dansant
et chantant en se tenant par la main dans les rues d'Istanbul.
Dans son analyse de l'anecdote dans le monde arabe, Bernard Chanfrault
utilise les méthodes de la sémiotique en s'appuyant sur une étude de Violette Morin
qui porte sur l'histoire drôle (B. Chanfrault, 1983 ; V. Morin, 1966). Selon V

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