Notre-Dame de Paris de Victor Hugo
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Notre-Dame de Paris de Victor HugoRevue des Deux MondesT.1, 1831Notre-Dame de Paris de Victor Hugo[1]ἈΝΆΓΚΗ. Voilà quel devrait être le véritable titre de Notre-Dame de ParisDestin, fatalité ; oui, ce serait bien cela.Car quelle autre combinaison de lettres que celle du mot fatalité expliquera l’éternel pourquoi ?Pourquoi ce malheur à moi plutôt qu’à un autre ? Qu’ai-je fait pour cela ? Qui m’a mérité d’être choisi pour souffrir ? Quels sont mescrimes envers les hommes, et mes outrages envers Dieu ?… Aucun.Mais il fallait un contre-poids à un événement heureux, un malheur particulier pour concourir au bonheur général : bonheur et malheurse balancent dans ce monde et pourvu que le total soit juste, qu’importe à Dieu sur qui sont tombés ces deux mots qu’il a jetésnégligemment sur le monde : Bonheur, malheur ? L’homme n’est qu’un chiffre ; la manière dont il est placé dans l’addition socialeaugmente ou diminue sa valeur. Voilà tout. Et qui le place ? la fatalité.Ce mot a été créé pour épargner des millions de blasphèmes.Revenons à Notre-Dame de Paris. Nous ne parlerons pas du plan de l’ouvrage : il est, comme son titre, gigantesque.C’est l’histoire d’une population tout entière, depuis le roi jusqu’au truand : aucun des échelons intervallaires n’est vide.C’est, en deux volumes, une science que l’existence de quatre hommes suffirait à peine à amasser. L’auteur est tout à tour peintre,architecte, historien, cabaliste, médecin, que sais-je moi ? Maintenant que ...

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Notre-Dame de Paris de Victor Hugo
Revue des Deux MondesT.1, 1831 Notre-Dame de Paris de Victor Hugo
[1] ἈΝΆΓΚΗ. Voilà quel devrait être le véritable titre deNotre-Dame de Paris Destin, fatalité ; oui, ce serait bien cela. Car quelle autre combinaison de lettres que celle du motfatalitéexpliquera l’éternelpourquoi? Pourquoice malheur à moi plutôt qu’à un autre ? Qu’ai-je fait pour cela ? Qui m’a mérité d’être choisi pour souffrir ? Quels sont mes crimes envers les hommes, et mes outrages envers Dieu ?… Aucun. Mais il fallait un contre-poids à un événement heureux, un malheur particulier pour concourir au bonheur général : bonheur et malheur se balancent dans ce monde et pourvu que le total soit juste, qu’importe à Dieu sur qui sont tombés ces deux mots qu’il a jetés négligemment sur le monde :Bonheur, malheur? L’homme n’est qu’un chiffre ; la manière dont il est placé dans l’addition sociale augmente ou diminue sa valeur. Voilà tout. Et qui le place ?la fatalité. Ce mot a été créé pour épargner des millions de blasphèmes. Revenons àNotre-Dame de Paris. Nous ne parlerons pas du plan de l’ouvrage : il est, comme son titre, gigantesque. C’est l’histoire d’une population tout entière, depuis le roi jusqu’au truand : aucun des échelons intervallaires n’est vide. C’est, en deux volumes, une science que l’existence de quatre hommes suffirait à peine à amasser. L’auteur est tout à tour peintre, architecte, historien, cabaliste, médecin, que sais-je moi ? Maintenant que j’ai luNotre-Dame de Paris, si j’étais malade, j’aimerais autant consulter M. Victor Hugo que M. Alibert ; et si j’avais une maison à faire bâtir, je le choisirais certes plutôt que M. Lebas. Ah ! j’oubliais encore qu’avec tout cela il est poète. Et je l’oubliais, parce que la poésie est chose dont se passent assez habituellement nos romanciers ; c’est pour eux du luxe. Pauvres gens, qui ne comprennent pas qu’en art il n’y a de positif que l’idéal, comme dans la vie il n’y a de nécessaire que le superflu. Mais pourquoi cette poésie est-elle si railleuse ? Ah ! c’est qu’il a regardé ce malheureux monde d’en haut et qu’il l’a pris moitié en pitié, moitié en mépris. Il y a créé des êtres ;… puis il n’en a pas été plus content que Dieu ne l’avait été des races anti-diluviennes. Mais ne voulant pas les noyer, il en a ri. A quelques-uns il a donné des formes légères et gracieuses. C’est la Esmeralda, espèce d’Almée du moyen âge, Taglioni bohémienne, danseuse presque ailée, qui, tandis que les autres sautent et retombent, monte et redescend : vision de nuit comme il en passe dans les rêves avant qu’on ait atteint dix-huit ans C’est Jehan Frollo, tête espiègle d’écolier, espèce de pomme d’api avec des cheveux blonds : malin, débauché, moqueur, effronté, gourmand, joueur, dont toute la courte vie n’est que plaisanterie et joie… et dont la mort hideuse fera dresser vos cheveux sur votre front mouillé de sueur… Pauvre enfant ! .. A quelques autres il donne des masques grotesques ou terribles. C’est Gringoire, poète dramatique qu’on croirait de nos jours, tant il a de tribulations dans la représentation de ses ouvrages ; philosophe stoïcien, tantôt architecte, tantôt hermétique, tantôt saltimbanque : obligé de vivre de sa tête, partant vivant mal… soit que son front compose des mystères, soit que sa mâchoire porte des chaises… toujours affamé, et se consolant d’avoir faim, dans l’espoir que le public finira par le comprendre… Gil Blas du moyen âge, essayant de tout, ne réussissant à rien, et finissant par avoir des succès en tragédie… C’est l’archidiacre Claude Frollo, espèce d’Hercule vierge, chaste jusqu’à quarante ans, puis à cet âge brûlé de toutes les passions du jeune homme, d’autant plus violentes qu’elles ont été comprin1es ; damné vivant qui touche et qui brûle, aime et tue.
C’est dans cet immense ouvrage, passant à travers un seul chapitre, comme un renard dans le coin d’un grand bois, Louis XI, vieux mauvais prince, grand roi, sapant le système féodal, trouvant trop chère une liste civile qui montait à 80,000 francs, nourrissant des lions, parce qu’il faut que les rois de France aient des rugissement autour de leur trône, et faisant construire des cages de fer pour eux et pour La Balue.
C’est un beau gendarme, Phoebus de Châteaupers, tête trouée et vide à travers laquelle le vent montrant son hoqueton brodé à sa maîtresse, qui lui parle d’amour ; à sa maîtresse, qui l’aime comme Dieu, et qu’il aime un peu moins que son cheval ; bellâtre sifflant
et jurant, type imperdable que vous pouvez reconnaître dans nos salons modernes, les pouces dans les échancrures de son gilet, et dansant, vous diront les femmes, merveilleusement le cotillon et la galope Puis une mère… dont l’âme vacille comme une flamme de lampe au souffle de sa fille… Une mère… Oh ! lisez, lisez le chapitre intituléle Petit Soulier. Je ne sais que vous en dire. Enfin, et c’est peut-être la figure la plus originale, Quasimodo… Regardez sur la couverture où il sa tête, Quasimodo le sonneur de cloche… Caliban de cathédrale, réunion vivante de toutes les calamités physiques, borgne, bossu, bancal, sourd, brèchedent, j’oublie encore quelque chose… Quasimodo, qui vous fera peur d’abord, et finira par vous faire pleurer ; car sous cette enveloppe de peau de chagrin, il a une âme qui aime et souffre. Joignez à cela vingt personnages secondaires, ayant chacun originalité et individualité, un peuple tout entier qui remue à l’entour de Notre-Dame ; au milieu, comme un immense pivot centre de cette immense machine, la vieille cathédrale, dont M. Victor Hugo a en quelque sorte numéroté les pierres, et qu’on rebâtirait d’après son livre, si quelque invasion de Vendales la brûlait, ou si quelque architecte l’abattait, sur le rapport de l’Institut, pour y élever unbeau monumentdans le goût de Sainte-Geneviève ou de la Chambre des Députés. M. Hugo, comme tous les hommes d’un grand talent comme Rossini en musique, a des types qui reviennent et qui semblent toujours nouveaux. Mais nous comprenons peu ces critiques patentés qui comparent toujours un poète à un autre ; les uns vous disent : c’est du Dante ; les autres, du Byron. Nous croyons avant tout que le génie est individuel, original, homogène, ne supportant de comparaison qu’avec lui-même, car la ressemblance suppose l’imitation, et là où il y a imitation, le génie meurt. Les pages écrites par M. Hugo, défauts et beautés, ne peuvent l’être que par lui. C’est tantôt une pensée si puissante, qu’elle semble prête à faire éclater la phrase qui la renferme ; c’est tantôt une image si pittoresque, que le peintre ne pourrait la rendre comme le poète l’a comprise : c’est quelquefois une langue si étrange, qu’il semble que pour l’écrire, l’auteur a employé les lettres inconnues d’un idiome primitif, et que la même combinaison des caractères de l’alphabet ne soit en la puissance d’aucun autre. Voici pour la pensée. Voyez c’est Claude Frollo, exhortant l’insouciant Jehan à rentrer dans la voie le la vertu. — « Jehan, il faut songer sérieusement à vous corriger. — Ah ça ! cria l’écolier en regardant tour à tour son frère et les alambics du fourneau, tout est donc cornu ici, les idées et les bouteilles ! — Jehan, vous êtes sur une pente bien glissante. Savez-vous où vous allez ? — Au cabaret, dit Jehan. — Le cabaret mène au pilori. — C’est une lanterne comme une autre, et c’est peut-être avec celle-là que Diogène eût trouvé son homme. — Le pilori mène à la potence. La potence est une balance qui a un homme au bout et toute la terre à l’autre. Il est beau d’être l’homme.
— La potence mène à l’enfer.
— C’est un gros feu.
— Jehan, Jehan, la fin sera mauvaise.
— Le commencement aura été bon. »
Voulez-vous voir la foule se ruant à lafête des fousvous savez la grande foule joyeuse et cruelle, qui, d’un revers de sa main, ? démollit la Bastille, et qui n’a qu’à se presser autour des trônes pour étouffer les rois.
« La place du Palais, encombrée de peuple, offrait aux curieux des fenêtres l’aspect d’une muer, dans laquelle cinq ou six rues, comme autant d’embouchures de fleuves, dégorgeaient à chaque instant de nouveaux flots de têtes. Les ondes de cette foule, sans cesse grossies, se heurtaient aux angles des maisons qui s’avançaient çà et là, comme autant de promontoires dans le bassin irrégulier de la place. Au centre de la haute façade gothique du Palais, le grand escalier, sans relâche remonté et descendu par un double courant, qui, après s’être brisé sous le perron intermédiaire, s’épandait à larges vagues sur ses deux pentes latérales ; le grand escalier, dis-je, ruisselait incessamment dans la place comme une cascade dans un lac. Les cris, les rires, le trépignement de ces mille pieds faisaient un grand bruit et une grande clameur. De temps en temps cette clameur et ce bruit redoublaient ; le courant qui poussait toute cette foule vers le grand escalier rebroussait, se troublait, tourbillonnait. C’était une bourrade d’un archer, ou le cheval d’un sergent de la prévôté qui ruait pour établir l’ordre ; admirable tradition que la prévôté a léguée à la connétablie, la connétablie à la maréchaussée et la maréchaussée à notre gendarmerie de Paris. Aux portes, aux fenêtres, aux lucarnes, sur les toits fourmillaient des milliers de bonnes figures bourgeoises, calmes et honnêtes, regardant le Palais, regardant la cohue, et n’en demandant pas davantage ; car bien des gens à Paris se contentent du spectacle des spectateurs, et c’est déjà pour nous une chose très-curieuse qu’une muraille derrière laquelle il se passe quelque chose. »
Mais une véritable merveille de ce livre, c’est le chapitre intituléParis à vol d’oiseau; vaste panorama du vieux Paris du XVe siècle, que l’auteur a reconstruit en une trentaine de pages. C’est surtout dans ce chapitre qu’on trouve ce pittoresque de style, ces pensées neuves et hardies dont nous parlions tout à l’heure.
Paris est né, comme on sait, dans cette vieille île de la Cité qui a la forme d’un berceau. La grève de cette île fut sa première
enceinte, la Seine son premier fossé. Paris demeura plusieurs siècles à l’état d’île, avec deux ponts, l’un au nord, l’autre au midi, et deux têtes de ponts, qui étaient à la fois ses portes et ses forteresses : le grand Châtelet sur la rive droite, le petit Châtelet sur la rive gauche. Puis, dès les rois de la première race, trop à l’étroit dans son île, ne pouvant plus s’y retrouver, Paris passa l’eau. Alors, au-delà du grand, au-delà du petit Châtelet, une première enceinte de murailles et de tours commença à entamer la campagne des deux côtés de la Seine. De cette ancienne clôture il restait encore au siècle dernier quelques vestiges ; aujourd’hui il n’en reste que le souvenir, et çà et là une tradition, la porte Baudets et Baudoyer,porta Bagauda. Peu à peu le flot des maisons, toujours poussé du cœur de la ville au dehors, déborde, ronge, use et efface cette enceinte. Philippe-Auguste lui fait une nouvelle digue. Il emprisonne Paris dans une chaîne circulaire de grosses tours, hautes et solides. Pendant plus d’un siècle les maisons se pressent, s’accumulent et haussent leur niveau dans ce bassin, comme l’eau dans un réservoir. Elles commencent à devenir profondes ; elles mettent étages sur étages ; elles montent les unes sur les autres ; elles jaillissent en hauteur comme toute sève comprimée, et c’est à qui passera la tête par-dessus ses voisines pour avoir un peu d’air. La rue de plus en plus se creuse et se rétrécit ; toute place se comble et disparaît. Les maisons enfin sautent par-dessus le mur de Philippe- Auguste, et s’éparpillent joyeusement dans la plaine, sans ordre et tout de travers, comme des échappées. Là, elles se carrent, se taillent des jardins dans les champs, prennent leurs aises. Dès 1367, la ville se répand tellement dans le faubourg, qu’il faut une nouvelle clôture, surtout sur la rive droite. Charles V la bâtit. Mais une ville comme Paris est dans une crue perpétuelle : Il n’y a que ces villes-là qui deviennent capitales. Ce sont des entonnoirs où viennent aboutir tons les versans géographiques, politiques, moraux, intellectuels, d’un pays, toutes les pentes naturelles d’un peuple ; des puits de civilisation, pour ainsi dire, et aussi des égouts, où commerce, industrie, intelligence, population, tout ce qui est sève, tout ce qui est vie, tout ce qui est âme dans une nation, filtre et s’amasse sans cesse, goutte à goutte, siècle à siècle. L’enceinte de Charles V a donc le sort de l’enceinte de Philippe-Auguste. Dès la fin du quinzième siècle, elle est enjambée, dépassée, et le faubourg court plus loin. Au seizième, il semble qu’elle recule à vue d’œil, et s’enfonce de plus en plus dans la vieille ville, tant une ville neuve s’épaissit déjà au dehors. Ainsi, dès le quinzième siècle, pour nous arrêter là, Paris avait déjà usé les trois cercles concentriques de murailles, qui, du temps de Julien l’Apostat, étaient, pour ainsi dire, en germe dans le grand Châtelet et le petit Châtelet. La puissante ville avait fait craquer successivement ses quatre ceintures de murs comme un enfant qui grandit et qui crève ses vêtemens de l’an passé. Sous Louis XI, on voyait, par places, percer, dans cette mer de maisons, quelques groupes de tours en ruine des anciennes enceintes comme les pitons des collines dans une inondation, comme des archipels du vieux Paris submergé sous le nouveau.
« Depuis lors Paris s’est encore transformé, malheureusement pour nos yeux ; mais il n’a franchi qu’une enceinte de plus, celle de Louis XV, ce misérable mur de boue et de crachat, digne du roi qui l’a bâti, digne du poète qui l’a chanté.
« Le mur murant Paris, rend Paris murmurant. »
De tous nos poètes modernes, Victor Hugo est, avec Alfred de Vigny et Mérimée, celui qui a le mieux dépeint l’amour. DansHan d’Islande commedansNotre-Dame de Paris, il y a deux scèners ravissantes en ce genre, auxquelles nous ne voyons rien de comparable. Lorsque la Esmeralda, brûlant d’un feu inconnu, avoue si naïvement son amour au capitaine Phoebus, que de grâce, que de tendre passion dans ces timides aveux si brusquement interrompus par l’apparition du rpêtre ! – «La jeune fille, les yeux perdus au plafond, frémissait toute palpitante. Tout à coup, au-dessus de la tête de Phoebus, elle vit une autre tête : une tête livide, verte, convulsive, avec un regard de damné ; près de cette figure, il y avait une main qui tenait un poignard. C’étaient la figure et la main du prêtre ; il avait brisé la porte, et il était là. Phoebus ne pouvait le voir. La jeune fille resta immobile, glacée, muette sous l’épouvantable apparition, comme une colombe qui lèverait la tête au moment où l’orfraie regarde dans son nid ave ses yeux ronds. Elle ne put pousser un cri ; elle vit le poignard se baisser sur Phoebus et se relever fumant. - Malédiction ! dit le capitaine, et il tomba. - Elle s’évanouit. » Le dramatique est poussé plus loin encore dansLasciate ogni speranzaetla Clef de la porte rouge, où la passion de Claude Frollo déborde effrénée et rugissante. Viennent maintenant les critiques ! car il ne manquera pas de gens qui ne comprendront pas, se fâcheront de ne pas comprendre, et jetteront la pierre à la hauteur à laquelle ils ne peuvent atteindre avec la main. Il n’en sera pas moins vrai que M. Hugo aura élevé un immense édifice littéraire, sous les portes duquel les plus grands d’entr’eux pourront passer sans se baisser ; et la postérité, qui ne tient pas compte des petites haines des contemporains, dira Hugo, comme elle dit Dante et Shakespeare, Corneille et Byron.
1. ↑2 vol. in-8°, chez Gosselin, rue Saint-Germain-des-Près, n° 9.
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