Pour la poétique - article ; n°1 ; vol.3, pg 14-31
19 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Pour la poétique - article ; n°1 ; vol.3, pg 14-31

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
19 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Langue française - Année 1969 - Volume 3 - Numéro 1 - Pages 14-31
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1969
Nombre de lectures 23
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Henri Meschonnic
Pour la poétique
In: Langue française. N°3, 1969. pp. 14-31.
Citer ce document / Cite this document :
Meschonnic Henri. Pour la poétique. In: Langue française. N°3, 1969. pp. 14-31.
doi : 10.3406/lfr.1969.5430
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1969_num_3_1_5430Henri Meschonnic, Paris-Vincennes.
POUR LA POÉTIQUE
S'il est encore des critiques pour douter de la
compétence de la linguistique en matière de poésie,
je pense à part moi qu'ils ont dû prendre l'incompé
tence poétique de quelques linguistes bornés pour
une incapacité fondamentale de la science linguis
tique elle-même. Chacun de nous ici, cependant, a
définitivement compris qu'un linguiste sourd à la
fonction poétique comme un spécialiste de la litt
érature indifférent aux problèmes et ignorant des
méthodes linguistiques sont d'ores et déjà, l'un et
l'autre, de flagrants anachronismes.
Roman Jakobson, Linguistique et poétique,
Essais de linguistique générale, éd. de Minuit, p. 248.
La poétique
La linguistique moderne a changé les conditions d'étude de la litt
érature, irréversiblement. Et depuis les formalistes russes, les structural
istes de Prague et le New-Criticism, la théorie de la littérature est allée
plus profond que pendant toute l'ère aristotélicienne. Mais les rapports
entre linguistique et littérature sont aujourd'hui un lieu de malentendus;
tout est dans ce et qui les confronte, et ne peut pas ne pas les transformer;
c'est que ce lieu est encore en voie d'exploration, alors que le rendement
de la linguistique dans l'enseignement des langues (dans la rénovation
de la pédagogie du français par exemple), ne rencontrant comme obstacle
qu'une ignorance dénuée de doctrine, est déjà assuré du succès, malgré
la résistance de la routine.
Cette exploration en cours, qui n'avance pas sans divergences, régres
sions, elle devrait au plus tôt éliminer ses faiblesses, s'assurer de son but
et de ses méthodes pour vaincre une résistance plus têtue que dans l'étude
de la grammaire. Car il y a des honnêtes gens qui, au moment de parler
ou d'écrire sur la littérature, au moment de l'enseigner, se vantent encore
14 de n'avoir pas de méthode. Comme si absence de méthode était présence
humaine. Leur « sensibilité » aux textes montre combien leur culture
générale est un héritage passif et non une création (et la preuve en est
qu'ils sont bien démunis devant la modernité); leur libéralisme est un
ethnocentrisme et un logocentrisme étouffants sous son allure aimable,
et c'est eux qui crient au terrorisme totalitaire, à la « déshumanisation ».
Ils ne se sont jamais posés les quelques questions premières qui les auraient
inquiétés sur leur rôle. Ils sont éclectiques. Ils posent que toute méthode
tue son objet : puisqu'elle le crée, et qu'elle vous donne toujours raison;
ils posent avec assez d'ignorance qu'une structure est un squelette, et
avec assez de confusion que le langage n'a presque rien à voir avec la
littérature; que la formalisation est impossible dans ce qui relève de
l'axiologie et de l'arbitraire, mais ils croient en une vérité du texte, puis
qu'ils accusent certains de contresens. Il est d'ailleurs difficile parfois de
comprendre leur grief, parce que les termes dont ils se servent sont un
brouillage, ainsi le mot selon eux est trompeur. Au vrai, ils l'avouent,
ce sont des hédonistes. Ils pensent beau, ils pensent moi. On les comprend
mal à l'aise de ne pas être leurs propres contemporains.
Pourtant, on ne peut éviter la linguistique. L'étude du langage ne
peut pas ne pas interroger la littérature, qui est langage, et communicat
ion. Et si elle est langage, une première illusion serait de poser un privi
lège exclusif de la linguistique sur la littérature. Jusqu'à l'illusion des
modèles qui épuiseraient l'œuvre. Tout ne se réduit pas à du linguistique.
Le texte est un rapport au monde et à l'histoire. Une illusion inverse
serait de prendre la linguistique pour une auxiliaire, qui procurerait un
matériau à élaborer ensuite, une étape en somme avant de parvenir aux
constituants fondamentaux de la littérature (la connaissance psycholo
gique, sociologique...), et c'est le dualisme des « littéraires ». La linguis
tique est en fait le point de départ d'une rigueur et d'un fonctionnalisme
qui permettent de poser, en termes ni esthétiques ni réducteurs (sociolo-
gisme, biographisme, expérience du temps ou de l'imaginaire, psycho-
critique...), poser en termes synthétiques à la littérature la question de
son être, éliminant ainsi tout dualisme, évitant le faux dilemme de l'ana
lyse formelle ou de la thématique (qui toutes deux tuent l'écrit), et toute
démarche qui traverse l'œuvre.
L'étude des œuvres est alors une poétique. Elle n'élimine pas les
autres procédures exploratrices, encore faut-il viser la découverte et non
la tautologie. Elle ne tend qu'à bien penser à sa question. Une question
qui ne semble qu'aux historicistes ou sociologisants une chose d'esthète.
Elle vise la forme comme vécu, le « signe » se faisant « texte 1 ». Elle
n'est pas separable d'une pratique de l'écriture : elle en est la conscience.
Ce n'est pas une théorisation dans l'abstrait. Cette question est une att
itude envers l'écrit, une conséquence d'une philosophie et plutôt d'une
1. Voyez les Propositions pour un glossaire, par Jean-Glaude Chevalier, Claude
Duchet, Françoise Kerleroux et Henri Meschonnic.
15 pratique matérialiste de l'écrit, qui peuvent ne pas intéresser également
d'autres lectures, comme du texte dans la société, la littérature comme
document, — lectures poussées par d'autres philosophies de l'écrire. On
ne saurait juger une démarche supérieure aux autres, ni exclusive. Seul
semble insoutenable l'empirisme d'un moi vibratile. Il n'y a pas de
« vérité » objective, éternelle, ni de l'œuvre ni du lire. Il n'y a pas de
complémentarité des lectures. Mais il serait souhaitable pour tous que
chaque méthode fût explicitement liée à la philosophie, à l'idéologie qu'elle
implique. On ne peut séparer l'étude d'un objet de l'étude de la méthodol
ogie à la découverte de cet objet; et on ne peut séparer savoir d'épisté-
mologie, l'étude de l'écrit d'une réflexion sur les conditions d'étude de
l'écrit.
Pour beaucoup encore, poétique n'est qu'un adjectif ou même, s'il
est substantif, n'évoque guère que la poésie, le versifié. Sans doute, c'est
quelque ignorance de la réflexion contemporaine. Mais cette réflexion
elle-même, partie de la poésie vers l'étude de tout discours littéraire, du
discours littéraire spécifiquement, n'a pas fait disparaître cette ambig
uïté, et les exemples sont pris dans la poésie seulement, ou encore la
poésie est traitée comme un langage limite. L'incertitude s'installe sur
l'orientation de la poétique, si l'on considère des recherches récentes.
Mais l'apport le plus fort déjà est bien l'indistinction formelle entre
« prose » et « poésie », qui n'apparaissent plus que comme les outils concep
tuels les plus mal faits pour saisir la littérature, et survivances longues à
chasser, mais certes plus opératoires, devant la notion de texte. Or le
livre de Jean Cohen 2 n'aura pas contribué à dissiper l'équivoque, rédui
sant par régression et confusion la poétique à une science de la poésie.
Ces problèmes de la constitution d'une se situent à la fois sur le
plan de la critique du langage critique, et sur celui de la conception même
de ce qu'est poésie, œuvre, texte. Et ils se redonnent d'actualité 3. Bâtis
sant une science, Jean Cohen 4 étudie et classe même ce qui n'existe
pas (« dresser a priori le tableau des formes poétiques virtuelles »), et
comme il a tout le possible, « le problème de vérification ne se pose donc
pas ». L'ange du bizarre est pour lui la poésie, «

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents