Le qat et la «narcotisation» de l économie yéménite - article ; n°1 ; vol.55, pg 266-284
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Description

Revue du monde musulman et de la Méditerranée - Année 1990 - Volume 55 - Numéro 1 - Pages 266-284
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 21
Langue Français
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Extrait

Blandine Destremau
Le qat et la «narcotisation» de l'économie yéménite
In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, N°55-56, 1990. pp. 266-284.
Citer ce document / Cite this document :
Destremau Blandine. Le qat et la «narcotisation» de l'économie yéménite. In: Revue du monde musulman et de la
Méditerranée, N°55-56, 1990. pp. 266-284.
doi : 10.3406/remmm.1990.2349
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0997-1327_1990_num_55_1_2349Blandine DESTREMAU
LE QAT ET LA «NARCOTISATION» DE
L'ÉCONOMIE YÉMÉNITE*
Bien que n'atteignant pas l'ampleur récemment dénoncée dans les pays d'Amér
ique Latine, la «narcotisation» de l'économie yéménite constitue un phénomène
à bien des égards comparable. C'est ici le qat, aux propriétés relativement proches
de celles de la feuille de coca, qui fait l'objet de l'engouement des agriculteurs.
Le qat reste un problème local et régional, qui n'alarme pas les organisations inter
nationales ni les pays occidentaux, pour lesquels il ne constitue pas une menace
réelle : devant se consommer frais, pas transformable et donc difficilement export
able, il ne risque en effet pas de prendre sa place parmi les fléaux mondiaux que
sont les autres grandes catégories de drogues. Il n'empêche que la plante donne
matière à user d'un rigorisme «moral» de mise pour exercer des pressions sur la
politique économique intérieure et extérieure, comme c'est le cas de manière fl
agrante en Amérique Latine actuellement...
QU'EST-CE-QUE LE QAT?
Le qat est un arbre au feuillage permanent, de la famille des célastraceae. Il a
été nommé et décrit en termes botaniques pour la première fois par Forskâl, bota-
*La présente étude porte sur la partie de l'actuelle République du Yémen réunifiée correspon
dant à l'ancien Nord- Yémen. Dans l'ex- Yémen Sud, le problème se pose différemment puisque,
d'une part, les conditions écologiques sont moins favorables à la culture du qat et que, d'autre
part, la législation en interdisait la consommation sauf les jeudis et vendredis et en limitait stri
ctement la culture à certaines zones.
RE.M.M.M. 55-56, 1990/1-2 La «narcotisation» de l'économie yéménite I 267
niste suédois qui mourut au Yemen en 1763 pendant la malchanceuse expédition
danoise dont seul revint Carsten Niebuhr. Forskâl latinisa le nom arabe de qat
en Catha et y ajouta le terme edulis parce qu'il était «mangé». Le nom scientifi
que du qat est donc Catha edulis FORSKAL.
L'arbre de qat peut avoir l'apparence d'un buisson bas (de 1 à 2 mètres) ou d'un
arbre mince atteignant 10 mètres ou plus, selon sa variété, son âge, la quantité
d'eau disponible et la façon de le tailler : une coupe fréquente des toutes nouvelles
pousses a tendance à le maintenir petit, alors qu'un sectionnement moins fréquent
de branches entières favorise son développement en arbre.
Le principe actif du qat, dénommé cathinone, est un alcaloïde puissant (à peu
près quatre fois moins que l'amphétamine) mais chimiquement faible, qui se trans
forme en cathine lorsque séché. Il est surtout présent dans les jeunes feuilles. Fraî
ches, elles ont des propriétés intermédiaires entre celles de la coca et de l'opium,
ou celles d'un type «d'amphétamine naturelle ou végétale dont les principes actifs
ne peuvent être séparés de la matière végétale qu'en [les] mastiquant longue
ment»1. Elles sont donc conservées en grosse chique dans la joue pendant plu
sieurs heures, pour avoir un effet narcotique et stimulant. Le qat peut également
être consommé en infusion, auquel cas il a un effet plus excitant mais beaucoup
moins euphorisant, mais cela est rare aujourd'hui2.
Dès que les feuilles sont cueillies, la cathinone et d'autres de leurs substances
chimiques, hautement volatiles, commencent à se détériorer et elles à se faner.
C'est ce qui explique qu'au Yemen tout au moins, seules les feuilles les plus jeu
nes et les plus fraîches soient consommées, au maximum quelques jours après leur
cueillette, et qu'elles perdent rapidement de leur valeur. Il n'est donc pas éton
nant qu'un des déterminants principaux de la commercialisation du qat est la rapidité
avec laquelle il atteint les marchés. Il est notoire qu'à ce jour, aucun moyen de
transformer le qat n'a été découvert qui permette de le conserver tout en préser
vant ses «vertus». Ceci joue un rôle primordial dans les caractéristiques de son
économie.
La forme, la texture et le goût des feuilles de qat varient considérablement sui
vant l'âge des arbres, le type de sols, les conditions et la fréquence de l'arrosage,
l'exposition, etc. Ainsi, bien qu'il ne consiste qu'en une seule espèce, le qat peut
être classifié en diverses variétés basées sur l'apparence, le lieu d'origine et le goût.
Son prix et sa réputation reflètent tous ces facteurs. Les divers résultats d'analyse
rapportés par Kalix indiquent même une forte corrélation entre son prix et sa teneur
en cathinone, ce qui lui permet de conclure que «les vendeurs ne s'y trompent
pas»3.
Un effet important de la consommation de qat est l'anorexie4, qui peut avoir
des conséquences sur l'état de nutrition, et donc également sur l'affaiblissement
général des consommateurs et une plus grande vulnérabilité aux maladies. Il est
par ailleurs facteur d'insomnie (les premières excitations laissent la place à un engour
dissement du corps, sans pour autant que le système nerveux soit apaisé), de cons
tipation (à cause de sa teneur élevée en tanins), d'hypertension et de baisse d'acti
vité sexuelle. L'intensité de ces symptômes est limitée par la quantité de cathi
none absorbée en une seule fois, c'est-à-dire en fait par le volume de feuilles mas-
ticable ainsi que par la dégradation de cette substance par l'organisme au cours
de son assez lente absorption5. Le qat ne semble néanmoins engendrer aucun phé
nomène de dépendance physiologique6. 268 / B. Destremau
HISTOIRE DU QAT
Le qat est probablement originaire des hauts plateaux du Turquistan ou d'Afg
hanistan. Il est mentionné pour la première fois dans un manuscrit thérapeutique
de Najib ed Din al Samarqandi, qui mourut en 1222 et qui en parle comme d'une
plante médicinale. Les informations dont disposent les historiens ne leur permett
ent pas d'établir de relation entre le qat d'Asie centrale et sa présence en Afrique
de l'est, pas plus qu'ils ne possèdent d'informations sur son histoire et sa culture
dans les contrées situées entre le Turquistan et le continent africain. L'hypothèse
fut donc émise que le qat n'aurait pas été diffusé vers l'Afrique, mais que, du fait
de conditions écologiques favorables, il y aurait toujours existé à l'état sauvage.
La première mention connue du qat en Afrique provient d'un livre éthiopien
faisant l'éloge de la bravoure du roi chrétien Amd Asion qui combattit les musul
mans en 1332/33. Quelques années plus tard, son vainqueur promettait de trans
former le royaume en un domaine musulman, et de planter le «qat aimé» chez
les musulmans. Une autre source importante est le rapport que fait l'historien al
Mazriqi (1364-1442) d'un voyage en Ethiopie. Il y décrit des plantes inconnues
en Syrie et en Egypte, dont le qat utilisé et très apprécié dans certaines régions
d'Ethiopie depuis fort longtemps. Les habitants en mangent les feuilles, qui leur
activent la mémoire, tout en réduisant leur appétit et leur sommeil. Il ajoute que
le qat aurait été découvert au XIe siècle, après la conquête islamique des hauteurs
éthiopiennes.
Il semblerait donc certain que le qat ait été diffusé au Yemen â partir de l'Éthio-
pie, rapporté de leur voyage par des missionnaires partis dans la corne de l'Afr
ique répandre le message de l'Islam. Selon al Amri (1301-1349), cette pénétration
aurait eu lieu à la fin du xine siècle, ce que confirment d'autres indices faisant
état de sa présence à cette époque. Consommé alors en infusion, il était apprécié
pou

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