Le domaine du dictionnaire  - article ; n°19 ; vol.5, pg 3-34
33 pages
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Description

Langages - Année 1970 - Volume 5 - Numéro 19 - Pages 3-34
32 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1970
Nombre de lectures 22
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Josette Rey-Debove
Le domaine du dictionnaire
In: Langages, 5e année, n°19, 1970. pp. 3-34.
Citer ce document / Cite this document :
Rey-Debove Josette. Le domaine du dictionnaire . In: Langages, 5e année, n°19, 1970. pp. 3-34.
doi : 10.3406/lgge.1970.2589
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1970_num_5_19_2589JOSETTE REYHDEBOVE
Paris
LE DOMAINE DU DICTIONNAIRE
1. Lexicographie et lexicologie.
Il paraît impossible, de prime abord, de plaider pour l'intérêt scienti
fique de la lexicographie. L'activité lexicographique se trouve dans une
situation doublement défavorable : d'une part on ne sait pas en quoi elle
consiste réellement, d'autre part elle n'offre pas l'intérêt de la nouveauté.
Les activités métalinguistiques sont traditionnelles, et depuis les origines
du langage, on parle du langage tant sous l'aspect grammatical que
lexical. Cependant la grammaire s'est intégrée > progressivement à l'e
nsemble des sciences en donnant naissance à la linguistique, alors que la
description du lexique est restée une praxis et un « bricolage ».
Certes, il existe une branche de la linguistique, la lexicologie, qui se
consacre à l'étude des faits lexicaux. Mais la lexicologie n'a pas trouvé
sa place dans la linguistique moderne, faute de bases théoriques suff
isantes. Elle est réduite à l'étude diachronique (étymologie au sens large),
à l'étude privilégiée de thèmes conceptuels (et en cela elle est onomasiolo-
gique qu'on l'admette ou non), ou à la collecte d'observations (au sens où
l'emploie N. Chomsky) tirées de corpus, alors que son domaine véritable
devrait être la description du lexique d'une langue, tâche qui échoit
depuis toujours à la lexicographie. Deux raisons essentielles s'opposent
àla naissance d'une lexicologie digne de ce nom, relevant toutes deux des
caractères qui opposent la grammaire au lexique 1.
1.1. La. compétence lexicale.
Les usagers d'une langue maîtrisent leur système grammatical, et
l'on peut dire qu'un usager quelconque connaît la grammaire de sa langue,
dont les règles, en nombre limité, sont maîtrisables. Au contraire chacun
d« nous ignore des mots connus du voisin, et vice versa. Aucun usager ne
maîtrise le lexique de sa propre langue, parce que le lexique est formé d'un
• 1. Nous entendons grammaire au sens large : syntaxe, morphologie, phonologie. nombre d'items incalculable (très grand et indéterminé) 2. Bien qu'on ne
dispose d'aucune procédure valable pour recenser le lexique à un moment
donné, on peut estimer que le lexique d'une langue de civilisation comme
le français ou l'anglais dépasse 200.000 mots sans les noms propres, et on
pourrait probablement atteindre aisément le chiffre de 500.000 mots (par
exemple avec les nomenclatures terminologiques). Or, le vocabulaire de
l'usager moyen se situe aux alentours de 20.000 mots (évaluation intui
tive proposée par Hockett). L'usager moyennement cultivé 3 maîtrise
peut-être 1/10 du lexique total — encodage et décodage — , et même en
envisageant seulement le décodage chez l'usager le plus cultivé, on est
encore très loin de l'exhaustivité. Alors que pour la grammaire on peut
assimiler tous les usagers à tout usager (n'importe lequel), cette assimi
lation est impossible pour le lexique. Le lexique n'a de réalité que pour
une communauté linguistique — tous les usagers — et non pas pour tout
usager. Ce fait fondamental est une constante linguistique dont la base
est socio-culturelle. Le lexique est profondément lié à la connaissance du
monde, à la différence de la grammaire. C'est par lui que la linguistique
risque sans cesse de verser dans la taxinomie.
Ainsi chacun de nous entend ou lit des phrases bien formées qu'il ne
comprend pas : il suffit d'un mot inconnu pour que le message ne passe
pas. N. Ruwet écrit dans son Introduction à la grammaire generative : « II
apparaît immédiatement que le fait central, dont la linguistique synchro-
nique a à rendre compte est le suivant : tout sujet adulte parlant une langue
donnée est, à tout moment, capable d'émettre spontanément, ou de percevoir
et de comprendre, un nombre indéfini de phrases que pour la plupart, il n'a
jamais prononcées ou entendues auparavant. Tout sujet parlant possède
donc certaines aptitudes très spéciales, qu'on peut appeler sa compét
ence linguistique... » (p. 16). Ainsi formulée la notion de compétence,
valable pour la grammaire, ne l'est plus pour le lexique, puisque « tout
sujet » parlant une langue donnée ne serait capable de comprendre toute
phrase nouvelle qu'à condition de connaître le lexique dans son entier.
Nous n'en voulons pour preuve que la difficulté, pour certains linguistes
— qui sont censés avoir une connaissance optimum de leur langue — à
comprendre d'emblée les textes de leurs collègues.
Du point de vue de l'apprentissage de la langue, on constate parall
èlement que les connaissances grammaticales sont acquises assez tôt une
fois pour toutes, alors que les connaissances lexicales ne cessent de s'en
richir au cours de la vie de l'usager, tant de façon naturelle que métalin-
guistique.
Une telle situation, pourtant, n'empêche pas la communication dans
son ensemble, et l'inconfort qui pourrait en résulter est limité pour des
raisons évidentes : 1) qualitativement les 20.000 mots ci-dessus évoqués
sont les plus fréquents en discours, et forment un ensemble assez homog
ène; 2) les personnes à vocabulaire pauvre constituent la majorité des
usagers; 3) la vie sociale impose surtout des relations entre usagers qui
2. « We propose to utilize the property of being potentially exhaustive as a diffe-
rentiative property of the grammar as opposed to the dictionary : the grammar can be
exhaustive whereas the dictionary cannot » (M. Mathiot, 1967).
3. La culture de l'usager est en relation, dans les langues de civilisation, avec son
vocabulaire. des connaissances comparables. Comme le disent J. Katz et J. Fodor, ont
« pour connaître une langue naturelle, on doit connaître ces règles [gram
maticales] mais on n'a pas besoin de connaître plus qu'une petite fraction
de son vocabulaire 4 ».
Aussi bien quelques linguistes ont-il conçu la compétence lexicale,
pour une langue donnée, comme un sous-ensemble du lexique quantita
tivement faible et qualitativement important, en décrivant essentiell
ement leur propre compétence, s'identifiant par là non à tout sujet (on ne
peut rien savoir de la compétence minimum) mais à un sujet statistiqumoyen. C'est ce qu'ont tenté de faire Jean Dubois et ses collabora
teurs dans le Dictionnaire du Français contemporain, un des rares diction
naires qui tienne compte des théories linguistiques.
Cette notion de compétence lexicale « moyenne » suscite des diff
icultés théoriques, car elle ne recouvre pas la langue dans son entier; si la
description se limite à 1/10 environ du lexique, quel est le statut des
9/10 restants?
Quelques lexicologues (notamment L. Guilbert, 1967, p. 116) ont
cherché dans la « créativité gouvernée par les règles » (rule-governed crea
tivity de N. Chomsky) une solution à ce problème. Le noyau du lexique
(compétence) serait formé de bases lexicales (morphèmes), et le reste du
lexique se déduirait « selon les règles » des transformations que l'on pour
rait produire à volonté (ceci vérifiant la créativité lexicale diachronique
par dérivation ou composition). Mais cette explication renverrait au dis
cours (ou à la performance) les 9/10 du lexique, ce qui ne rend pas compte
du fait essentiel que ces unités sont elles aussi codées. D'autre part, il est
aisé de voir qu'un grand nombre de bases n'appartiennent pas au noyau
commun (par exemple, en français, abscons, abysse, accore, ache, acmé,
actée, actinie, adné, adret, aède, agave, agio, agui, aiche, ais, albédo, albumen,
alêne, algide, alios, alizé, alisme, alose, alyte...), alors que le noyau commun
intègre une grande proportion de dérivés codés (par exemple, abandonner,
abat-jour, abondamment, abonnement, aboutissement, abrutissant, absolu
ment, abusif, académique, accélération, accessible, accidentel, accommodant,
accouchement, acharnement, acheteur, acrobatique, actuellement, administ
rat

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