Poétesses yiddish américaines - article ; n°1 ; vol.16, pg 77-91
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Description

Mil neuf cent - Année 1998 - Volume 16 - Numéro 1 - Pages 77-91
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 20
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Carole Ksiazenicer-Matheron
Poétesses yiddish américaines
In: Mil neuf cent, N°16, 1998. pp. 77-91.
Citer ce document / Cite this document :
Ksiazenicer-Matheron Carole. Poétesses yiddish américaines. In: Mil neuf cent, N°16, 1998. pp. 77-91.
doi : 10.3406/mcm.1998.1185
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_1146-1225_1998_num_16_1_1185yiddish américaines Poétesses
CAROLE KSIAZENICER-MATHERON
En 1976 paraissait aux États-Unis le livre ď Irving Howe
World of our fathers l qui permettait aux lecteurs américains
de redécouvrir le monde des emigrants juifs. Aujourd'hui,
c'est la richesse du des femmes qui sollicite de plus en
plus l'attention de la critique universitaire. L'anthologie de
prose féminine traduite du yiddish Found treasures, stories by
yiddish women writers2 n'est qu'un exemple (remarquable)
parmi d'autres publications mettant en lumière la créativité
des femmes écrivains issues de la culture ashkénaze. Consacré
exclusivement à la prose, cet ouvrage souligne la diversité des
productions et la complexité des parcours : certaines parmi ces
prosatrices furent également poètes, les unes écrivent en
Europe, d'autres aux États-Unis, d'autres encore en Israël. La
période de plus grande créativité est celle de Г entre-deux-
guerres, mais l'écriture féminine en yiddish remonte au
xvie siècle et malgré le sceau brutal mis par l'histoire à la
culture juive d'Europe centrale et orientale, certains dévelop
pements littéraires courent jusqu'à la période contemporaine.
Notre objectif sera simplement de dessiner les linéaments
d'une recherche qui devrait s'imposer pareillement en France,
avec le même sentiment d'urgence à restituer une part mécon
nue et passionnante non seulement de la culture yiddish mais
aussi de l'histoire intellectuelle des femmes.
Dès le xvie siècle, on trouve des traces d'une production li
ttéraire féminine en yiddish. Certes, le nombre des auteurs
1. Irving Howe, Le monde de nos pères, Paris, Michalon, 1997.
2. F. Forman, E. Raicus, S. Silberstein Swartz, M. Wolfe (eds.),
Found Treasures : Stories by Yiddish, Women Writers, Toronto,
Second Story Press, 1994.
77 femmes est limité et leur activité semble essentiellement ci
rconscrite à la sphère traditionnelle, si l'on excepte les Mémoir
es de Gliickel Hameln 3 à la fin du xvne-début du xvme siècle,
qui constituent un document exceptionnel sur la vie quotidienne
des communautés d'Europe occidentale et sur la figure remar
quable de leur auteur, femme de négociant demeurée veuve et
qui écrit pour ses enfants, espérant ainsi vaincre sa mélancolie.
A part ce texte d'une grande richesse historique et littéraire, on
trouve plutôt des textes poétiques dans la tradition des thkines,
les prières en langue vernaculaire destinées tout spécialement
au lectorat féminin et assorties de conseils pratiques de morale
et de piété. Cependant, dès cette époque, la spécificité de l'écrit
féminin est soulignée par la femme qui prend la plume et qui,
s 'adressant de façon codée au lecteur, l'avertit de ses intentions,
parfois de son statut ou de son âge, légitimant et « signant »
ainsi de façon très caractéristique l'acte même d'écrire. Ainsi,
si les formes sont traditionnelles, ressortissant au genre édifiant
caractéristique de l'époque, la prise de parole, elle, est spéci
fiée, revendiquée de façon personnelle par des figures identi
fiables, s'exprimant en leur nom propre. D'emblée, la littéra
ture féminine en yiddish parle d'une voix distincte, quand bien
même ses territoires n'iraient pas jusqu'à englober la riche
diversité de la production masculine en yiddish ancien, en par
ticulier sa sphère profane.
En outre, si elles sont encore relativement peu nombreuses à
écrire, les femmes lisent, et ce depuis l'essor de la littérature
vernaculaire. Un topo des textes anciens en yiddish veut même
que les lectrices, avec « les hommes du peuple », ceux qui ne
connaissent pas l'hébreu, soient les destinataires privilégiées
des apologues, recueils de contes, de sermons, voire chansons
de geste écrits en yiddish dès le xvie siècle. La littérature ver
naculaire en effet tire l'une de ses raisons d'être du bilinguisme
interne qui caractérise la vie des communautés juives, les éru-
dits lisant en hébreu et approfondissant sans relâche leur médit
ation des textes sacrés, et les autres, c'est-à-dire les femmes,
qui n'avaient pour ainsi dire pas accès à la langue sacrée et les
gens simples, trop peu savants ou trop pris par la vie matérielle
pour pouvoir se repérer dans des textes difficiles, se cantonnant
à la lecture des textes en yiddish, qu'ils soient religieux ou pro-
3. Gliickel Hameln, Mémoires, traduction et présentation de
Léon Poliakov, Paris, Ed. de Minuit, 1971.
78 fanes. Parce qu'elles ne sont pas astreintes à l'étude, à la dif
férence des hommes, les femmes peuvent ainsi se rabattre sur
une vaste sphère littéraire, pour laquelle les impératifs de la
piété et du « droit chemin » sont certes loin d'être négligeables,
mais où les lectures profanes ont également droit de cité, à une
époque d'ailleurs où le partage entre religieux et profane est
beaucoup moins net à discerner qu'à l'issue de la période des
Lumières. Même si l'on pense que ces adresses au lectorat
féminin sont codées, dessinant ainsi sans doute un territoire
symbolique par rapport à la sphère religieuse et autonomisant
progressivement la littérature dans son geste inaugural, on peut
cependant supposer qu'une réalité de fait s'y désigne égale
ment, et que les femmes, certes moins systématiquement alpha
bétisées que les hommes et sans doute pas uniformément sui
vant les couches sociales, jouissaient cependant d'une
éducation suffisante pour pouvoir au moins participer à la vie
religieuse de la communauté en langue vernaculaire. Gar
diennes de la cellule familiale, les femmes sont loin d'être
exclues de la connaissance de la tradition, même si cette
connaissance passe par la vulgarisation, l'emploi du vernacul
aire et l'accent porté sur l'aspect narratif et édifiant de la Loi
plus que sur la législation. La large diffusion populaire d'un
livre comme la Tseenah Ureenah 4, vaste compendium à la fois
encyclopédique et narratif du Pentateuque en yiddish, spécia
lement destiné aux femmes, en est une preuve suffisante.
Lorsqu'avec la sécularisation de la littérature yiddish et la
naissance au xixe siècle d'une littérature moderne influencée
par le didactisme des Lumières la diffusion du livre devient un
phénomène familier de la vie du shtetl, les femmes participent
au même titre que les hommes à l'extension du lectorat popul
aire. Il n'est pas rare de voir, dans la fiction d'un Mendele
Moykher Sforim (pseudonyme de l'écrivain Abramovitch qui
veut justement dire le « vendeur de livres »), le personnage épo-
nyme, libraire ambulant, haranguer un public de gens simples
du shtetl, hommes et femmes confondus, pour qu'ils lui achè
tent un livre de piété, et sous le manteau une brochure « éclai
rée », voire un ouvrage à quatre sous, équivalent juif d'Eugène
Sue et autres feuilletonistes européens. Dans les bourgades
4. Jacob ben Isaac Achkenazi de Janow, Le commentaire sur la
Torah, Tseenah Ureena, traduit du yiddish par J. Baumgarten,
Paris, Verdier, 1987.
79 juives comme partout, les femmes, ou les jeunes filles, déjà ini
tiées à la culture européenne par leur fréquentation du lycée
russe ou de leurs camarades de pension polonaises sont part
iculièrement friandes de littérature à l'eau de rose, dont certains
romanciers populaires leur fournissent l'équivalent en yiddish 5.
Plus que les garçons, astreints à l'abstraction de l'étude talmu-
dique, les jeunes filles des milieux aisés pouvaient se livrer plus
ou moins secrètement au vice « défendu » de la littérature, non
seulement yiddish mais aussi française, allemande, polonaise
ou russe, dans le texte original ou en traduction. Ce premier pas

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