Langue de bois, langue de l autre et langue de soi. La quête du parler vrai en Europe socialiste dans les années 1980 - article ; n°1 ; vol.21, pg 50-66
18 pages
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Langue de bois, langue de l'autre et langue de soi. La quête du parler vrai en Europe socialiste dans les années 1980 - article ; n°1 ; vol.21, pg 50-66

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Description

Mots - Année 1989 - Volume 21 - Numéro 1 - Pages 50-66
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 52
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Patrick Sériot
Langue de bois, langue de l'autre et langue de soi. La quête du
parler vrai en Europe socialiste dans les années 1980
In: Mots, décembre 1989, N°21. pp. 50-66.
Citer ce document / Cite this document :
Sériot Patrick. Langue de bois, langue de l'autre et langue de soi. La quête du parler vrai en Europe socialiste dans les années
1980. In: Mots, décembre 1989, N°21. pp. 50-66.
doi : 10.3406/mots.1989.1502
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mots_0243-6450_1989_num_21_1_1502Patrick SERIOT
Université de Lausanne
Langue de bois, langue de l'autre et
langue de soi. La quête du parler vrai
en Europe socialiste
dans les années 1980
On s'accorde en général pour trouver un rapport entre le type
de politique pratiquée par les régimes des différents pays socialistes
et le mode d'expression verbale de cette politique. On a ainsi
récemment parlé de la « langue de plomb » du régime chinois, et
dit que la « langue de bois » était morte en URSS (Le Monde,
mai et juin 1989).
Pourtant, on ne trouvera pas ici une étude sur la langue de la
politique dans les pays de l'Est, mais sur ce qui s'en dit dans
ces mêmes pays. L'objet de cette étude est le métadiscours sur
la langue de bois au lieu même où elle s'exerce. Ce faisant, il
me semble qu'on peut chercher à atteindre deux buts : dégager
l'image de la langue qui est à l'œuvre dans ces textes métadiscursifs
(ou discours sur la langue de l'autre), et explorer une voie
d'approche originale des pays de l'Est, en comparant leurs attitudes
envers la « langue de la politique ».
Je fais moins l'hypothèse d'une relation entre une politique et
son discours que celle d'une relation entre l'attitude épistémolo-
gique envers le couple langue/pouvoir et l'état d'avancement d'une
réflexion politique, cette relation étant elle-même dépendante à la
fois des circonstances locales et des spécificités nationales propres
à chacun de ces pays.
50 textes ici rassemblés le sont en fonction de leur accessibilité 1 Les
et pour rendre compte de conditions de production différentes :
les auteurs sont variés : linguistes, sociologues, journalistes, la
cible est elle-même variée : la langue de l'adversaire bourgeois,
la langue de la propagande du pouvoir communiste, la langue de
la bureaucratie ou la langue de soi.
Mais l'objet même de ces textes est parfaitement homogène :
dans tous les cas, on a bien affaire à une réflexion métalinguistique,
une topologie de la langue de l'autre et de la langue de soi, de
la bonne langue et de la mauvaise. Cet objet-langue aura ainsi
pour noms : nowo mowa (Pologne : « newspeak », « novlangue ») ;
jezyk propagandy (Pologne : « langue de la propagande poli
tique ») ; « propagande officielle » (P. Fidelius, Tchécoslovaquie) ;
« propagande totalitaire » (ibid.) ; « mots de la propagande »
(ibid.) ; « discours de la propagande » (ibid.) ; jazyk burzuaznoj
propagandy (URSS : « langue de la propagande bourgeoise ») ;
jazyk politiki (ibid. « de la politique ») ; politicki govor
(Serbie : « parler politique ») ; jezik mnoznicnih obcil (Slovénie :
« langue des mass-médias ») ; uradovalni jezik (ibid. : « langue
administrative »).
Quel est le degré de métaphorisation dans l'expression « langue »
de la propagande, « langue » bureaucratique : s'agit-il d'une
langue ? Y a-t-il apparition d'une « langue » nouvelle dans les
pays socialistes, à laquelle les linguistes assisteraient comme les
astrophysiciens observent la naissance d'une nouvelle étoile ? Ou
bien n'est-ce qu'une métaphore commode, une approximation
hâtive ? Mais quelles sont les conséquences de ce glissement
terminologique ?
Comment s'organise cette topologie, qu'est-ce que l'autre langue,
celle qui n'est pas de bois ? Comment va se définir la langue
alternative (vraie langue, langue de soi, etc.) ? Dernière question,
et non des moindres : qu'est-ce que les linguistes ont à faire de
tout cela ?
On trouvera ici un essai de typologie, en fonction du mode de
1. Ces textes, sont d'accès difficile, de par leur faible tirage, qu'ils soient
clandestins ou officiels, le caractère aléatoire des circuits de distribution qui les
font parvenir en Occident, également le caractère très varié des différentes
émigrations en Occident. Mais l'obstacle majeur est sans contexte la langue. On
ne peut connaître à la fois l'albanais, le hongrois, le macédonien et le mongol ;
il faudrait aussi lire les textes estoniens ou géorgiens, qui livreraient sans doute
accès à une presse intéressante. C'est pourquoi est en train de se constituer à
l'Université de Lausanne en collaboration avec la revue Mots un groupe de travail
réunissant des spécialistes de certaines langues. Nous serions heureux d'accueillir
la collaboration de personnes intéressées.
51 distance par rapport à l'objet : il s'agit, dans une perspective
inspirée de M. Bakhtine, d'un classement selon l'attitude métadis-
cursive, selon le degré d'interpénétration de l'Un et de l'Autre.
La langue de l'autre est une autre langue
A une extrémité de l'échelle de la distanciation telle que nous
l'envisageons, on peut trouver la distance maximale entre l'objet
observé et l'observateur. Cet objet, néanmoins, n'est pas observé
du point de vue de Sirius, puisqu'il est défini comme la langue
de l'adversaire, antimodèle dont est censée se démarquer radica
lement la langue de soi. C'est le cas de l'ouvrage Jazyk i stiV
burzuaznoj propagandy (« La langue et le style de la propagande
bourgeoise »), paru à Moscou en 1988. Il s'agit d'un recueil
d'articles explicitement destinés à un public de journalistes, mais
qui ont l'intérêt d'être écrits par des linguistes et psycholinguistes
du MGU (Université de Moscou). Ce travail correspond peu à
l'image de la perestroïka telle qu'on se la représente en Occident.
A moins d'interpréter cette analyse du discours politique aux Etats
Unis (guerre du Vietnam, Nicaragua) et en Grande-Bretagne
(guerre des Malouines) comme un exemple de la « langue
d'Esope » chère à Tchernychevski : une façon détournée d'éviter
la censure pour parler, en réalité, de la langue de bois du pouvoir
soviétique. La problématique du livre se place d'emblée « dans
l'esprit de la nouvelle pensée » (p. 5) et fait référence au discours
de M. Gorbatchev en 1986 au 27e congrès du PCUS. En même
temps, on insiste à plusieurs reprises sur une situation internatio
nale d'« intensification de la lutte idéologique » (p. 9, p. 33). Le
rôle des linguistes est alors capital pour « dégager les règles de
l'utilisation de l'appareil linguistique de la propagande bourgeoise »
(p. 3). Ceux-ci travaillent dans le cadre de la « linguistique
marxiste », laquelle se définit par « une approche globale de la
langue, la prise en compte de l'indissolubilité du lien de la langue
et de la pensée, et la définition de la langue comme phénomène
social » (p. 9).
La branche de la linguistique à laquelle il est fait appel ici est
la « pragmatique marxiste » (p. 14). Les citations sont plus souvent
tirées de la pragmatique anglo-américaine (Searle, Grice, Halliday)
que d'une « marxiste » encore à définir. Toujours est-
il que cette approche pragmatique est censée dévoiler les « pro
cédés » par lesquels les propagandistes peuvent influencer de façon
efficace La conscience de leur auditoire (p. 14), ce qui fait de la
52 pragmatique une rhétorique, et de la langue de la politique une
langue de la persuasion {ubezdajuscij jazyk, p. 12).
Conséquence importante d'une approche pragmatique : à la
différence des théories françaises du discours (que ce soit chez
M. Foucault ou M. Pêcheux), tout texte (de propagande) a un
sujet-auteur : le propagandiste bourgeois (p. 72), et un destinataire
spécifique : l'« auditeur », objet d'exploitation politique (p. 67).
Partant d'une opposition « subjectivité/objectivité » qui semble
aller de soi, les étude

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